Face à l’ampleur de la crise qui se profile, le gouvernement réévalue son plan d’urgence à 100 milliards d’euros, contre les 45 milliards initialement prévus. Jeudi 9 avril, les Ministres Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont dévoilé les grandes lignes du nouveau projet de loi de finances rectificative au quotidien les Echos. La dette publique pourrait monter à 112% du PIB, un niveau jamais atteint depuis la deuxième guerre mondiale.
« Pas moyen de faire autrement »
Parmi les sénateurs de la commission des finances, tout le monde s’accorde à dire que l’exécutif n’avait pas d’autre choix que de creuser l’endettement pour éviter le pire. « On a bien compris que le gouvernement n’avait pas d’autre levier » raconte Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. « Est-ce qu’il aurait mieux valu que la France fasse ce que l’Allemagne a fait en temps et en heure ? Oui, mais c’est trop tard. Il n’y a pas moyen de faire autrement » juge le sénateur (LR) Philippe Dallier.
Depuis la crise de 2008, l’Allemagne a ramené son niveau d’endettement à 60% du PIB, contre 100% aujourd’hui en France. Ce qui permet à notre voisin « d’injecter plus d’argent dans la machine pour passer ce mauvais cap » explique Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances.
Des aides aux entreprises insuffisantes
Il regrette que les 100 milliards d’euros annoncés par le gouvernement Français concernent davantage des reports de charges que des dépenses concrètes, alors que Berlin distribue du cash aux entreprises. En France, « il y a beaucoup de travailleurs indépendants, de très petites entreprises, de commerçants pour qui le fonds de solidarité, c’est très, très insuffisant. Quand on voit qu’en Allemagne ils touchent 9000 euros, en France 1500 euros, il y a une vraie différence. » juge Albéric de Montgolfier.
Répartir l’effort
A gauche, on s’inquiète déjà de la manière dont sera financé ce plan d’urgence. « La dette d’aujourd’hui, c’est les impôts de demain » prévient Patrick Kanner, qui travaille déjà sur des amendements au projet de loi de finances rectificative. Pour lui, le gouvernement doit revoir dès aujourd’hui sa politique fiscale, pour « une répartition plus juste de l’effort ». A commencer par un rétablissement de l’impôt sur la fortune, qui rapporterait d’après lui trois milliards d’euros. « Certes, par rapport aux centaines de milliards d’euros de dépenses que nous allons engager ça peut paraître faible. La vraie question ce n’est pas la masse, mais le symbole que cela représente sur l’effort des uns et des autres » explique le Sénateur du Nord.
Changer les règles du jeu
La proposition est partagée par le communiste Eric Bocquet, qui réfléchit également à des amendements pour créer une sixième tranche d’imposition à 50%, et une taxation sur les dividendes. « En 2019, elles ont augmenté de 12%. On a distribué 50 milliards d’euros aux actionnaires. Si on veut apporter une réponse en gardant les mêmes règles du jeu, on est à côté de la plaque » tranche le sénateur du Nord.
« Il faudra que le gouvernement écoute le Sénat »
La majorité sénatoriale ne semble cependant pas disposée à revoir la fiscalité dans l’urgence. « La priorité ce n’est pas de tuer la relance en annonçant des impôts » estime Vincent Capo-Canellas. La droite et le centre préfèrent monter au créneau sur l’annulation des charges. « Beaucoup d’entreprises vont avoir d’énormes difficultés à honorer les charges qui sont décalées. Le décalage c’est bien, mais pour une partie au moins des entreprises il faudra réfléchir à une exonération. Il faudra que le gouvernement écoute le Sénat » prévient le sénateur centriste.
Les oubliés des aides aux entreprises
L’autre point de vigilance de la majorité portera sur tous les oubliés des aides aux entreprises. « On a identifié des cas qui aujourd’hui ne sont pas couverts, des gens qui n’ont rien pour vivre, si vous êtes travailleur indépendant, un guide touristique indépendant par exemple, vous n’avez rien pour vivre » s’inquiète Albéric de Montgolfier. Le rapporteur général compte sur ce deuxième projet de loi de finances rectificatives pour corriger le tir.
Le 20 mars dernier, le premier plan d’urgence avait été adopté par un vote conforme du Sénat. C’était seulement trois jours après le début du confinement. « Il fallait absolument que le chômage partiel entre en vigueur de manière immédiate, sinon on courait à la catastrophe » se souvient Philippe Dallier. « Aujourd’hui on n’est pas tout à fait dans la même urgence, donc il n’est pas écrit qu’on va se limiter à un vote conforme » ajoute le sénateur de Seine-Saint-Denis. Le nouveau projet de loi de finances rectificative sera examiné au Sénat le 21 avril. Cette fois, « il y aura un vrai débat », prévient Albéric de Montgolfier.