Cocaïne : un rapport du Sénat pointe l’importance du trafic en provenance de Guyane

Cocaïne : un rapport du Sénat pointe l’importance du trafic en provenance de Guyane

Une mission d’information du Sénat a évalué les moyens mis en œuvre pour lutter contre le trafic de cocaïne entre la Guyane et l’Hexagone. Pour chaque vol qui relie Cayenne à Orly, une dizaine de « mules » transportent en moyenne 1,9 kilogramme de cocaïne chacun. Les sénateurs axent leurs préconisations sur la formation et la réinsertion des passeurs.
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Une mission d’information du Sénat a évalué les moyens mis en œuvre pour lutter contre le trafic de cocaïne entre la Guyane et l’Hexagone. Pour chaque vol qui relie Cayenne à Orly, une dizaine de « mules » transportent en moyenne 1,9 kilogramme de cocaïne chacun. Les sénateurs axent leurs préconisations sur la formation et la réinsertion des passeurs.

« La drogue, c’est de la merde » déclarait il y a peu le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Au Sénat, une mission d’information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, préfère parler « de fléau et de drame ». Mise en place en mai dernier à la demande du groupe LREM, la mission présentait ses conclusions, ce mardi, par les voix de son rapporteur, l’élu de la collectivité territoriale d’Outre-mer, Antoine Karam (app LREM) et de son président, le sénateur centriste de Haute-Loire, Olivier Cigolotti.

Adopté à l’unanimité des membres de la commission, le rapport de 80 pages dresse le premier état des lieux de l’ampleur d’un phénomène en plein essor. « J’espère que ce rapport ne finira pas dans les tiroirs du ministère. C’est l’image de la France qui est en jeu » espère Antoine Karam qui ne se représente pas aux élections sénatoriales.

2 500 passages empêchés en 2019

Ce sont d’abord des chiffres alarmants. La production mondiale de cocaïne est passée de 1000 tonnes par an en 2013 à plus de 2000 en 2020. Depuis quelques années, le Suriname, État frontalier de la Guyane est devenu « une véritable plaque tournante » du trafic de cocaïne en Amérique du Sud. Les passeurs récupèrent la drogue à Albina, ville surinamaise située en face de Saint-Laurent-du-Maroni, avant de se rendre à Cayenne à l’opposé du département où ils tentent de prendre un vol commercial vers Orly.

Dans ce département d’Outre-mer, touché par des difficultés économiques et sociales, à forte croissance démographique, « les passeurs sont principalement des jeunes privés d’emploi et de perspectives d’insertion socio-professionnelle (43% des jeunes Guyanais ne sont ni en emploi, ni en formation) ou des personnes en grande précarité » (…) le transport de la cocaïne, en provenance du Suriname voisin, peut en effet rapporter de 2 000 à 10 000 euros par voyage, une somme sans équivalent dans une région défavorisée » notent les sénateurs. Achetée 3 500 euros le kilo, la cocaïne peut être revendue dix fois plus chère en métropole. Le trafic « irrigue désormais tout le territoire métropolitain, avec une prédilection pour les villes de province (Poitiers, Rennes, Nantes, Nancy, Limoges, Roubaix par exemple), où il alimente la délinquance et l’économie parallèle » relèvent les parlementaires.

Antoine Karam, témoin du décès d’une passeuse dans un vol Cayenne-Orly

Dans l’hexagone, la cocaïne en provenance de Guyane représente « 15 à 20% des entrées » sur un territoire où l’on compte 600 000 consommateurs réguliers.  Pour chaque vol qui relie Cayenne à Orly, une dizaine de passeurs transportent en moyenne 1,9 kilogramme de cocaïne chacun, dans leur corps sous forme de capsules ou dans leurs bagages. Une pratique qui a marqué douloureusement Patrick Karam, lui-même, il y a trois ans. « Le 17 février 2017, nous étions plusieurs parlementaires dans un avion entre Cayenne et Paris. À l’arrivée, (…) On nous a annoncé qu’une jeune femme de 35 ans originaire du Maroni était décédée en présence de son enfant de trois ans parce qu’elle a eu une boulette de cocaïne qui a explosé dans son ventre. Ça n’a pas été supportable et ça nous a marqué particulièrement. À partir de ce moment, j’ai voulu qu'on accélère le processus pour pouvoir dire à l’Etat, il faut agir vite et efficacement » rapporte le sénateur de Cayenne. Avant d’ajouter, « depuis mon arrivée au Sénat en 2014, j’ai toujours milité pour que la question du trafic de stupéfiants soit prise en compte au plus haut niveau de l’État (…) J’ai fini par être entendu et dans le groupe politique auquel j’appartiens, j’ai fini par être entendu et cette mission a été mise en place ».

Avec une trentaine d’auditions en quatre mois, la mission n’a pu se rendre en Guyane en raison de la crise sanitaire mais a effectué un déplacement à Orly en juillet. « Il n’y a aucune saisie ce jour-là, le trafic s’est effondré pendant la période de Covid. Nous avons appris qu’il a repris depuis quelques semaines » rapporte Antoine Karam.

Malgré, le plan interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » qui a permis d’empêcher quelque 2 500 passages en 2019, (soit près de 7 arrestations par jour), le trafic ne ralentit pas. Au contraire, le nombre de passeurs s’est multiplié afin de « maximiser les chances de succès ».

Parmi ses préconisations, la mission demande le déploiement de nouveaux équipements, tels que des scanners à rayons X, à l’aéroport Felix Eboué de Cayenne, la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100% » à l’arrivée des vols en provenance de Guyane, à l’image de ceux pratiqués par les Pays-Bas sur les vols venant de pays à risques, mais aussi de conforter la solidité juridique des arrêtés préfectoraux d’interdiction d’embarquer (814 en 2019). « Les deux scanners à l’aéroport Felix Eboué ont été mis en place le 17 juin en pleine période de Covid. Il est encore trop tôt pour évaluer leur impact » précise Olivier Cigolotti.

Développer l’offre de formation pour les jeunes Guyanais

En ce qui concerne le volet prévention, la mission recommande notamment la participation de passeurs repentis à certaines actions. « Il faudrait aussi prévoir des (…) lieux d’accueil où les personnes souhaitant sortir du trafic, ou sur le point d’y basculer, pourraient trouver aide et conseil ». De manière générale, le développement de l’offre de formation dans les communes enclavées de l’intérieur et de l’ouest du département doit être une priorité. Pour ce faire « un vrai effort budgétaire doit être consenti en faveur de cette politique, trop longtemps négligée » plaident les élus.

Privilégier la réinsertion

Enfin, les sénateurs demandent d’axer la politique pénale vers la réinsertion socio-professionnelle. « Il convient d’éviter à tout prix les sorties « sèches » et privilégier la réinsertion, en permettant aux détenus de se former et en utilisant les dispositifs légaux récemment créés (sursis probatoire renforcé, continuité de l’accompagnement en milieu ouvert et en milieu fermé…) (…) Le lieu d’incarcération devrait être déterminé en fonction du projet d’insertion et non du lieu d’interpellation, comme actuellement » proposent les sénateurs.

 

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