La réponse du gouvernement à la crise des vocations des maires des petites communes

La réponse du gouvernement à la crise des vocations des maires des petites communes

Pour enrayer la « crise de l’engagement » qui guette la France des petites communes, à moins d’un an des municipales, le gouvernement prépare un projet de loi pour faciliter les modalités des mandats des maires et redonner du sens à leurs fonctions.
Public Sénat

Par Guillaume Jacquot (Sujet vidéo : Marie Brémeau)

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Ne parlez pas de « statut » de l’élu local. Mais du « cadre » d’exercice des mandats. La difficulté d’assumer un mandat électoral dans les plus petites communes est un sujet mis en avant depuis plusieurs années au Sénat, chambre qui représente les collectivités locales. Manque de moyens, déficit d’accompagnement à l’entrée et à la sortie du mandat, insécurité juridique : le quotidien de ces élus « à portée d’engueulade », comme aime à le répéter Gérard Larcher, est ponctué de difficultés, qui ont progressivement alimenté une crise des vocations.

« Pour la première fois, de nombreuses listes aux prochaines élections municipales seront incomplètes et peut-être manquerons-nous même parfois de candidats aux fonctions de maire. Cette crise de l’engagement, nous devons y répondre », a expliqué le Premier ministre le 13 juin, dans son discours de politique générale au Sénat, dont l’accent a été mis sur les collectivités territoriales (relire notre article).

Cette arlésienne touche-t-elle bientôt à sa fin ? L’exécutif veut apporter des réponses rapidement. Très rapidement. La tentation est grande d’y voir une opération de séduction à quelques mois des municipales de 2021, pour un parti présidentiel à la recherche d’implantations locales. « Il ne s’agit pas d’une opération », a assuré Sébastien Lecornu, le ministre chargé des Collectivités territoriales, qui portera la réforme. L’idée avancée est d’apporter des solutions aux maires qui sortiront des urnes au printemps prochain.

Dans ces conditions, la mise en œuvre du « projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique », annoncé par Édouard Philipe la semaine dernière ne tardera pas, malgré l’embouteillage législatif au Parlement. Le texte sera présenté en Conseil des ministres « avant la fin du mois de juillet », et sera débattu au Sénat dès la rentrée parlementaire, début octobre probablement. Compte tenu des thèmes brossés par le projet de loi, la Haute assemblée est la première chambre du Parlement saisie.

Des pistes d’origine sénatoriale

Les consultations avec les parlementaires et les associations d’élus se poursuivent – Sébastien Lecornu était encore ce matin à la rencontre de l’Association des maires ruraux – mais déjà l’avant-projet de loi, révélé par nos confrères de Contexte, montre que le gouvernement n’est pas parti d’une feuille blanche. De nombreux articles viennent reprendre des mesures déjà adoptées dans des propositions de loi sénatoriales (mais qui n’ont pas encore été inscrites à l’agenda de l’Assemblée nationale) ou qui faisaient l’objet de revendication de longue date dans les rangs des associations d’élus. En octobre, la délégation aux collectivités locales du Sénat, animée par le centriste Jean-Marie Bockel, avait par exemple mis sur la table une série de de recommandations, dans un rapport en six tomes, pour épauler les maires dans leur quotidien (relire notre article). Édouard Philippe avait promis de s’en inspirer « très largement ». « Je pense qu’il peut y avoir un large consensus sur ce sujet », estime le sénateur Bernard Delcros, l’un des auteurs du rapport sénatorial. Le centriste avait d’ailleurs accueilli favorablement le discours du Premier ministre, en votant pour la déclaration de politique générale.

Texte Engagement et Proximité : « Il peut y avoir un large consensus » (Bernard Delcros)
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Une protection juridique des maires

Face à la complexification de leurs missions et aux risques de contentieux, le gouvernement veut armer les élus locaux. Concrètement, la loi obligera les communes à « souscrire un contrat d'assurance visant à couvrir les coûts qui résultent de son obligation de protection à l'égard du maire ». Seule une délibération contraire du conseil municipal permettrait de s’y opposer. La facture pour les communes de moins de 1000 habitants sera d’ailleurs prise en charge par l’État. Elles représentent environ les trois quarts des quelque 35.000 communes en France, selon l’Insee.

