Comment le covid-19 a compliqué l’intégration des nouveaux sénateurs

Comment le covid-19 a compliqué l’intégration des nouveaux sénateurs

Un an après le premier confinement, Public Sénat revient sur cette période où tout a changé, y compris pour le Parlement. Dernier épisode avec les nouveaux sénateurs élus en septembre. Pour eux, la découverte de ce mandat sous covid-19 a été compliquée. Difficulté à faire connaissance, absence d’échanges informels faute de pots et déjeuners, manque de lien avec les élus… Malgré ces conditions d’exercice du mandat dégradées, la vie démocratique s’exerce en s’adaptant.
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Nous sommes juste après les sénatoriales du 27 septembre dernier. Les petits nouveaux, fraîchement élus dans leur département, font leur arrivée au Palais du Luxembourg. Les élus de la cuvée 2020 se voient expliquer par les services du Sénat le b.a.-ba du sénateur, le fonctionnement de la maison, comme après chaque scrutin. Ils n’imaginent sûrement pas que, rapidement, tout va changer. De nouveau. Fin octobre, Emmanuel Macron annonce un second confinement. Et la vie parlementaire, si elle n’est pas arrêtée, s’en retrouve forcément modifiée et impactée. Pas facile dans ce contexte pour les nouveaux sénateurs d’appréhender leur mandat. Et surtout, pour commencer, de faire connaissance.

« Avec les sénateurs des autres groupes, on se voit très peu car la buvette est fermée »

« C’est vrai qu’on a eu peu de moments informels et conviviaux. Du coup, on passe notre vie en visioconférence. D’ailleurs, je suis encore en visio là ! » explique, quand on l’appelle, le sénateur PS de la Somme, Rémi Cardon, élu à l’âge de 26 ans et benjamin du Sénat. « Tous les temps de convivialité, de rencontre, d’échange, de fait, on ne les a pas eus. Ces temps d’échange manquent » souligne Elsa Schalck, sénatrice LR du Bas-Rhin. Comme une rentrée des classes, mais vite sans camarade et une cour à moitié vide.

Très vite, l’absence de certains lieux se fait criante. « Rendez-nous les bars et les restos ! » pourraient être le cri du cœur, en substance, de certains sénateurs, comme de beaucoup de Français. Et pour cause. « Une partie de la politique se passe dans les bars et les restaurants. Et moi, je suis Lyonnais et ça se passe beaucoup dans les restos à Lyon ! » (rire) lance Thomas Dossus, sénateur EELV du Rhône. De là à dire qu’il ne faut pas trop pousser le bouchon… Avec ces lieux fermés, c’est la dimension humaine de la politique qui ne s’exprime plus. « Ces échanges, ça permet de comprendre les personnalités de chacun. Et c’est pareil avec les sénateurs des autres groupes. On se voit très peu car la buvette est fermée » ajoute l’écologiste. « Je crois qu’avec le groupe, dans sa totalité, on a mangé une seule fois ou deux ensemble. Cela a été compliqué pour constituer un groupe, pour l’animation du groupe » confirme Guillaume Gontard, président du groupe écologiste, qui a fait son retour après le dernier scrutin.

« Difficulté d’intégration »

Ce manque d’interactions, « ça a freiné notre intégration et la connaissance d’autrui » va jusqu’à dire le sénateur LR des Bouches-du-Rhône, Stéphane Le Rudulier. « Je ne l’ai pas ressenti, mais je sais que pour d’autres, c’est plus compliqué ». Il ajoute : « Pour certains, pour prendre de l’assurance, il faut connaître les personnes qui les entourent, pour ne pas se sentir totalement exclu d’un groupe. Et ça, ça prend du temps ».

