Prix de l’électricité : un avis de tempête sur les PME ? L’inquiétude monte chez certains sénateurs

Prix de l’électricité : un avis de tempête sur les PME ? L’inquiétude monte chez certains sénateurs

Les entreprises françaises se préparent à voir leurs factures d’électricité bondir en 2023. Si certains grands groupes ont déjà annoncé une réduction de leur activité pour encaisser le choc, les PME et les artisans redoutent de mettre la clef sous la porte. Au Sénat, les dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement laissent perplexe, et la nécessité d’un retour à un tarif réglementé de l’électricité revient sur de nombreuses lèvres, à gauche comme à droite.
Romain David

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Impactés par l’inflation et la hausse des prix de l’énergie, les entreprises françaises se préparent à un hiver difficile. Fin août, le groupe sidérurgique Ascometal a jeté un premier pavé dans la mare en annonçant aux syndicats des interruptions de production en novembre et en décembre sur ses sites de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Hagondange (Moselle). Conséquence : une partie des 1 200 salariés va se retrouver au chômage partiel. Début septembre, la verrerie Duralex lui a emboîté le pas : elle mettra son four à l’arrêt pendant quatre mois et ses 250 salariés au chômage partiel pour éviter de subir des pertes financières liées au prix de l’énergie. Le même jour, c’est la cristallerie d’Arc qui a commencé à baisser sa production : sur 4 600 salariés, 1 600 resteront au chômage partiel jusqu’à la fin de l’année. « Nous n’en sommes qu’au début, cette liste va continuer à s’allonger… », soupire le sénateur LR Philippe Mouiller, vice-président de la commission des Affaires sociales.

« Aujourd’hui, le coût de l’électricité fait vaciller toute notre économie »

Les difficultés rencontrées par les sociétés françaises pour faire face à la hausse des tarifs de l’électricité inquiète de plus en plus cet élu. Ces différentes annonces, alerte-t-il, sont l’arbre qui cache la forêt : à la fin de l’année, les contrats de fourniture d’électricité de nombreuses entreprises arriveront à échéance. En raison de la conjoncture, les distributeurs refusent de renouveler leurs tarifs, d’autres de prendre de nouveaux abonnés. « Dans mon département, je suis sollicité par beaucoup d’entreprises qui voient leur facture prévisionnelle pour l’année prochaine multipliée par deux, trois, cinq ou six ! », alerte Philippe Mouiller. « Je ne suis pas certain que le gouvernement se rende compte de la gravité de la situation. L’impact sera limité pour les grands groupes financiers, mais les entreprises qui dégagent de faibles marges, les petits artisans risquent le dépôt de bilan. » Et de multiplier les exemples : « Je viens d’un territoire ou il y a beaucoup de producteurs de pommes. Sans aide, ils vont devoir arrêter leur activité. J’ai discuté avec un restaurateur dont la facture d’électricité mensuelle va passer de 1 500 euros à 5 000 euros par mois. Il m’a dit qu’il envisageait d’arrêter. »

Au sein de la Chambre haute, cette inquiétude est partagée au-delà des rangs de la droite. « Si les entreprises électro-intensives, celles dont l’activité nécessite une consommation importante, voient leur facture énergie peser pour 20 à 30 % de leurs coûts, elles basculeront en chômage partiel en attendant que ça retombe », prédit le sénateur communiste de Seine-Saint-Denis Fabien Gay. À moyen terme, les conséquences pourraient être nombreuses sur l’économie française : baisse de la production, augmentation du coût des produits manufacturés, déstabilisation du marché de l’emploi avec une hausse du chômage… « Nous sommes déjà dans un moment d’hyperinflation. Le risque, c’est celui d’une récession », poursuit Fabien Gay. Philippe Mouiller résume : « Aujourd’hui, le coût de l’électricité fait vaciller toute notre économie. »

Des dispositifs d’aides insuffisants pour affronter un « problème systémique » ?

Pour faire face au choc énergétique, les entreprises bénéficient pourtant d’un dispositif spécifique, mis en place en mars dernier avec le pacte de résilience. Prévues pour s’arrêter au 31 septembre, elles ont été prolongées jusqu’au 31 décembre la semaine dernière. Mais sur le fonds de 3 milliards d’euros alloués, seuls 500 000 euros ont été dépensés en six mois. Sur BFMTV, le ministre de l’Economie a reconnu que la complexité administrative du dispositif, son caractère trop restrictif, a pu agir comme repoussoir et annoncé une simplification. « Lorsqu’un dispositif ne marche pas, il faut le changer », a admis Bruno Le Maire.

