"Quotas" de professionnels qualifiés d'un côté, lutte contre l'immigration irrégulière en durcissant l'accès aux soins de l'autre: Édouard Philippe a défendu "un juste équilibre" en présentant mercredi son plan immigration, critiqué jusque dans les rangs de la majorité.
"J'ai fixé un cap, une clarté, le gouvernement l'applique après les discussions intenses avec les experts et les parlementaires", a déclaré Emmanuel Macron depuis Pékin, affirmant que son rôle n'était pas de "commenter les commentaire ou les états d'âme".
"Je n'ai pas d'état d'âme et le tout est un plan très cohérent", lui a indirectement répondu dans les couloirs du Sénat la ministre de la Justice Nicole Belloubet, comme pour édulcorer ses propos tenus dans la matinée, lorsqu'elle avait émis des réserves sur les "quotas" d'immigration qui, à ses yeux, n'ont "pas marché" à l'étranger et ne peuvent "pas être la seule réponse".
Dans la matinée, le député de la majorité Jean-François Cesarini avait aussi annoncé que lui et d'autres collègues ne voteraient pas certaines mesures, déplorant un "affichage" avec "des effets pervers".
Le plan du gouvernement ponctue une longue séquence voulue par l'exécutif, désireux de ne pas laisser ce thème à la droite et l'extrême droite, mais qui a dévié ces dernières semaines, notamment sur le port du voile.
- "Reprendre le contrôle" -
"Nous voulons reprendre le contrôle de notre politique migratoire", a déclaré M. Philippe aux côtés des ministres de l'Intérieur Christophe Castaner, de la Santé Agnès Buzyn, ou du Travail Muriel Pénicaud.
Ce plan permet "un juste équilibre entre les droits et devoirs", a-t-il insisté.
Mesure la plus emblématique parmi les 20 exposées, l'instauration de "quotas" ou "objectifs quantitatifs exclusivement" pour l'immigration professionnelle en fonction de la branche d'activité - et non de la nationalité -, dont l'ampleur doit être déterminée chaque année.
M. Philippe a aussi confirmé l'objectif d'ici 2027 du "doublement du nombre d'étudiants" étrangers, actuellement au nombre de 325.000, selon des documents budgétaires pour 2020.
"Nous ne toucherons pas à la question du regroupement familial", mais "nous luttons contre toutes les fraudes, y compris au sein du regroupement familial", a répété pour sa part Christophe Castaner.
Le ministre a promis l'ouverture de trois nouveaux centres de rétention ainsi que 16.000 nouvelles places d'hébergement pour les réfugiés.
En revanche, le gouvernement prévoit un tour de vis envers l'immigration clandestine: les étrangers sans-papiers et les personnes déboutées de leur demande d'asile ne pourront bénéficier d'un maintien de leur protection maladie que pendant six mois, au lieu de 12 jusqu'à présent.
M. Castaner a encore annoncé que les campements de migrants insalubres du nord-est parisien, où se trouvent entre 1.500 et 3.000 exilés, seront "évacués avant la fin de l'année".
- "Enfumage généralisé" -
Plusieurs de ces mesures sont soutenues par une majorité de Français, selon l'institut Elabe. Quelque 64% d'entre eux avalisent l'idée de fixer chaque année des objectifs chiffrés pour l'immigration économique. Et 70% sont favorables à un délai de carence de trois mois pour l'accès des demandeurs d'asile à la protection universelle maladie.
Le nombre de titres de séjours délivrés pour des raisons économiques (près de 33.502 en 2018) ne représente qu'une petite partie des quelque 255.956 titres octroyés en 2018, selon les chiffres officiels provisoires.
Ce qui a conduit le Rassemblement national à crier à "l'escroquerie politique". Sa présidente, Marine Le Pen, a dénoncé "un enfumage généralisé" qui amène, selon elle, a "encore plus d'immigration".
Le gouvernement "ne va pas assez loin" et il "va faire revenir des migrants pour nourrir des professions qui devraient être nourries par nos jeunes", a déploré son ancien allié de la présidentielle 2017, Nicolas Dupont-Aignan,
Un sentiment partagé par Les Républicains qui s'interrogent, comme leur président Christian Jacob, sur un éventuel "affichage", soulignant que LR est "pour une approche globale" sur les quotas.
La droite, qui avait déjà porté en 2007 cette idée d'immigration "choisie" avec l'ex-président Nicolas Sarkozy, l'avait finalement abandonnée après un rapport qui avait conclu à son inefficacité.
Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, s'est dit favorable à des quotas afin que le recrutement d'étrangers "soit beaucoup plus transparent, objectif, professionnel, planifié" en fonction des besoins de l'économie.
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est dit "choqué", regrettant qu'on n'écoute pas plus les associations d'aide aux migrants qui ont dénoncé des mesures "inutiles", voire "dangereuses".
Traduisant l'inquiétude d'associations d'aide aux migrants et des droits de l'Homme, l'ONG Amnesty International a estimé que ces mesures "entretenaient un climat anxiogène et hostile aux étrangers" qui deviennent "les boucs émissaires d'un jeu électoral".