Report de l’élection présidentielle : « La date n’est pas le principal souci » explique Benjamin Morel, spécialiste en droit public

Report de l’élection présidentielle : « La date n’est pas le principal souci » explique Benjamin Morel, spécialiste en droit public

Avec près de 16 000 personnes hospitalisées et plus de 3 000 en réanimation, « nous battons les records en termes de taux d’incidence », a annoncé le gouvernement. Cette situation sanitaire critique peut-elle faire reporter l’élection présidentielle prévue pour les 10 et 24 avril 2022 ? 
Public Sénat

Par Chantal Baoutelman

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Face à la reprise de l’épidémie et la progression fulgurante du variant Omicron, le gouvernement a décidé la mise en place express d’un passe vaccinal pour janvier. Dans ce contexte, certains s’inquiètent des conditions du scrutin présidentiel prévu les 10 et 24 avril prochains. Le sujet a été évoqué lors du Conseil des ministres du mercredi 22 décembre, et, pour l’exécutif, le verdict est clair : la question du report de la présidentielle ne se pose pas. « Les échéances démocratiques de notre pays seraient maintenues, parce qu’il en va de la vie démocratique de notre pays », a déclaré Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement.

Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II et docteur en science politique, le report de l’élection présidentielle pour cause de crise sanitaire ne paraît pas non plus pertinent. Ce spécialiste du droit public décrypte la procédure pour Public Sénat.

Que vous inspire le débat actuel sur le report de l’élection présidentielle ?

On hiérarchise mal les problèmes de débat. Sur le plan juridique, la date de l’élection n’est pas le principal souci. La difficulté cardinale se trouve du côté du terme du mandat d’Emmanuel Macron. La passation des pouvoirs entre François Hollande et Emmanuel Macron ayant eu lieu le 14 mai 2017, la fin du mandat est fixée au 13 mai 2022. S’il n’y a pas d’élections avant, il n’y a théoriquement plus de président. Ensuite, selon l’article 7 de la Constitution, l’élection présidentielle ne peut avoir lieu qu’entre 20 jours et 35 jours avant l’expiration du mandat du président en exercice. Cela veut dire que, avec un Conseil constitutionnel bienveillant, on peut reporter le scrutin de quelques jours, mais pas plus.

Quelles sont justement les alternatives ?

Si le Conseil constitutionnel, le Parlement et l’opposition s’entendent sur un report d’une semaine, c’est juridiquement discutable, mais peut-être faisable. Mais si l’on parle d’un report de quelques mois, alors la révision constitutionnelle s’impose. Car après le terme de son mandat, Emmanuel Macron ne sera plus président. Et là, on aura un véritable problème, car on sera face à une vacance de pouvoirs. La mesure n’a pas été prévue pour ça, et ce serait constitutionnellement très discutable, mais dans ce cas, la Constitution dit que l’intérim est exercé par le président du Sénat, en l’occurrence Gérard Larcher, jusqu’à l’élection du nouveau président. Donc soit on maintient l’élection aux dates prévues, soit on la décale avant le terme du mandat présidentiel ou quelque temps après, avec l’obligation de constater la vacance, soit on la reporte vraiment et là, il faut passer par une réforme constitutionnelle. Conclusion, c’est très compliqué de décaler l’élection présidentielle sauf accord de tous les partis politiques, mais, même dans ce cas, il faudrait réformer la Constitution. Ceci dit, on peut imaginer une procédure express avec un projet de loi recevant l’aval de la quasi-totalité des candidats et voté par le Congrès aux trois cinquièmes. On pourrait alors créer un dispositif ad hoc pour cette élection ou une nouvelle disposition pérenne permettant des reports d’élection présidentielle (mais aussi de législatives) en période de crise.

Le casse-tête de la date de l’élection présidentielle de 2022

La procédure est complexe. Mais quels cas prévoit la loi pour reporter la présidentielle ?

Trois cas possibles :

  • Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate, décède ou se trouve empêchée, le Conseil Constitutionnel peut décider de reporter l’élection.
  • Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil Constitutionnel prononce le report de l’élection.
  • En cas de fraude avérée ou de dysfonctionnements, l’élection doit être réorganisée.

Ces cas prévus par la Constitution permettent de reporter l’élection présidentielle, mais pas l’échéance du mandat.

Dans quelle mesure la crise sanitaire peut-elle alors impacter le scrutin ?

La première question qui se pose est bien sûr celle de la sécurité du vote. Il est important d’instaurer des modalités de vote permettant de prévenir les contaminations. On pourrait penser à des modalités de vote à distance. J’y suis fortement opposé en temps normal, mais en période d’exception, cela peut avoir un sens. L’autre problématique est la hiérarchisation de l’information dans les médias. La covid-19 éclipse tout. Or, le désintérêt des médias par rapport aux élections conduit au désintérêt des Français. Pourtant, si l’on mobilise la population sur le sujet, je ne vois pas pourquoi ce qui s’est passé aux Pays-Bas, en Espagne, en Allemagne et aux États-Unis, où les élections ont eu lieu en temps et en heure, ne pourrait pas se reproduire chez nous. Il n’y a qu’en France, qu’on se pose la question du report de l’élection alors que nos voisins démontrent bien qu’il n’est pas insurmontable d’organiser des élections dans un contexte d’épidémie.

Plus que la covid-19, c’est donc la responsabilité des médias qui peut avoir des conséquences sur l’intérêt de l’élection ?

Les Français s’intéressent à la politique dès le moment où on leur en parle, où ils sont informés des programmes et des enjeux. Certes, les élections municipales, départementales et régionales ne passionnent pas les foules, même hors temps de covid-19, mais la présidentielle reste l’élection la plus suivie par les Français. Il est donc du devoir de l’ensemble des médias de laisser sa place à la campagne et de ne pas en faire un sujet annexe par rapport à la covid-19. Si les meetings n’ont pas lieu, cela ne change rien pour les candidats, au contraire ils économisent de l’argent. Le principal objectif d’un meeting, ne l'oublions pas, est de fournir des images et d’attirer les caméras. A défaut de meetings, les médias doivent jouer le jeu et se focaliser sur les candidats et plus particulièrement sur leurs programmes.

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