Social : les syndicats reprochent au gouvernement de les « mépriser »

Social : les syndicats reprochent au gouvernement de les « mépriser »

Alors que le gouvernement reste ferme sur les différents conflits, certains reprochent à « Emmanuel Macron de faire fi de tous les corps intermédiaires ». Si l’unité syndicale tient à la SNCF et apparaît chez les fonctionnaires, la convergence des luttes ne prend pas sur le plan national.
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Au dixième jour du mouvement de grève perlée à la SNCF, la situation semble toujours bloquée. L’intersyndicale se réunit en fin d’après-midi quand le gouvernement, par la voix de son porte-parole Benjamin Griveaux, appelle les organisations à « regagner » demain la table des négociations, qu’ils ont quitté la semaine dernière. Mais les syndicats, unis sur la question de la réforme de la SNCF, reprochent à l’exécutif de ne pas bouger. Emmanuel Macron a d’ailleurs prévenu, dans un entretien à la chaîne américaine Fox News : il n’y a « aucune chance » qu’il recule sur ses réformes.

Edouard Philippe reçoit les syndicats de la SNCF le 7 mai

Edouard Philippe fait pourtant mine de vouloir discuter. Il a invité l'ensemble des syndicats à des réunions bilatérales le 7 mai à Matignon sur la réforme ferroviaire, dans une lettre qu'il leur a adressée mardi. « Le Premier ministre prend le dossier en main, c'est un élément positif pour nous à mettre au crédit du rapport de force », a déclaré dans la soirée Laurent Brun, de la CGT cheminots, à l'issue d'une réunion de l'intersyndicale (CGT, Unsa, SUD, CFDT). Les cheminots se rendront à Matignon avec « de fortes exigences ». Pour l'Unsa, l'invitation à Matignon est « un élément important de ce mouvement. La mobilisation continue de manière unitaire jusqu'au 7 c'est évident. Et le 7 on attend un point de rupture au niveau de Matignon qui pourrait nous amener à engager de réelles négociations », a expliqué Roger Dillenseger à la presse. « On verra le 7 mai si ce n'est pas un coup de com' du Premier ministre », a commenté de son côté Erik Meyer, secrétaire fédéral du SUD-Rail.

Interrogé un peu plus tôt par publicsenat.fr, avant l’annonce de l’invitation du premier ministre, il se montrait pour le moins sur ses gardes. « On veut bien revenir autour de la table mais il faut qu’on arrête de nous prendre pour des cons ! » a prévenu Eric Meyer. « On ne veut pas servir de caution au gouvernement, qui dirait qu’il a concerté et négocié » ajoute le cheminot, prêt à revenir « autour de la table à condition d’un cadrage précisé et d’une méthode. Il faudrait avoir du grain à moudre. Mais le gouvernement ne veut pas en donner. Il refuse de négocier ».

Lors de l’examen de la réforme à l’Assemblée, certaines garanties ont été apportées pour les cheminots qui seront transférés vers des entreprises privées, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Mais pour Eric Meyer, « il n’y a rien dedans. C’est le code du travail ! ». « On dit qu’ils seront transférés avec la régime de retraite, mais il sera sur la sellette début 2019… Ça nous fait rire. Ce n’est plus un sac à dos, c’est un porte-monnaie social » raille le responsable de SUD-Rail.

Laurent Brun (CGT cheminot) : « Est-ce que le gouvernement va s’entêter ? Dans ce cas, il prendra la responsabilité d’un conflit de plus en plus long »

Face à ce blocage réciproque, l’éventualité d’un prolongement de la grève cet été commence à être évoquée. Mais SUD-Rail, pourtant syndicat le plus remonté, avec la CGT, reste prudent sur le sujet. « C’est une décision qu’on prendra en intersyndical. Elle n’est pas à l’ordre du jour. On est fin avril. Il peut se passer beaucoup de choses » d’ici le mois de juin, tempère Eric Meyer. La menace est à peine voilée, en revanche, de la part du secrétaire général de la CGT cheminot, Laurent Brun : « Est-ce que le gouvernement va s’entêter ? Dans ce cas, il prendra la responsabilité d’un conflit de plus en plus long » a-t-il prévenu ce mardi, lors d’un rassemblement à Paris.

Encore faut-il que les grévistes suivent. Selon Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail, « le mouvement ne s’essouffle probablement pas. Ce qui s’essouffle, par contre, c’est la raison pour laquelle on fait grève aujourd’hui. En France, on fait de moins en moins grève et de plus en plus de négociation. L’invitation de Benjamin Grivaux a un petit côté infantilisant pour les organisations syndicales. (…) Le gouvernement ne laisse pas suffisamment faire entre patronat et syndicats, entre les acteurs » a-t-il estimé sur le plateau de Public Sénat. Regardez :

Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail : « Le mouvement à la SNCF ne s’essouffle probablement pas »
00:56

« Craintes fortes » chez les fonctionnaires

Sur un autre front, celui des fonctionnaires, l’unité syndicale est maintenant aussi de mise. La CFDT, qui n’avait pas suivi lors de la première journée de mobilisation, a rejoint l’appel à la mobilisation lancé par l’intersyndicale pour le 22 mai. « On continue à avoir des craintes qui n’ont pas été levées par le gouvernement. Il y a le maintien d’une approche très budgétaire sur le sujet de la fonction publique » affirme à publicsenat.fr Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques.

