Crise de l’énergie : l’explosion des prix est partie pour durer, selon des experts
Lors d’une table ronde au sujet de la politique énergétique de l’Europe, des experts ont rappelé que la France était encore extrêmement dépendante des énergies fossiles, avant d’attirer l’attention des sénateurs sur le développement des énergies renouvelables. Une audition « inquiétante », de l’aveu des sénateurs, qui a pointé les faiblesses de la réponse française et européenne en comparaison de l’importance des enjeux.

Crise de l’énergie : l’explosion des prix est partie pour durer, selon des experts

Lors d’une table ronde au sujet de la politique énergétique de l’Europe, des experts ont rappelé que la France était encore extrêmement dépendante des énergies fossiles, avant d’attirer l’attention des sénateurs sur le développement des énergies renouvelables. Une audition « inquiétante », de l’aveu des sénateurs, qui a pointé les faiblesses de la réponse française et européenne en comparaison de l’importance des enjeux.
Louis Mollier-Sabet

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La question des politiques énergétiques en France et en Europe est un sujet souvent abordé au Sénat. Depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la Chambre haute a rendu pas moins de 7 rapports sur le nucléaire, dont le dernier en août, trois rapports sur les énergies renouvelables, ainsi que deux rapports sur les politiques européennes sur le sujet, dont un rapport sur le marché carbone européen en mars dernier. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier n’a fait qu’accélérer le travail, et les commissions des Affaires économiques et Européennes réunissaient aujourd’hui chercheurs et spécialistes européens pour réfléchir à la politique énergétique de l’Union Européenne.

>> Voir aussi : Pénuries de gaz cet hiver ? « Le problème qui va toucher la plupart des Français, ce ne sont pas les coupures, c’est le prix »

Sophie Primas et Jean-François Rapin ont introduit l’audition en pointant l’absence du nucléaire dans la taxonomie verte européenne, la souveraineté économique que devait retrouver l’Europe sur les métaux lourds en relocalisant les mines ou les questions de stockage de l’électricité, notamment de développement de l’hydrogène électrolysé grâce à de l’électricité nucléaire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les chercheurs présents ont un peu renvoyé les sénateurs dans les cordes, en rappelant notamment que l’enjeu du nucléaire n’était, à l’échelle de l’Europe, pas si structurant, et que la crise énergétique actuelle était d’abord une crise des énergies fossiles. Un constat « inquiétant », de l’aveu des sénateurs présents, puisque, d’après les experts présents, les difficultés sur la sécurité d’approvisionnement et sur les prix ne se résoudront pas de sitôt et sont appelées à durer au moins quelques années.

« La France est un pays extrêmement dépendant du pétrole et du gaz »

Pour fixer les données du problème, Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), a présenté le mix énergétique français en énergie finale consommée, et pas en énergie brute produite. Une coquetterie d’expert qui a son importance, puisqu’elle a déjà le mérite de sortir du débat interne au mix électrique qui phagocyte souvent les débats sur la question, et permet de se concentrer sur l’énergie « finalement » consommée dans le pays, et pas l’énergie produite par les installations électriques qui ne satisfait parfois aucun besoin.

On se rend ainsi compte que « la France est un pays extrêmement dépendant du pétrole et du gaz » : « La moitié de l’énergie consommée en France vient du pétrole et la deuxième source, c’est le gaz fossile. La troisième source, c’était le nucléaire en 2019 et les énergies renouvelables en 2020. Actuellement, le nucléaire est extrêmement important pour l’électricité, mais il faut le remettre dans ce contexte. » L’autre conclusion de ce tour d’horizon de la consommation d’énergie française, c’est le « sous-développement » des énergies renouvelables en France : « L’éolien et le solaire représentent une toute petite part de la consommation électrique française, parce que la France a choisi de ne pas véritablement soutenir les énergies renouvelables. Le droit européen fixe un objectif de développement des renouvelables. Sur les 27 Etats, 26 ont atteint cet objectif. Un seul ne l’a pas atteint, c’est la France. »

Energies renouvelables : « Il manque la signature de je ne sais pas qui. C’est inadmissible »

Devant les protestations des sénateurs, Thomas Pellerin-Carlin appuie là où ça fait mal : « Il y a eu un véritable choix de sous-investissement dans l’efficacité énergétique et les renouvelables. Si la France avait mis en œuvre le plan de rénovation des bâtiments adopté en 2008 lors du Grenelle de l’environnement, et validé par Nicolas Sarkozy, la France serait aujourd’hui indépendante du gaz russe. Cela n’a pas été fait. Si on avait installé plus d’éolien et de solaire, on aurait des prix plus bas et on consommerait moins de gaz aujourd’hui. » Un diagnostic qui sonne comme un avertissement juste avant que le Sénat examine le projet de loi de développement des énergies renouvelables, où la majorité sénatoriale réfléchit à réintroduire le véto des maires sur l’installation d’éoliennes, notamment. « Vous avez un rôle particulier au Sénat », a expliqué Thomas Pellerin-Carlin. « On a un besoin massif d’investissements dans la sobriété énergétique, et notamment des collectivités locales dans les transports publics, les pistes cyclables, dans la rénovation énergétique du bâti, et dans toutes les énergies renouvelables, sans aucune exception parce qu’on ne peut pas se payer le luxe de mettre de côté une énergie décarbonée. »

