En se retrouvant pour la première fois, depuis le lancement du grand débat, devant une assemblée de citoyens dans la Drôme, on n’attendait pas Emmanuel Macron sur ce terrain. Le chef de l’Etat a pourtant surpris plus d’un écologiste, et pas seulement, en revenant en partie sur son engagement de sortir du glyphosate d’ici 3 ans.
« Je sais qu'il y en a qui voudraient qu'on interdise tout du jour au lendemain. Je vous dis : un, pas faisable et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans on ne fera pas 100%, on n'y arrivera, je pense, pas », a déclaré le chef de l’Etat, répondant à la question d’un apiculteur qui évoquait ses abeilles « en train de mourir ». Emmanuel Macron a cependant souligné qu’il encourageait les « productions alternatives » pour ne plus utiliser l’herbicide polémique.
« Et de l'autre côté, il y en a qui ne voulaient pas bouger du tout. On a réussi à faire bouger beaucoup de gens », a-t-il ajouté, rappelant qu'un « contrat de confiance » allait être signé. « On va évaluer et on va aider ceux qui bougent ». En plein « en même temps », le chef de l’Etat a cependant ajouté : « Il a été montré qu'il y a des doutes. Il n'y a aucun rapport indépendant ou pas indépendant qui a montré que c'était mortel ». Mais « à partir du moment où je pense que c'est pas bon, j'ai envie qu'on s'en sépare ».
Etudes contradictoires
Quels sont ces « doutes » ? La substance avait été jugée « probablement cancérigène » en juillet 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer, qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais d’autres agences ont jugé cependant les preuves insuffisantes. L’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a estimé qu’il n’y avait pas de danger. Mais plusieurs médias avaient ensuite révélé que l’autorité avait copié-collé plusieurs passages de rapports de Monsanto, la firme américaine qui a inventé le glyphosate.
Pour rappel, en novembre 2017, l'Union européenne avait renouvelé l’homologation du glyphosate pour cinq ans. Mais la France s’était engagée à le bannir sur son territoire d'ici à 2021. « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans » avait affirmé Emmanuel Macron en novembre 2017.
Mais lors de l’examen à l’Assemblée nationale de la loi sur l’agriculture et l’alimentation, les députés LREM n’ont pas inscrit dans la loi l’interdiction en 2021.
« Le glyphosate a un impact sur la flore intestinale des abeilles selon une étude »
Les écologistes n’ont pas tardé à dénoncer les déclarations du Président. « Le "l’environnement ça commence à bien faire" d’Emmanuel Macron. Affligeante capacité à trahir avec aplomb un engagement pour la santé et l’environnement » a lancé Yannick Jadot, tête de liste EELV pour les européennes, en référence à des déclarations de Nicolas Sarkozy.
Pour le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, « c’est extrêmement décevant, limite révoltant. La politique ne se fait plus qu’à court terme ». Hasard de l’actualité, le sénateur était ce vendredi matin présent à un colloque du CNRS « sur la santé des abeilles justement. Et on apprend, avec preuves scientifiques à l’appui, après étude, que le glyphosate a un impact sur la flore intestinale des abeilles. Et donc directement sur leur santé. Ça montre que les effets de ces molécules sont redoutables ».
Pour Joël Labbé, c’est tout vu. « On connaît l’influence des lobbys divers et variés sur l’Elysée. Et là, c’est l’influence du lobby agricole qui fait faire marche arrière à Emmanuel Macron encore une fois ». Il ajoute :
« Le lobby agricole est à la fois complexe et simple. C’est le système entre les firmes de l’agrochimie, le gros syndicat agricole, la FNSEA, et l’industrie agroalimentaire ».
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA : « Nous ne pourrons pas interdire le glyphosate dans 3 ans pour toutes les productions »
Dans un communiqué du 23 novembre dernier, la FNSEA défendait « la transition de l’agriculture vers des modèles plus vertueux, plus économes en intrants » mais dénonçait les « charges supplémentaires induites par la séparation du Conseil et de la vente des produits phytosanitaires, l’interdiction de produits de traitement sans solutions ni alternatives ».
Le 30 mai 2018, sur BFM Business, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, était claire : « Nous ne pourrons pas interdire le glyphosate dans 3 ans pour toutes les productions ». Exactement ce qu’a dit Emmanuel Macron, jeudi, à Bourg-de-Péage.
Relocalisation de l’alimentation
Pour montrer sa volonté d’agir, Emmanuel Macron a souligné que la France avait pesé contre le glyphosate. « L'Europe voulait nous remettre 15 ans d'autorisation. C'est parce que la France s'est battue qu'on a obtenu 5 ans » pour sortir du glyphosate dans l'Union européenne, a-t-il rappelé. « Ça, ce n’est pas un fait d’Emmanuel Macron, c’est un fait à mettre à l’actif de Nicolas Hulot », selon Joël Labbé. En démissionnant fin août dernier, l’ancien ministre de la Transition écologique avait dénoncé « la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir ».
Quant au fait d’affirmer, comme l’a fait le chef de l’Etat, qu’aucune étude n’avait démontré que le glyphosate était « mortel », le sénateur du Morbihan répond qu’« évidemment c’est mortel, mais ce n’est pas de mort subite. Personne ne va prouver la mortalité directement liée ». Et d’ajouter :
« Le Président est extrêmement ambigu dans ce type de déclaration. Car derrière le glyphosate, il y a la remise en question du modèle agricole. Et Emmanuel Macron n’est pas du tout sur cette ligne ».
Pour la FNSEA, le changement ne serait économiquement pas supportable pour nombre d’exploitations. « Certains gros agriculteurs s’en sortent bien, mais l’agriculture conventionnelle ne permet pas à tous de vivre », estime Joël Labbé, selon qui « il faut régénérer l’activité agricole par des fermes plus petites et par la relocalisation de l’alimentation. Ainsi, on n’aura plus besoin du glyphosate ».