« On a quand même obtenu, avec les huit organisations, que le gouvernement accepte d’avancer le rendez-vous salariale à la mi-juin » reconnaît-elle, « mais les craintes sont fortes et les points de frictions sont nombreux », entre le gel du point d’indice, le rétablissement du jour de carence ou la question des carrières.

Laurent Berger (CFDT) : « Ce n’est pas en faisait une convergence des luttes qu’on y arrivera »

Mais si les syndicats peuvent se retrouver unis par secteurs, on en est loin sur le plan national. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a exclu la semaine dernière, sur Public Sénat, toute convergence des luttes. Question de culture et stratégie syndicale. « Est-ce que parfois il y a des points communs entre salariés dans ce pays ? Evidemment. Mais il y a aussi des combats spécifiques selon les champs professionnels. Dans les Ehpad, nous demandons que les aides soignants soient revalorisés de catégorie C à B. Et ce n’est pas en faisait une convergence des luttes qu’on y arrivera, ça c’est sur ». La proposition du numéro 1 de la CGT, Philippe Martinez, d’un défilé commun pour le 1er mai, ne prend pas non plus. « La CFDT sera avec la CFTC et l’Unsa à Paris pour parler de nos revendications, nous aurons un rassemblement spécifique et nous ne le ferons pas avec la CGT » a expliqué Laurent Berger. Regardez :

Laurent Berger (CFDT) : « Ce n’est pas en faisait une convergence des luttes qu’on y arrivera »
00:52

« C’est logique pour nous d’être sur des mobilisations sectorielles, avec mot d’ordre identifiable et des avancées possibles pour les salariés. Là, on peut se retrouver entre syndicats » explique Mylène Jacquot. « Mais avec l’idée de convergence des luttes, on dépasse le cadre syndical, dès lors qu’il n’y a plus de mots d’ordre clairement identifiables, hormis politiques ».

Reste à voir ce que fera FO, en plein congrès à Lille. Le successeur de Jean-Claude Mailly, Pascal Pavageau, est sur une ligne plus dure (voir le sujet de Jérôme Rabier en tête d'article). La convergence des luttes n’est pas un gros mot pour lui et son syndicat pourrait être plus enclin à accepter un mouvement interprofessionnel.

Mylène Jacquot (CFDT Fonctions publiques) : « Pour le corps social, ce n’est jamais très bon d’avoir l’impression d’être méprisé »

A défaut d’unité syndicale dans la rue, les organisations s’accordent pour dénoncer le manque de concertation de la part du gouvernement. Il laisse peu de place aux organisations pour peser, et finalement exister. « Emmanuel Macron fait fi de tous les corps intermédiaires pour pouvoir imposer son idée » s’indigne Eric Meyer, de SUD-rail. Il ajoute : « Le débat, ça l’emmerde. Le compromis, ça l’emmerde ». Même constat à la CGT : « On n’a jamais autant entendu prononcer le mot « concertation ». Mais alors pourquoi, quand les organisations syndicales et patronales signent un accord majoritaire sur la formation professionnelle - et je suis à l’aise, nous ne l’avons pas signé -, pourquoi ne respecte-t-elle pas cet accord ? C’est bien la démonstration qu’ils peuvent parler sans cesse de concertation, quand quelque chose ne leur plaît pas, ils font ce qu’ils veulent » souligne Philippe Martinez, dans un entretien au Bien Public. Eric Meyer de Sud-Rail ajoute :

« Aujourd’hui, même les syndicats réformistes ne sont plus écoutés par le gouvernement. A la SNCF, ça fait très longtemps qu’on n’a pas vu la CFDT appeler à la grève au-delà de 10 jours. On sent la volonté chez Emmanuel Macron de se passer des corps intermédiaires ».

Avec ses mots plus mesurés, Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, met aussi en garde. « On est un peu inquiets de la qualité du dialogue social. On a trop souvent l’impression que le gouvernement arrive avec des choix déjà faits et qu’il y a peu d’écoute » constate la syndicaliste. La responsable de la CFDT « espère qu’il y a toujours de la place à la concertation, voire une négociation possible ». Mais Mylène Jacquot ajoute qu’« il ne faut jamais mépriser la parole des agents et de leurs représentants. Ils ont des propositions à faire. Pour le corps social, ce n’est jamais très bon d’avoir l’impression d’être méprisé ».

 

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