Après la polémique McKinsey, le Sénat présente une proposition de loi pour encadrer le recours aux cabinets de conseil

Après la polémique McKinsey, le Sénat présente une proposition de loi pour encadrer le recours aux cabinets de conseil

Fruit des travaux de la commission d’enquête lancée en 2021 par le groupe communiste sur le sujet, les sénateurs présentent ce mardi une proposition de loi transpartisane qui sera présentée au Parlement à l’été ou à l’automne. Le but est d’encadrer le rôle des cabinets de conseil dans les politiques publiques, ainsi que d’améliorer la transparence sur le sujet.
Louis Mollier-Sabet

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« Notre PPL va bien plus loin que les annonces du gouvernement », a annoncé d’emblée Éliane Assassi lors de la présentation de cette proposition de loi sur les cabinets de conseil. La rapporteure communiste de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil pointe aussi la « fébrilité » de l’exécutif en réaction aux travaux menés par la commission d’enquête sur le recours « tentaculaire et opaque » aux cabinets de conseil par les administrations publiques. Et pour cause, le bureau du Sénat avait saisi la justice à propos de l’audition de McKinsey, pour suspicion de faux témoignage devant la commission d’enquête, ce qui avait lancé « l’affaire McKinsey » en pleine campagne présidentielle.

« Il était clair pour nous, que nous mettrions le gouvernement au pied du mur »

« Il était clair pour nous, que nous mettrions le gouvernement au pied du mur », assume Arnaud Bazin, qui pointe la faiblesse de la réaction de l’exécutif en la matière, avec une circulaire d’Amélie de Montchalin promettant une baisse de 15 % du recours aux cabinets de conseil, sans plus de précisions. Face à la polémique, le gouvernement avait lancé une « opération de déminage médiatique pleine de contradictions durant la campagne électorale », d’après les mots d’Éliane Assassi, qui n’a pas vraiment été du goût des sénateurs de la commission d’enquête. Ils ont même pris la peine de publier un « vrai – faux » sur les déclarations des membres de l’exécutif, à l’occasion de cette conférence.

Toutefois, l’objectif de la proposition de loi n’est pas seulement de revenir sur cet épisode médiatique, ni « de nourrir les débats complotistes », assure Arnaud Bazin. Avec cette « PPL », les sénateurs de la commission d’enquête veulent lancer le débat et s’attaquer à l’encadrement juridique de « l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. » Les sénateurs signataires ont ainsi écrit une lettre à Élisabeth Borne pour soumettre ainsi cette proposition de loi (PPL) transpartisane à la Première ministre, qu’ils enjoignent d’enclencher la procédure accélérée pour que les 19 articles de la loi soient examinés au Parlement dès cet été. Arnaud Bazin ironise « Nous proposons au gouvernement un livrable, clé en main, s’il veut se saisir d’un texte de consensus politique… »

Éliane Assassi ajoute : « Notre souhait partagé, c’est qu’il y ait un débat parlementaire à ce sujet, et il aura lieu », puisqu’à défaut d’examen cet été, la chambre Haute utilisera une semaine d’initiative sénatoriale pour inscrire la proposition de loi à l’ordre du jour en octobre. Une initiative parlementaire d’autant plus importante, qu’avec la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale, « si je prends ma calculette, la loi devrait être adoptée si elle est examinée à l’Assemblée nationale », lâche Éliane Assassi. Il faudrait dans ce cas deux lectures dans chaque chambre pour adopter la PPL, puisque la procédure accélérée ne peut être enclenchée que par le gouvernement.

Publication d’une liste des prestations de conseil pour plus de transparence

Le premier problème auquel s’étaient heurtés les sénateurs dans leur enquête, c’était le manque de chiffres centralisés sur le recours à des prestations de conseil. En effet, chaque ministère, chaque administration et chaque collectivité qui a recours à des cabinets de conseil pouvaient fournir des chiffres précis (combien d’appels d’offres, pour quels montants, etc…), mais pour son travail, la commission a par exemple dû demander ces données au cas par cas. Le chapitre 1 de la proposition de loi a pour but de définir plus précisément les prestations de conseil, en délimitant les administrations et les prestations concernées, et en excluant les établissements publics et les collectivités territoriales. « Le périmètre de la commission d’enquête excluait les collectivités locales », a précisé Éliane Assassi lors de la conférence de presse, « d’une part parce qu’il y en a beaucoup, mais aussi parce qu’il y a déjà des filtres démocratiques, avec le conseil municipal et plusieurs instances de contrôle qui n’existent pas ailleurs. » Et Arnaud Bazin d’ajouter, qu’au sein des collectivités locales « les oppositions sont informées » de tout recours à des cabinets de conseil, et constituent ainsi un véritable garde-fou.

Le chapitre 2 part de ce travail pour améliorer la transparence sur le recours aux cabinets de conseil, en mettant notamment en place une publication de la liste des prestations de conseil de l’Etat et de ses opérateurs. Celle-ci aurait lieu chaque année, et en données ouvertes (open source), dans un document budgétaire annexé au projet de loi de finances, où figureraient les bons de commande comme les évaluations. Cette liste devra être inscrite au rapport social de chaque administration « pour que les représentants des fonctionnaires soient informés et puissent en débattre. » De même les cabinets de conseil auraient l’interdiction d’utiliser le logo de l’administration pour rédiger des documents, « un consultant n’étant pas fonctionnaire. » C’est probablement l’audition d’Olivier Véran qui a donné des idées aux sénateurs sur ce point, puisqu’Éliane Assassi l’avait interpellé sur des documents estampillés « ministère de la Santé », mais produits par McKinsey.

Rapprocher les cabinets de conseil du régime des représentants d’intérêts et des règles de la HATVP

Sur le fond, les commissaires avaient aussi soulevé le problème des prestations gratuites (« pro bono ») des consultants. « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit », avait ainsi noté Éliane Assassi lors de la remise du rapport. La proposition de loi interdit par conséquent le recours aux prestations gratuites, jugées suspectes, tout en continuant à autoriser le mécénat, financier ou de compétence, dans les secteurs de l’humanitaire, la culture, et l’environnement. De même, plusieurs obligations y sont définies pour les sociétés de conseil, avec une publication en données ouvertes des actions de mécénat des cabinets, ainsi que des actions de démarchage effectuées auprès des administrations, un peu sur le modèle des obligations de déclaration de lobbying à la Haute Autorité pour la Transparence dans la Vie Publique (HATVP). La proposition de loi entend aussi codifier les obligations des cabinets de conseil à la HATVP, qui aurait un rôle de contrôle des cabinets et des déclarations d’intérêt de leurs consultants qui interviennent dans les administrations publiques.

Tout manquement à ces obligations auprès de la HATVP serait sanctionné d’une amende de 15 000 euros, et une exclusion de la commande publique pour au moins 3 ans. Les sénateurs veulent aussi mettre en place le respect d’un « code de bonne conduite par les consultants », les obligeant notamment à ne pas prendre de décision à la place d’une administration, mais bien de proposer plusieurs scénarios à une autorité administrative qui tranche. La proposition de loi entend aussi supprimer les données de l’administration concernée à l’issue de la prestation, sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et les libertés (CNIL). Enfin, le texte entend lutter contre le recours abusif aux cabinets de conseils, en « cartographiant » les compétences internes des administrations, afin de mieux les « valoriser » et moins recourir à des prestations extérieures.

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