Grippe H1N1 : quand la France s’était (trop) préparée à une pandémie

Grippe H1N1 : quand la France s’était (trop) préparée à une pandémie

En 2009, la France se préparait à une pandémie en se constituant un stock important d’antiviraux et de masques pour une valeur de plus de 700 millions d’euros. Au Sénat, une commission d’enquête cherche les raisons de cette surestimation du risque pandémique. L’industrie pharmaceutique est alors pointée du doigt.
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Roselyne Bachelot « a eu la malchance d’avoir eu un virus qui n’a pas respecté ses engagements », résumait le 30 juin 2010, quelques minutes avant l’audition de la ministre de la Santé, Alain Milon, rapporteur LR de la commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A (H1N1) ».

À cette époque, la ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot est effectivement sous le feu des critiques. Les mois précédents, la France s’est constitué un stock important d’équipements pour faire face à une pandémie, nommée par l’OMS : grippe A (H1N1). Un milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2 ont été achetés.

Et contrairement à la pandémie de la Covid-19, un vaccin existe. La France en achètera pour 382 millions d’euros dont 48 millions de dédommagements aux laboratoires car, entre-temps, la pandémie annoncée n’a pas eu lieu et l’État a dû annuler des commandes. En 2011, la Cour des Comptes chiffrera la note pour l’État entre 700 et 760 millions d’euros.

312 décès en France

Le rapport de la commission d’enquête note : « Le 20 avril 2010, 1 334 cas graves et 312 décès ont été notifiés en France depuis le début de la pandémie. À l’échelle internationale, l’OMS dénombre 18 311 décès au 9 juillet 2010. À titre de comparaison (…), les épidémies de grippe saisonnière sont responsables chaque année d’environ trois à cinq millions de cas de maladies graves, et 250 000 à 500 000 décès dans le monde. »

Mise en place en février 2010, à l’initiative du groupe CRC (Communiste, Républicain, Citoyen) et des sénateurs du Parti de Gauche, la commission d’enquête présidée par le sénateur communiste, François Autain (décédé en 2019), souhaite se pencher sur l’influence de l’industrie pharmaceutique dans la gestion de la crise. « C’était l’idée de mon collègue François Autain. Il trouvait que les laboratoires pharmaceutiques s’étaient enrichis lors de cette crise », se souvient Alain Milon, par ailleurs président de l’actuelle commission d’enquête sénatoriale sur la gestion de la Covid-19.

En effet, depuis 2004, l’OMS avait mené un travail très actif auprès des États, les incitant à se préparer à une éventuelle pandémie grippale de type H5N1 (grippe aviaire), particulièrement virulente et à propagation rapide. Dans cette optique, la France s’était constitué un stock d’antiviraux presque exclusivement auprès des laboratoires Roche qui commercialisaient le vaccin appelé le Tamiflu.

Pour François Autain, le gouvernement n’avait pas su résister « à la pression des laboratoires »

Interrogé par le journal l’Humanité, quelques jours après la remise du rapport de la commission d’enquête, François Autain estimait que le gouvernement n’avait pas su résister « à la pression des laboratoires ». « Le nombre de vaccins commandés est sans commune mesure avec le besoin effectif : on a commandé 94 millions de doses et seulement 7,8 millions ont été utilisées. (...) Le laboratoire GSK, auquel le gouvernement a commandé des vaccins dès le mois de mai, lui a lancé un ultimatum en donnant une échéance à la commande des doses sous peine de ne pas les livrer. Le gouvernement a donc cédé au chantage de l’industrie pharmaceutique en affirmant que, dans ce climat d’incertitude, il ne pouvait faire autrement. C’est d’autant plus surprenant que des pays soumis à ces mêmes pressions, tels que l’Allemagne ou l’Espagne, y sont parvenus. C’était donc possible », déplorait-il

Le sénateur communiste appelait aussi à « se questionner sur les conséquences de cette crise dans la pratique de la vaccination (...) puisqu’elle n’a fait que renforcer une désaffection de la population à ce sujet », notait-il.

« Il aurait été irresponsable de ne pas utiliser la vaccination »

Un point de vue que relativise aujourd’hui Alain Milon. « Le Tamiflu était un vaccin efficace contre cette pandémie. Mais certains pays, comme la Pologne, avaient fait le choix de ne pas pratiquer de campagne de vaccination. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’en avait pas les moyens. »

« Face à ce virus, nous avons disposé d'un moyen de prévention : la vaccination. Il aurait été irresponsable de ne pas l'utiliser. (…) Ce n'est qu'une fois le pic pandémique atteint que nous avons acquis la certitude (…) que la morbidité et la mortalité seraient modérées. J'ai pris alors les mesures nécessaires en allégeant le dispositif de vaccination et en résiliant plus de la moitié de nos commandes de vaccin », s’était justifiée Roselyne Bachelot devant les sénateurs.

« La campagne en faveur du lavage des mains a stoppé la propagation du virus »

Ce que reprochait Alain Milon à la ministre de la Santé, ce n’était pas d’avoir appliqué le principe de précaution, mais d’avoir laissé de côté les médecins généralistes dans cette campagne de vaccination, leur préférant des centres de vaccination.

« Heureusement, les médecins avaient procédé à des vaccins antipneumococciques. L’autre aspect positif à retenir de cette crise, ce sont le respect des gestes barrières comme le lavage des mains, qui avait été bien accepté par la population » souligne Alain Milon. « La campagne en faveur du lavage des mains a stoppé la propagation du virus A (H1N1) et a en outre notablement limité les gastro-entérites et les bronchiolites entre fin septembre 2009 et fin janvier 2010 », relevait le rapport de la commission d’enquête sur la grippe H1N1.

Une trop grande dépendance à l'Asie

« Intégrer les professionnels de santé de proximité à la mise en œuvre de la lutte contre la pandémie » figurait parmi les 38 propositions du rapport de la commission d’enquête. Dix ans plus tard, le même reproche est fait à l’exécutif dans sa gestion de la Covid-19.

De même, la crise du coronavirus a mis en exergue une trop grande dépendance de la France à l’Asie dans la fabrication des médicaments. La commission d’enquête H1N1 pointait, quant à elle, « l’absence totale de maîtrise des approvisionnements, dont la prévisibilité et la régularité insuffisantes auraient pu, dans une autre situation, avoir des conséquences sérieuses ».

Santé publique France, une gestion « opaque », selon Alain Milon

À la lumière des polémiques qui ont entouré la pénurie de masques lors de la pandémie de Covid-19, Alain Milon relève l’intérêt d’un établissement public, dissous en 2016 pour être intégré au sein d’Agence nationale de santé publique, l’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaire).

Cet établissement avait notamment la charge gérer les stocks stratégiques de produits de santé. « Le budget de l’EPRUS était contrôlé par le Parlement. Aujourd’hui, il y a une forme d’opacité car nous ne savons pas comment Santé publique France gère la réserve sanitaire », regrette-il.

Didier Raoult déjà auditionné par le Sénat en 2010

Qui dit commission d’enquête parlementaire sur une pandémie, dit audition du désormais célèbre professeur, Didier Raoult. En 2010, déjà, les sénateurs auditionnaient celui qui était le directeur de l’Unité mixte de recherche des Rickettsies à la faculté de médecine de Marseille.

« La vaccination a cessé d’être un enjeu médical pour devenir un enjeu politique » jugeait-il. Peu ou prou ce que le « Mbappé de la médecine » déplore aujourd’hui au sujet de la chloroquine.

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