Le littoral en danger : comment sortir la tête de l’eau ?

Le littoral en danger : comment sortir la tête de l’eau ?

S'ils sont convoités au moment des vacances estivales, nos bords de mers sont aussi des zones de plus en plus fragilisées : partout en France, tempêtes hors normes, submersions marines ou érosion accélérée inquiètent. Dans ces espaces qui vivent quasiment uniquement du tourisme, il semble que l’homme soit en grande partie responsable de ces évènements, mais dans quelle mesure peut-il aussi être force de solution dans cet engrenage ? Éléments de réponse.
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Par Marie Oestreich

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Le 26 février 2010, la tempête Xynthia balayait la France et causait d’immenses dégâts notamment en Charente-Maritime et en Gironde. Avec un bilan de 47 morts, c’était la tempête la plus meurtrière depuis celle de 1999. En première ligne : les bords de mer, submergés par la montée des eaux et victimes d’un recul des plages de plus en plus flagrant. Cette catastrophe climatique, qualifiée par le Sénateur des Côtes-d’Armor Michel Vaspart de « traumatisme national », a remis les pendules à l’heure quant à la fragilité du littoral français. L’érosion qui grignote les côtes « sur énormément de zones sableuses basses » transforme des pans entiers du littoral en « secteurs très vulnérables » pour Solange Pupier-Dauchez, enseignante chercheure à l’université de Bordeaux-Montaigne et spécialiste de la gestion du littoral qui a vécu de près la tempête Xynthia. Plus alarmant encore, d’après Valentin Przyluski, ancien conseiller technique au ministère de l’écologie et auteur d’un livre sur les leçons de la tempête Xynthia, « les évènements extrêmes dans diverses formes vont se multiplier ». On est donc en droit de s’interroger sur la responsabilité de l’homme dans ces évènements. Valentin Przyluski apporte une réponse nuancée : Si « un lien peut être fait » entre la montée des océans et des phénomènes comme Xynthia ou l’érosion du littoral, « Les cas individuels ne peuvent pas être traités sous le prisme du changement climatique de manière immédiate. On ferait là une erreur très importante. On a besoin d’une série temporelle pour pouvoir dire de manière certaine que c’est l’impact de l’homme qui cause le changement climatique et que ce changement climatique cause une évolution des phénomènes extrêmes. »

« Les évènements extrêmes dans diverses formes vont se multiplier. »

Des digues contre l’océan : un rempart illusoire ?

Pour se protéger, dans les zones fragiles proches des estuaires, l’homme a construit de nombreux ouvrages. Mais la tempête Xynthia a montré les limites de ces remparts. L’immense digue construite à la Faute-sur-mer en est un exemple. Solange Pupier-Dauchez nous l’explique : « Ces ouvrages sont là pour arrêter la mobilité naturelle des sédiments. Donc ils sont construits pour protéger une commune de la submersion mais une submersion classique « d’hiver », pas une submersion type Xynthia. Si on veut qu’ils protègent de catastrophes comme Xynthia, il faudrait tous les rehausser de 1.5 mètres. Sauf que sur un littoral comme celui de l’Ile de Ré, les habitants ne verraient plus l’horizon. Alors qu’ils sont là pour voir la mer, ils verraient un mur. »

Les digues : des outils suffisants pour protéger les habitations sur le littoral ? #UMED
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Dans ce contexte, peut-on alors concilier tourisme et conservation du littoral ?

Tourisme de masse et protection des espaces naturels : le grand dilemme

Ce dilemme, l’ex conseiller au ministère de l’écologie l’analyse de cette manière : « Le tourisme a pris un poids excessif. A partir du moment où l’économie vit beaucoup trop à partir du tourisme, et pas assez sur des activités plus stables, le décideur est poussé à la faute et va continuer à pousser son dynamisme local. »

 

Constructions sur le littoral : « Le décideur est poussé à la faute pour continuer à pousser son dynamisme local » #UMED
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« Le tourisme a pris un poids excessif. [...] le décideur est poussé à la faute. »