Maria-Eugenia Sanin, maîtresse de conférences en sciences économiques à Université d´Evry Val d´Essonne et chercheure associée à la chaire Énergie et Prospérité de l’Ecole Polytechnique, a embrayé sur ce sujet en plaidant la cause des énergies renouvelables auprès des sénateurs, qui jouissent d’un contact privilégié avec les élus locaux : « Il y a des études qui montrent les bénéfices au niveau local du développement d’installations de production d’énergies renouvelables, en termes de professionnalisation de la main-d’œuvre, par exemple. Il faut que vous entamiez le dialogue au niveau local pour parler de ces bénéfices. » Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri), a lui aussi attiré l’attention du Sénat sur le sujet : « Dans tous les pays d’Europe, vous avez des projets hydro ou renouvelables qui sont prêts à être lancés, mais il manque des autorisations, de l’interconnexion, ou la signature de je ne sais pas qui. C’est inadmissible, c’est totalement absurde. »

« L’hiver d’après sera probablement encore plus dur »

Le sujet, c’est donc bien la dépendance actuelle aux énergies fossiles, dont la France souffre presque autant que ses voisins européens, malgré un mix électrique relativement décarboné. À cet égard, Thomas Pellerin-Carlin pointe un problème structurel auquel vont devoir se confronter les économies européennes pour les prochaines années : le maintien relativement haut du prix de ces énergies fossiles. « Sur le gaz, on a des prix historiquement élevés, puisqu’ils sont 1000 % plus chers que les prix qu’on considérait comme normal dans la décennie 2010. Ce n’est même peut-être plus une crise, mais l’entrée dans une nouvelle ère où le gaz est structurellement plus cher, parce que nous sommes devenus dépendants du GNL [gaz naturel liquéfié, ndlr], qui est trois à quatre fois plus cher. On va devoir vivre avec des prix japonais du gaz », détaille-t-il, en identifiant par ailleurs à court terme un « risque de pénurie » à partir de février-mars 2023 et « surtout 2024 » : « L’hiver d’après sera probablement encore plus dur. »

Face à cette crise structurelle, on ne peut pas dire que les spécialistes présents aient été très tendres avec les mesures mises en place par le gouvernement, trop timides et mal ciblées d’après eux. « Nous sommes en situation de guerre et nous sommes en posture de drôle de guerre. C’est un peu comme si 500 missiles russes avaient détruit 10 % de notre industrie énergo-intensive, sachant que tous les mois il faut rajouter 1 %. Or, je n’ai pas l’impression que l’on soit en mobilisation », tacle Marc-Antoine Eyl-Mazzega, qui se montre très critique : « Réduire de 30 centimes le prix à la pompe pour tout le monde, c’est hyper inefficace. Le bouclier tarifaire, c’est hyper inefficace. Avoir une vraie politique de redistribution pour les plus fragiles qui sont de plus en plus nombreux, ça, c’est hyper important. Mais où est le signal prix ? Où est la crédibilité de la mobilisation ? »

Des « boucliers tarifaires ciblés » ?

Il est rejoint par Maria-Eugenia Sanin, qui estime que « faire de l’exhortation » comme le fait le gouvernement est une « fausse bonne idée » : « Il ne faut laisser monter le signal prix pour les industriels et les ménages et protéger seulement les plus vulnérables et les secteurs énergivores. Je ne vais pas prendre un jet privé si ça me coûte 20 fois plus que la première classe. La remise à la pompe a bénéficié trois fois plus aux plus riches qu’aux plus pauvres. » Devant les protestations de Jean-François Rapin, qui défend un « impact » très fort de la mesure au niveau territorial, Thomas Pellerin-Carlin en remet une couche : « Le bouclier tarifaire coûtera 45 milliards. Si jamais vous ciblez ça sur les 10 millions de Français les plus pauvres, vous êtes sur plus de 4 000 euros par an. Pour l’instant il y a un mécanisme qui arrose absolument tout le monde, alors que les gens qui consomment le plus sont ceux qui ont les voitures les plus lourdes, et ceux qui ont les voitures les plus lourdes sont les gens les plus riches. »

Maria-Eugenia Sanin propose ainsi des « boucliers ciblés » : « On sait qui habite dans une région, quand vous déclarez des impôts. On sait que vous avez une voiture de fonction. Le ciblage serait très simple, et si on ne veut pas pénaliser autant les plus aisés, on pourrait les aider dans l’achat d’une voiture électrique, plus légère, ou verser de l’argent pour développer les transports en commun. » En réponse à une remarque de Pierre Laurent qui demandait plus de précision sur la définition des « plus vulnérables », l’économiste s’est permis un « raccourci » schématique pour illustrer ses propos : « Le GIEC explique que 10 % des plus riches émettent 40 % des gaz à effet de serre. On arrêterait donc de subventionner 40 % des émissions si on laissait les 10 % les plus riches de la population payer le vrai prix des choses, fixé par le libre marché. »

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