Filiation après une PMA : le Sénat choisit de ne « pas bousculer le droit »

Filiation après une PMA : le Sénat choisit de ne « pas bousculer le droit »

Pour établir la filiation au sein d’un couple de deux femmes, les sénateurs ont choisi de faire intervenir l’adoption pour sécuriser juridiquement l’acte. Les députés avaient voté, eux, une reconnaissance conjointe devant un notaire.
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Après avoir accepté l’extension de l’assistance médicale à la procréation pour toutes les femmes, le Sénat s’est penché, ce 23 janvier, en première lecture de l’article 4 du projet de loi de bioéthique, sur la question de la filiation des enfants qui en seraient issus. La Haute assemblée, à majorité de droite et du centre, a adopté un dispositif permettant d’établir cette filiation de « manière sécurisée » et « qui ne bouscule pas le droit existant », selon les mots de la sénatrice LR Sophie Primas.

C’est sa réécriture de l’article qui a été adoptée par une majorité de voix au palais du Luxembourg, 174 voix contre 129. La version issue de la lecture à l’Assemblée nationale n’a pas convaincu la deuxième chambre. Selon la procédure adoptée par les députés, les couples de femmes doivent passer par une reconnaissance anticipée de l'enfant devant un notaire, une disposition qu’utilisent déjà les couples hétérosexuels non mariés. Cette situation placerait les deux femmes sur un pied d’égalité.

Contre l’avis du gouvernement, le Sénat a choisi de s’y prendre différemment, en partant du droit actuel. « Ce n’est pas ce que fait le texte de l’Assemblée nationale, car si ce texte était adopté, il aboutirait à un bouleversement du système actuel de la filiation qui n’est pas nécessaire », a estimé Sophie Primas. L’un des rapporteurs du texte, le sénateur centriste Olivier Henno, qui a soutenu la PMA, partageait ce point de vue. « Ce n’est pas une adaptation, c’est en quelque sorte un bouleversement car il y a quand même une remise en cause du principe comme quoi la mère qui accouche est la mère certaine. »

Bruno Retailleau défend la nécessité d’en rester à « des cadres communs »

Ce cadre « distinctif » a également été dénoncé par Bruno Retailleau, président du groupe LR, qui parle de « choix idéologique » de la part du gouvernement. « Je pense que précisément nous avons besoin de cadres communs aujourd’hui. L’objectif de la politique, ce n’est pas de créer des cadres spécifiques pour chaque demande. »

Selon Sophie Primas, le « critère de volonté » pour les deux mères mettrait en cause les « principes fondamentaux » du système actuel de filiation, basé sur la procréation charnelle. Il serait, de plus, « fragile » juridiquement.

La solution sénatoriale ne prévoit aucun changement pour la mère qui accouche de l’enfant. Pour l’autre femme – la mère d’intention – l’amendement adopté au Sénat prévoit une reconnaissance par le mécanisme de l’adoption. Mais grâce à une procédure accélérée, ouverte à tous les couples, qu’ils soient mariés, concubins ou pacsés. Le consentement à la PMA vaudrait consentement devant le notaire et, ainsi, « la filiation pourra être établie au jour de la naissance de l’enfant », a défendu Sophie Primas.

L’amendement a reçu un avis favorable de la commission spéciale. « Nous ne sommes pas là pour réformer le droit de la filiation », a appuyé la sénatrice LR Muriel Jourda. En clair : il suffirait de simplement rajouter de « nouveaux bénéficiaires » – comme les couples de femmes – au droit actuel de la filiation, qu’il convient de ne pas modifier pour les couples qui ont déjà eu recours à la PMA.

« Nous ne sommes pas là pour réformer le droit de la filiation », déclare Muriel Jourda
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« Cela pourrait apparaître peut-être un peu discriminatoire », estime Nicole Belloubet

Filiation : Belloubet redoute que la solution du Sénat soit « un peu discriminatoire »
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« L’objectif de la loi n’est pas de bouleverser le régime de la filiation », a rétorqué la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qui a affirmé que le texte de l’Assemblée apportait lui aussi une « sécurité juridique ». La garde des Sceaux a rappelé aux sénateurs que, lors de l’élaboration du projet de loi, toutes les instances consultées « ont rejeté l’adoption comme mode d’établissement de la filiation » pour la compagne de la femme qui accouche. Conseil d’État, mission d’information de l’Assemblée nationale, Commission nationale consultative des droits de l'homme : « toutes ont pointé que l’adoption n’était pas adaptée à la situation que nous examinons », a énuméré la ministre, qui y voit l’impossibilité d’un lien de filiation « simultané ». « Il y aurait sans doute une forme d’incohérence à reconnaître un projet parental qui est porté par deux femmes qui, au même moment, vont effectuer une reconnaissance conjointe, qui vont s’engager dans la grossesse, dans la procréation médicale […] et au terme, la femme qui accouche sera mère, bien entendu, mais il y aurait dès lors un décalage avec l’autre femme qui a porté, au même moment, le même projet. »

 « Cela pourrait apparaître peut-être un peu discriminatoire », a-t-elle ajouté, avant d’atténuer son propos. « Il me semble que cela introduit une différenciation qui n’est pas forcément utile. »

La solution de la droite jugée « complexe » à gauche

À gauche, le socialiste Jacques Bigot s’est notamment opposé à la proposition de Sophie Primas. « On complexifie les choses en obligeant une démarche d’adoption après la naissance devant un tribunal, donc une procédure ! » Mais son collègue Bernard Jomier (apparenté PS), « très ennuyé » a reconnu que « l’effacement du biologique » dans la position du gouvernement le rendait « insatisfait », tout en jugeant l’amendement Primas « trop complexe et pas suffisamment maturé ». Chez les communistes, Pierre Laurent a estimé que la solution du gouvernement était la « meilleure ». « À partir du moment où c’est complètement une autre façon de faire société avec des familles, et pas une seule famille, il n’est pas abracadabrantesque que de révolutionner notre Code civil », a fait valoir sa collègue Laurence Cohen.

L’amendement Primas, introduisant ainsi une nouvelle réécriture de l’article 4, qui sera certainement appelé à connaître d’autres changements dans la suite de la navette parlementaire, a toutefois mis en évidence des divisions profondes suivant les groupes. 10 sénateurs LR se sont abstenus (mais 129 ont voté pour) ; 2 sénateurs socialistes ont voté en faveur de l’amendement et 5 se sont abstenus ; 28 centristes ont voté pour, quand 15 ont préféré voter contre, et 5 s’abstenir. Chez le groupe RDSE (à majorité radicale) ou LREM, une majorité de sénateurs se sont opposés, mais certains ont voté pour.

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