Un accompagnement social

Les élus locaux le savent, leur fonction peut parfois être chronophage. Pour ne pas freiner l’engagement de certains profils, pris par des obligations familiales, le projet de loi prévoit un remboursement, par les communes, des frais de garde d’enfants ou d’assistance aux personnes âgées ou handicapées, engagées par les conseillers municipaux lorsqu’ils assistent à des réunions municipales ou communautaires. Le montant horaire sera limité à la valeur du Smic. Et là aussi, pour les plus petites communes (celles de moins de 1000 habitants), l’État compensera les municipalités pour les frais occasionnés.

Les plus petites indemnités nettement revalorisées

Le gros du bataillon des élus locaux, composé pour l’essentiel de conseillers municipaux, reste un engagement bénévole. Mais l’exercice à plein temps de certaines fonctions exécutives se heurte parfois avec la nécessité de poursuivre en parallèle sa carrière professionnelle. Le paiement, sans remboursement, de frais occasionnés par le mandat est aussi régulièrement pointé par les sénateurs et les associations d’élus.

Édouard Philippe l’avait évoqué brièvement devant le congrès des membres de Villes de France, le 14 juin : l’avant-projet de loi prévoit bien une revalorisation des indices et une hausse des indemnités à la clé. L’indemnité des maires des communes de moins de 500 habitants (658 euros), et celle applicable dans les communes peuplées de 500 à 999 habitants (1200 euros) seront calquées sur la grille des maires des communes de 1000 à 3500 habitants, soit 1664 euros. Un gain mensuel de 1000 euros pour les premiers, et d’un peu moins de 500 euros pour les seconds.

Ce coup de pouce répond en partie à la demande de l’Association des petites villes de France, qui réclame une hausse de 50 % du plafond d’indemnités en vigueur pour les maires des communes de 2000 à 19999 habitants. Ou encore à une proposition de loi, défendu par Pierre-Yves Collombat au Sénat (groupe communiste), et dont l’examen a débuté le 12 juin. On peut aussi souligner que l’avant-projet de loi corrige un sentiment d’injustice vécu par les plus petits maires. Un vote au Parlement, fin 2017, avait fait polémique : il donnait la possibilité aux plus grosses municipalités le pouvoir de relever de 40 % le salaire des maires (relire notre article).

Former les maires pour leur mandat

Édouard Philippe voulait, enfin, garantir une « véritable formation ». Dans l’état actuel de l’avant-projet de loi, le gouvernement devrait agir par le biais des ordonnances, qui seront publiées seulement après l’entrée en vigueur du projet de loi. Ces dernières devront « faciliter l’accès à la formation » des élus locaux (qu’il s’agisse de modules en lien, ou non, avec le mandat), avec un objectif clairement affiché d’une hausse des édiles formés. Les ordonnances leur permettront également d’acquérir progressivement des droits à la formation, comme tout salarié.

Redonner des pouvoirs aux maires

Autre point majeur de la réforme : « corriger » les « irritations » – selon les mots d’Édouard Philippe – qu’a suscité la dernière grande réforme territoriale, la loi NOTRe de 2015 (loi portant nouvelle organisation territoriale de la République). Avec la montée en puissance des intercommunalités, les maires ont eu le sentiment avec le temps de se retrouver « dépossédés » d’une partie de leurs prérogatives. Le texte présenté en juillet devrait leur redonner un certain nombre de pouvoirs, afin de renouer avec la « proximité », devenue l’un des nouveaux mantras du gouvernement.

Il est notamment question de mettre en place des « conseils de maires » dans les intercommunalités, afin de renforcer le poids des plus petites communes. Cette disposition sera obligatoire dans le cadre des métropoles. Le texte réaménage aussi la compétence « eau et assainissement », un sujet inflammable de la loi NOTRe et qui revient régulièrement dans les débats au Sénat. De la même manière, les communes classées touristiques pourront retrouver la maîtrise des offices de tourisme.

La centaine d’heures d’échanges menés par Emmanuel Macron avec les maires, au cours du grand débat national, semble donc avoir laissé des traces. Et ouvrir un chapitre de relations entre le gouvernement et les collectivités locales. Le vrai test aura lieu à la fin de l’année, lorsqu’il s’agira d’arrêter les moyens de ces décisions, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. « Il y a un engagement financier de l’État qui est indispensable mais je pense que le gouvernement sera au rendez-vous. Je suis plutôt confiant mais nous serons extrêmement vigilants », prévient le sénateur Bernard Delcros.

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