Et le masque ne facilite rien. « On ne peut pas toujours identifier les collègues qu’on ne connaît pas, par l’effet du masque. Il y a cette difficulté au niveau de l’intégration » ressent Elsa Schalck, sénatrice LR du Bas-Rhin. « Pour la petite anecdote, on me confond souvent avec une autre collègue LR des Alpes-Maritimes, Alexandra Borchio Fontimp » raconte l’élue du Bas-Rhin. Le masque complique aussi l’exercice du travail du président de séance, dans l’hémicycle. « Certains de mes collègues, je ne les ai jamais vus sans masques. Et je suis une vice-présidente qui doit distribuer la parole en hémicycle… » lâche la sénatrice RDSE de Gironde, Nathalie Delattre, vice-présidente du Sénat.

« C’est parfois dur mentalement »

« C’est parfois dur mentalement, car on se rend compte qu’on a besoin de discuter de plus près avec les personnes, les administrateurs, les collaborateurs » se rend compte Rémi Cardon. Ce qui n’est pas sans conséquence. « Il se crée des tensions qui auraient pu redescendre si on avait l’occasion de se voir entre deux réunions » note le socialiste.

Le contexte covid n’est pas sans effet non plus sur le travail parlementaire d’une certaine manière. « On avait une vision transversale de ce qui se passait au Sénat. Là, on est très cloisonnés dans nos sujets. Et globalement, tous nos sujets tournent autour de la crise sanitaire » regrette un peu Rémi Cardon. « Quand on est en visio en commission, on n’a pas le droit de vote » ajoute Stéphane Le Rudulier. Elsa Schalck résume le sentiment général : « La visio ne peut pas tout ».

« C’est un début de mandat compliqué, c’est évident »

« C’est un début de mandat compliqué, c’est évident » partage Thomas Dossus. « Il fallait un temps d’adaptation. Les réunions de commission, on ne peut y aller qu’à une sur deux. Et je crois que 80 % des sénateurs du groupe ont eu le covid-19, mais sans forme grave, plutôt une forme fatigante et quand même éprouvante. Donc il y a eu ça à gérer ».

Ces freins « au processus d’intégration, ça s’est rencontré dans l’ensemble du groupe » selon Stéphane Le Rudulier. Mais des efforts sont faits pour contourner le problème. « Le groupe a essayé de faire des moments de partage à cinq ou six. Mais c’est moins efficace que si on est cinquante » explique le sénateur des Bouches-du-Rhône.

« Sentiment d’être coupé d’un certain nombre de réalités de terrain »

Pour Hussein Bourgi, sénateur PS de l’Hérault, la situation a été gérable. « Je suis quelqu’un de naturellement sociable. Donc au fur et à mesure, j’identifie les collègues avec qui j’ai des affinités. On arrive à se rencontrer en tête à tête. Mais ça prend plus de temps » dit-il. En revanche, il est davantage gêné dans son activité en circonscription. « Ma principale déception et frustration, c’est de ne pas pouvoir organiser comme je le souhaite des réunions avec les élus locaux par bassins territoriaux, par communautés de communes. Cette démocratie participative à laquelle je suis pourtant attaché, et que j’ai du mal à mettre en œuvre » constate le socialiste.

Hussein Bourgi fait néanmoins « des déplacements réguliers dans les communes », mais a « le sentiment d’être coupé d’un certain nombre de réalités de terrain ». Le sénateur PS de l’Hérault prend l’exemple des « syndicats de vignerons », où « les assemblées générales permettent de prendre la température d’une profession. Il y a les pots et les repas où les gens viennent vous parler de leurs difficultés ou de leurs projets. Mais quand vous les annulez… »

« On serre les dents et on avance »

« Nous avions pris l’engagement avec l’ensemble des colistiers de revenir très vite vers les élus, après notre élection, pour rendre compte, échanger. Et la crise a freiné nos ambitions » confirme le sénateur LR Stéphane Le Rudulier, « on est quand même en premier lieu les représentants des collectivités territoriales ».

Reste que la situation est la même pour tous. Les élus sont rendus à la même enseigne que l’ensemble de la population. Et pour de nombreux Français, c’est beaucoup plus difficile. Les sénateurs en ont évidemment conscience. Hussein Bourgi le sait bien : « On n’a pas le droit de se plaindre. On serre les dents et on avance ».

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