Des cabinets de conseil confirment au Sénat que la part du secteur public a augmenté dans leur activité

Des cabinets de conseil confirment au Sénat que la part du secteur public a augmenté dans leur activité

La commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil a entendu quatre nouvelles entreprises du secteur. Selon leurs dirigeants, les prestations réalisées à destination de l’État, voire plus généralement de la sphère publique, sont sur une tendance haussière.
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C’était la dernière audition plénière de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Les sénateurs ont entendu ce 16 février quatre nouvelles entreprises qui interviennent auprès du secteur public dans le domaine du conseil ou encore dans l’accompagnement de projets. De quoi nourrir un peu plus le rapport que remettront les sénateurs à la mi-mars. Éliane Assassi (PCF), à l’origine de cette commission d’enquête, va poursuivre les auditions au format dit « rapporteur », mais le cycle d’auditions ouvertes aux 19 membres s’est achevé. Il y a eu, au total, vingt auditions sous ce format.

Le tour de table des différents consultants, qui s’exprimaient sous serment, a permis de donner un nouvel éclairage sur l’évolution du recours au conseil extérieur dans les structures publiques. Globalement, le poids du secteur reste relativement faible sur l’ensemble de leur activité, mais la tendance sur plusieurs années est bel et bien orientée à la hausse. « Au cours des dix années, notre activité au profit du secteur public a connu une augmentation régulière, mais nous n’avons pas constaté d’accélération, de suraccélération au cours de la période de crise covid-19 », détaille ainsi Éric Fourel, président d’EY France (Ernst & Young), l’un des plus importants cabinets de conseil au niveau international. La part du secteur public (ministères, agences, collectivités, entreprises sous contrôle de l’Etat) dans son activité représente environ 10 %, ce qui correspond à la moyenne constatée dans le secteur. Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria, évoque « une hausse dans le domaine du secteur public, parapublic » du chiffre d’affaires du cabinet depuis quelques années, et notamment depuis 2015.

L’Etat, « plus résilient que les autres » secteurs, dans un marché très « volatil »

L’augmentation des prestations dans la sphère publique est également très marquée chez Wavestone, cabinet français spécialisé dans la transformation des organisations. Le public pèse 14 % de leur chiffre d’affaires, contre 6 % en 2016. Pour son président Pascal Imbert, cette trajectoire est la conséquence d’une stratégie interne. « On avait la conviction qu’on allait rentrer dans une phase de transformation beaucoup plus large du secteur public, pour moderniser l’administration et améliorer le service aux citoyens ».

Quant aux prix facturés, le directeur général de Sopra Steria France fait état d’un chiffre déjà évoqué devant la commission : les tarifs qui s’appliquent aux clients du privé sont supérieurs de 10 à 15 % à ceux pratiqués pour le public. « On dit que le service public peut être moins rentable que les autres secteurs. Il ne faut pas exagérer », tempère Pascal Imbert. Le dirigeant de Wavestone voit surtout un avantage au secteur public : sa solidité. « Il est beaucoup plus résilient que les autres. » Un atout, dans un marché du conseil qu’il qualifie de « volatile », voire de « très cyclique ».

Lorsqu’Éliane Assassi sonde le quatuor de cabinets sur la circulaire de Matignon appelant les différents ministères à réduire de 15 % leurs dépenses en conseil en 2022, certains évitent de commenter cette nouvelle « doctrine ». « Nous prenons acte de cette décision », accueille simplement Mathieu Dougados, le directeur exécutif de Capgemini Invent. Pour Éric Fourel (EY France), il s’agit d’une « saine gestion », « une pratique que beaucoup de [leurs] clients se fixent ». Vincent Paris (Sopra Steria) en « prend acte » également, mais met en garde contre des coupes trop linéaires. « On est un peu sur un chemin de crête où il y a des économies à trouver mais en même temps il faut accélérer la transformation. Je pense qu’il vaudrait mieux accentuer les efforts sur certains sujets et ne pas baisser sur d’autres. » Pascal Imbert n’y voit « pas un enjeu très fort ». « Nous sommes sur un secteur qui est en croissance. Ça ne représente pas une difficulté économique majeure », estime-t-il. Le consultant y voit une opportunité pour l’Etat de « développer plus massivement des activités de conseils internes ».

« Dans la grande majorité des cas, nous mettons notre logo »

Devant autant de cabinets différents, la rapporteure a également cherché à éclaircir les pratiques concernant la mise en page des documents. Avant l’audition d’Olivier Véran, la sénatrice et plusieurs de ses collègues ont accueilli avec surprise le fait que le cabinet McKinsey remette des « livrables » habillés du logo du ministère de la Santé. Arnaud Bazin, le président de la commission d’enquête (LR), rappelle que ce type de questionnement touche à la responsabilité, en cas de « contentieux ». « Le client décide du logo qu’il veut mettre », explique par exemple Mathieu Dougados (Capgemini). Mais, « dans la grande majorité des cas, nous mettons notre logo », précise-t-il. Même politique chez Ernst & Young, lorsqu’il s’agit de remettre un rapport. Ils sont rédigés « sous une charte EY », souligne Hervé de La Chapelle, en charge des activités pour le secteur public d’EY France. « Nous avons un livrable clair avec le logo », abonde également Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria France.

Interrogé sur une prétendue influence qu’exerceraient les cabinets sur la décision publique, Pascal Imbert (Wavestone) a tenu à battre en brèche cette théorie. « Essayer de jouer du billard à trois bandes serait non seulement déloyal vis-à-vis de nos clients mais en plus, ça nous détournerait de ces deux leviers très simples de croissance de l’entreprise, et ça pourrait se retourner contre nous. » Le président de Wavestone s’est toutefois permis une idée de recommandation. « La lourdeur du Code des marchés publics n’est pas forcément adaptée à l’achat de prestations de conseil », considère-t-il. Ce cadre pousserait à « massifier les achats », « réduire le choix des donneurs d’ordre publics » et entraînerait une « cascade de sous-traitance ».

Un ancien salarié de Capgemini rejoint le service du courrier de l’Élysée, lequel fait appel à… Capgemini

L’audition est également l’occasion pour Éliane Assassi d’interpeller chaque cabinet sur des missions précises. Elle cite notamment le cas d’un ancien salarié du groupe Capgemini, nommé à la tête du service de la correspondance de l’Elysée, service qui a fait appel au même cabinet pour réorganiser ses outils numériques. Il s’agissait de mettre sur pied un système d’automatisation de la lecture du courrier pour en produire des rapports. « Ce n’est pas gênant, de votre point de vue, que ce soit un ancien salarié de Capgemini qui soit chargé de revisiter le service des correspondances de l’Élysée », demande la sénatrice. « Ce n’est pas à nous d’avoir un avis sur qui, au sein de l’organisation cliente, déclenche ce type de prestation », répond Mathieu Dougados, directeur exécutif, invitant la commission à demander à l’Elysée.

« En principe, nos salariés n’ont pas vocation à être recrutés », rebondit Etienne Grass, directeur des activités secteur public à Capgemini. Et pour cause, « quand ça se passe, cela nous met dans une situation complexe », reconnaît-il. Le cabinet fait toutefois une exception vis-à-vis de l’Etat, en n’appliquant pas certaines clauses contractuelles qui empêchent un salarié de rejoindre un client, « à la condition qu’il y ait un cadre déontologique qui soit fixé », souligne le directeur. Avant d’inviter les parlementaires à se pencher sur le sujet. « Dans vos travaux, ce serait intéressant de clarifier les choses. »

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