Concrètement, il s’agit d’une subvention destinée à amortir une partie des surcoûts engendrés par la hausse des prix de l’énergie. Elle s’adresse aux entreprises qui ont vu leur facture de gaz ou d’électricité doubler par rapport à 2021 pour un coût global qui représente au moins 3 % de leur chiffre d’affaires. Trois paliers de subventionnement ont été mis en place par Bercy : 30 % des surcoûts pour un plafond à 2 millions d’euros, 50 % des surcoûts pour un plafond à 25 millions d’euros et 70 % des surcoûts pour un plafond à 50 millions d’euros. Ce sont les critères d’éligibilité au premier palier qui ont été revus.

Alors que le projet de loi de finance 2023 est toujours en cours de gestation, un second volet de mesures pourrait être annoncé prochainement. Une réunion sur le sujet réunira le 16 septembre Roland Lescure, ministre délégué en charge de l’Industrie, Olivia Grégoire, ministre délégué en charge des PME, et des « acteurs économiques », selon une information du journal Les Echos. Mais les sénateurs restent dubitatifs. « Ces mesures ne correspondent pas aux besoins. Les aides permettent d’affronter des difficultés ponctuelles, de traverser une situation conjoncturelle, comme ce que nous avons connu pendant le covid-19. Là, nous sommes face à un problème systémique puisqu’on nous annonce une hausse sur les trois prochaines années », soupire Philippe Mouiller. Même son de cloche du côté de son collègue communiste : « Il faut arrêter de multiplier les aides ponctuelles pour maintenir un système qui ne marche pas », s’agace Fabien Gay. Dans son viseur : les défaillances du marché européen de l’énergie.

La flambée des cours du gaz pénalise l’ensemble du marché

Pour de nombreux élus au sein de la chambre haute, la racine du problème se trouve du côté de la tarification. « La seule réponse à la crise ne peut être le soutien à coups de dépenses publiques… Le quoi qu’il en coûte modèle covid-19 mobilise des milliards sans rien résoudre », estime auprès de Public Sénat la sénatrice LR Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. « Les PME, mais aussi les collectivités territoriales, ne peuvent faire face à ces hausses. Il faut donc urgemment repenser tout le modèle de tarification. Il nous faut une réponse structurelle accompagnée d’un plan de sobriété. »

Les entreprises peuvent déjà bénéficier d’un tarif régulé via l’Arenh, qui correspond à un volume d’électricité d’origine nucléaire qu’EDF est tenu par l’Etat de vendre à prix coûtant aux fournisseurs alternatifs, et ce afin d’éviter une situation de quasi-monopole sur le marché. Mais la part d’Arenh attribuée à l’usager est encadrée par les textes : elle ne dépasse pas 80 % de la consommation totale. Pour le reste, le tarif de l’électricité est déterminé en fonction du marché mondial. Il est régi par le principe du « coût marginal », qui consiste à prendre comme référence le coût de la dernière unité de production utilisée pour alimenter le réseau. Actuellement, les centrales thermiques, notamment celles au gaz, forment ce dernier maillon dans la mesure où un nombre important de réacteurs nucléaires est à l’arrêt (32 sur 56) pour des opérations de maintenance. Le conflit en Ukraine ayant entraîné des perturbations importantes sur l’approvisionnement européen en gaz, ces difficultés se répercutent sur les coûts.

Conséquence de ce mécanisme : même l’électricité issue de moyens de production qui ne sont pas soumis à la conjoncture mondiale, comme les énergies renouvelables (éolien, solaire) et le nucléaire, subit la hausse liée au gaz. C’est pour cette raison que certains responsables politiques appellent à une remise à plat des règles de tarification. D’autant que le nucléaire couvre entre 60 et 70 % de la production d’électricité française. Toutefois, ce chiffre pourrait baisser d’environ 20 % en 2022 par rapport aux années précédentes, selon des prévisions publiées par EDF. Une situation qui oblige la France à envisager l’achat d’électricité à ses voisins ou à relancer ses centrales à charbon et au gaz. Pour certains, la solution la plus durable consisterait donc à revenir au tarif réglementé, encadré par l’Etat.

« L’urgence, c’est d’intervenir sur la tarification de l’électricité, et de revenir à un tarif réglementé. L’Espagne et le Portugal sont déjà sortis du marché européen. C’est un débat que nous devons avoir », estime Philippe Mouiller. En vérité, Madrid et Lisbonne ont obtenu de Bruxelles des dérogations liées à leur situation géographique ; la péninsule ibérique ne dispose pas de connexions suffisantes avec le reste du continent et s’appuie fortement sur ses énergies renouvelables. Mais pour Philippe Gay, cette situation crée tout de même un précédent qui doit servir de « point d’appui » à la France. Surtout, le communiste se félicite de voir une idée longtemps défendue par son camp gagner du terrain : « On a prêché dans le vent pendant des années. Il y a un an encore, on nous riait au nez. S’ils veulent y aller, tant mieux, allons-y ! Mais avec tout ce temps perdu, nous sommes déjà dans le mur. »

» Lire notre article - Prix de l’électricité : les Européens vont-ils s’entendre pour mettre à contribution les énergéticiens ?

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