Allocation aux adultes handicapés : le Sénat adopte pour la seconde fois la déconjugalisation

Allocation aux adultes handicapés : le Sénat adopte pour la seconde fois la déconjugalisation

Le Sénat a de nouveau voté mardi la « déconjugalisation » de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), réclamée par les associations, soutenue par une très large partie des oppositions, mais rejetée par le gouvernement qui craint une remise en cause du système des minima sociaux.
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Et de deux ! Le Sénat a adopté ce mardi 12 octobre, en deuxième lecture, la proposition de loi « portant diverses mesures de justice sociale », et qui réforme le calcul de l’allocation aux adultes handicapés, objet d’une âpre bataille entre les oppositions et le gouvernement depuis plusieurs mois. Après un premier vote le 9 mars en ce sens, les sénateurs ont de nouveau acté la « déconjugalisation » de l’AAH, c’est-à-dire la désindexation du calcul de cette aide des salaires du conjoint. L’AAH, attribuée aux adultes dont le taux d’incapacité est d’au moins 80 %, est soumise à des plafonds de revenus. Mais dans le système actuel, les ressources du bénéficiaire sont additionnées, s’il est en couple, à celles de son conjoint. En conséquence, de nombreuses personnes en situation de handicap voient cette allocation baisser ou disparaître lorsqu’elles officialisent leur union. Cette perte d’autonomie est dénoncée par les associations, qui pointent également les risquent encourus pour les femmes qui peuvent être soumises à des violences conjugales.

L’adoption de la réforme du mode de calcul à une très large majorité par la Chambre Haute, où l’opposition de droite est majoritaire, n’est guère une surprise. Elle supplante l’abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus du conjoint, que cherche à imposer le gouvernement. « Le dispositif d’abattement du gouvernement passe à côté de la demande sociale qui lui est adressée. Les bénéficiaires de l’AAH ne demandaient pas un surcroît de prestation, ils demandaient que le mode de calcul la rende plus propice à l’autonomie en soutenant l’indépendance financière au sein du couple », a rappelé en ouverture de la discussion le rapporteur du texte, le sénateur LR Philippe Mouiller, justifiant ainsi la réintroduction du principe de « déconjugalisation » à l’issue du passage du texte devant la commission sénatoriale des affaires sociales.

Cette proposition de loi est issue d’une pétition déposée sur le site du Sénat en septembre 2020, ayant recueilli plus de 100 000 signatures. Mais elle a été profondément modifiée en seconde lecture à l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de la majorité. À cette occasion, l’ensemble des oppositions, de la gauche à la droite de l’échiquier politique, se sont dressées contre le gouvernement, qui a dû faire appel au vote bloqué pour soumettre au scrutin sa propre version du texte. Depuis, la réforme de l’AAH est devenue un aiguillon dont se servent la droite et la gauche pour titiller le gouvernement sur sa politique sociale.

« Cet épisode restera comme une curiosité de notre histoire démocratique »

Jeudi dernier, profitant de leur niche parlementaire à l’Assemblée nationale, les députés Les Républicains ont remis le sujet sur la table, à travers une seconde proposition de loi. À nouveau retoquée. « Ce qui est fou, c’est l’attitude pitoyable du gouvernement qui fait preuve d’une froideur technocratique invraisemblable, et qui a contre lui toutes les oppositions. Si j’arrive à me mettre d’accord avec les communistes, c’est qu’il y a un sujet sur cette question-là ! », a réagi sur la chaîne parlementaire le député LR Aurélien Pradié, à l’origine de ce texte.

Ce mardi, le même questionnement a saisi Philippe Mouiller au Palais du Luxembourg. « Cet épisode restera comme une curiosité de notre histoire démocratique. La volonté de faire de l’AAH une prestation déconjugalisée pour faciliter le soutien à l’autonomie a été exprimée par 100 000 citoyens par voie de pétition et par les deux chambres du Parlement […] , faire obstacle à une telle expression de volonté […] témoigne de la plus singulière obstination », a-t-il taclé.

« Oui, l’AAH est un minima social. Je le redis et je le rappelle ! »

Car l’un des enjeux du débat a consisté à déterminer si l’AAH devait être, ou non, considérée comme un minima social. Le gouvernement estime que cette aide répond à un principe de solidarité familiale, raison pour laquelle les revenus du foyer sont pris en compte plutôt que ceux de l’individu. « Oui, l’AAH est un minima social. Je le redis et je le rappelle ! Et ce malgré son rattachement au Code de la sécurité sociale, tout comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées », a martelé Sophie Cluzel, la Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées. Elle a implicitement estimé que la réforme était devenue un instrument d’opposition politique, rappelant que la majorité sénatoriale avait déjà manqué par le passé, et à plusieurs reprises, l’occasion de changer le calcul de cette allocation. « Vous avez toujours défendu le fait que la solidarité nationale s’articule avec la solidarité familiale, parce que le foyer est la cellule protectrice de notre société et le fondement même de notre système », a-t-elle pointé. « Cette mesure remettrait en cause l’ensemble de notre système sociofiscal fondé sur une solidarité familiale à laquelle nous tenons, et creuserait les inégalités sociales en faisant des perdants parmi les plus modestes et des gagnants parmi les plus aisés », a plaidé le sénateur LREM Martin Lévrier, à l’origine d’un amendement visant à rétablir le texte dans la version adoptée par l’Assemblée nationale. Et finalement rejeté.

Pour la secrétaire d’État Sophie Cluzel l’allocation aux adultes handicapés est un minima social
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À rebours, les sénateurs des autres groupes ont estimé qu’il s’agissait d’une prestation à part, qui compense une impossibilité à travailler, s’alignant ainsi sur les travaux de la commission des affaires sociales. « L’AAH a toujours été une prestation d’un genre particulier, et ça n’est pas qu’une question de localisation dans le Code de la sécurité sociale », a défendu Philippe Mouiller. « Les conditions pour y prétendre, l’assiette des ressources considérées, l’habitude prise par les gouvernements de décider de revalorisations spécifiques, tout l’a en réalité toujours distingué des minima sociaux où d’aucuns souhaitent l’enfermer », a énuméré le rapporteur. La sénatrice écolo Raymonde Poncet Monge a dénoncé quant à elle une forme de « résistance idéologique » de la part du gouvernement. « L’AAH n’est pas plus un minima social qu’un revenu de remplacement de nature assurantiel, elle est donc par nature un revenu d’existence, forcement individuel. »

Vers une commission mixte paritaire

Quelques minutes avant le vote, la sénatrice socialiste Marie-Arlette Carlotti, qui fut ministre déléguée aux personnes handicapées durant le précédant quinquennat, a encore tenu à interpeller sa successeure Sophie Cluzel. « Je vous sais très engagée auprès des personnes en situation de handicap, je sais que vous ne pouvez qu’adhérer ! », a-t-elle lâché, laissant entendre que la secrétaire d’État cédait aux pressions budgétaires de Bercy, les effets d’une déconjugalisation ayant été chiffré à quelque 20 milliards d’euros.

Adopté par 320 voix contre 23, le texte pourrait continuer sa trajectoire parlementaire en commission mixte paritaire, afin de trouver un compromis entre la version votée au Sénat et celle de l’Assemblée nationale. Les chances de maintien de la « déconjugalisation » sont minces, mais la semaine dernière, le rapporteur Philippe Mouiller avait estimé auprès de Public Sénat que « ce débat en commission » était la dernière chance de faire entendre raison au gouvernement.

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