Dans des zones où le développement économique est avant tout basé sur le tourisme, il semble difficile de faire machine arrière. La spécialiste du littoral insiste : « Ce sont des lieux de vie, les gens y mélangent de l’émotion, du souvenir », et prennent le risque de rester ou de s’installer dans des zones enclines à des aléas climatiques. Pourtant, Jean-Laurent Félizia, conseiller municipal EELV du Lavandou et initiateur de la pétition contre la modification de la loi littoral en 2017, rappelle que des outils existent depuis environ 40 ans pour contrer ce problème : « La loi littoral du 3 janvier 1986 et la loi du 2 juillet 1975 qui a créé le conservatoire du littoral sont des outils qui ont été les deux gestes administratifs et politiques les plus forts de la Ve République. Ils ont eu pour portée de considérer le littoral comme un enjeu d’urbanisation qui devrait aujourd’hui glisser vers un enjeu d’impact climatique. ». Le problème, pour Solange Pupier-Dauchez, c’est que « des maires délivrent encore des permis de construire sur ces zones à risque » car « le maire subit une pression de la part de gens qui vont s’installer et dynamiser le territoire. Donc on oublie le risque parce que pendant des années les digues qui protègent ces zones ont très bien fait leur office. Le problème c’est lorsqu’on a une tempête comme Xynthia qui est d’ampleur peu commune et où l’eau passe par-dessus la digue, on a l’effet pervers de la digue, c’est-à-dire qu’elle enferme l’eau et aggrave ce qui se passe au départ. ». Si le sénateur rappelle que depuis Xynthia, de nombreuses mesures ont été mises en place tant par l’État que par les collectivités locales pour empêcher les élus de « faire n’importe quoi », il ne dément pas ce constat.

« On oublie le risque parce que pendant des années les digues qui protègent ces zones ont très bien fait leur office. »

Aménagement du territoire : « Un débat national » à engager

Symbole de ce dilemme, à Soulac-sur-Mer, en Gironde, la résidence Le Signal, bâtie en 1967, a dû être évacuée en janvier 2014, parce que l´ensemble du bâtiment risquait de basculer dans l´océan. L’histoire de cet immeuble, c’est l’histoire de l’érosion côtière qui ronge de plus en plus nos littoraux français. Après 4 ans de querelles administratives, une disposition a été votée en décembre 2018 pour permettre aux copropriétaires d’être indemnisés. Le sénateur Michel Vaspart connaît bien le dossier : il a reçu les copropriétaires de l’immeuble au Sénat. Preuve de la responsabilité de l’État dans cette affaire, certes, mais « l’amendement d’indemnisation est ici un cas spécifique ».

Le bâtiment
Image issue du documentaire "Soulac-sur-mer, ton littoral fout le camp", de Pierre-Oscar Levy - Crescendo media films


Alors, quelles solutions pérennes et globales apporter pour sauver notre littoral ? Arrêter de construire ? Ce serait « sage » pour Solange Pupier-Dauchez. Trouver des solutions législatives pour relocaliser certaines activités plus loin dans les terres ? C’est une des réponses proposées par le sénateur. Mais Valentin Przyluski précise : « Il faut élargir le champ de compréhension pour permettre aux communes de réfléchir sur un territoire plus large, pour faire en sorte que certains services d’une commune puissent être accessibles dans une autre commune plus en retrait. Donc il y a une réflexion pour globaliser la côte. ». Ralentissement du tourisme de masse et développement économiques sont-ils vraiment inconciliables ? Pour Jean-Laurent Felizia, la solution est de parier sur « un tourisme de qualité » et favoriser des activités plus locales et en phase avec la transition énergétique « au lieu d’accélérer encore le processus de tourisme de masse en aménageant le littoral. »

Jean-Laurent Felizia, élu EELV du Lavandou : « Il y a un grand débat national à engager sur ce que l’on veut faire de ce littoral ? » #UMED
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En somme, comme Jean-Laurent Félizia le martèle « il y a un grand débat national à engager sur ce que l’on veut faire de ce littoral ». Espace économique, espace naturel ou croisement rationnel entre les deux ? De nombreuses solutions semblent être envisageables. Même si pour Michel Vaspart « on n’arrêtera pas le recul du trait de côte sur l’ensemble du territoire français », il semblerait dommageable de voir la situation actuelle comme une fatalité. Au moment où l’érosion du littoral fait partie des questions suggérées dans le Grand débat national, un tournant des mentalités reste donc à opérer.

 

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