Réforme des retraites : « François Bayrou voit bien qu’on va dans le mur », selon le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe

Réforme des retraites : « François Bayrou voit bien qu’on va dans le mur », selon le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe

Lors d’un dîner « musclé » à l’Elysée, Emmanuel Macron s’est montré ferme pour défendre un report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Une piste qui déplaît à « François Bayrou, qui n’est pas content. Il l’a dit au Président », selon le sénateur Modem, Jean-Marie Vanlerenberghe. S’il juge la réforme nécessaire, le sénateur pointe des solutions « brutales » et un manque de « pédagogie ». Dans une note, François Bayrou insiste sur la nécessité « d’éclairer » les Français sur le besoin de réforme.
François Vignal

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Des agapes très studieuses. Les responsables de la majorité présidentielle étaient conviés, mercredi soir, à l’Elysée, pour un dîner. Non pas un repas pour fêter Noël en avance, bien que les convives aient eu le choix entre fruits de mer ou viande, mais plutôt pour parler d’un sujet sensible : la réforme des retraites.

Comme le rapportent Politico ou Le Parisien, étaient présents autour d’Emmanuel Macron la première ministre Elisabeth Borne, l’ancien locataire de Matignon, Edouard Philippe, le président du Modem François Bayrou – soit les patrons des deux principaux partis alliés – le ministre du Travail, Olivier Dussopt, qui mène les négociations avec les syndicats, ainsi que le numéro 1 du parti Renaissance, Stéphane Séjourné, la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, Aurore Bergé, ainsi que ceux des groupes Horizons, Laurent Marcangeli, et Modem, Jean-Paul Mattéi, sans oublier François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat, l’ancien président de l’Assemblée Richard Ferrand, le ministre Modem de l’Agriculture Marc Fesneau et celui des Relations avec le Parlement, Franck Riester. 11 invités, une équipe de foot en somme, avec comme sélectionneur Emmanuel Macron.

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« Un débat franc et ouvert »

« C’était bien. C’était musclé aussi. C’était un débat franc, ouvert, de libre parole », résume un participant à publicsenat.fr. Autour de la table, deux lignes se dessinent. Une plus dure, pour rester sur un report de l’âge de la retraite à 65 ans, selon l’engagement de campagne du chef de l’Etat. Une autre, défendue par Richard Ferrand notamment, plus favorable à une ouverture vers 64 ans, avec accélération de la réforme Touraine sur la durée de cotisation, soit la ligne défendue par les sénateurs LR.

« Il n’y a pas vraiment de divergence, on est tous d’accord pour dire qu’il faut faire les retraites, et continuer les concertations jusqu’au bout », souligne l’un des convives, selon qui « Olivier Dussopt a obtenu des accords très importants avec les syndicats sur les carrières longues, les carrières hachées, l’emploi des seniors ».

« On ne va pas donner le gain politique de cette réforme aux LR »

Emmanuel Macron, en juge de paix, a demandé que sa ligne de base soit défendue. « Le Président a dit qu’il avait fait campagne sur les 65 ans. Sa position de départ, c’est de dire 65 ans », selon un participant, « sauf si les gens font des propositions qui permettent d’avancer dans le bon sens ». Autrement dit, à une semaine de la présentation des grandes lignes de la réforme par la première ministre, l’exécutif entend rester ferme sur les 65 ans, sans totalement fermer la porte à des évolutions. Car in fine, Emmanuel Macron ne serait « pas hostile » totalement à un report à 64 ans avec accélération de la réforme Touraine. Mais il ne faut pas le dire trop tôt.

« Il y a ceux qui disent, on avance sur 65 ans et on attend. Et ceux qui veulent aller directement sur la position des LR, pour faciliter les choses. Mais le Président a raison. On ne va pas donner le gain politique de cette réforme aux LR. Ce sont eux qui doivent faire des propositions, à partir du texte du Président. On ne va pas donner aux LR la possibilité de dire que ce sont eux qui auraient imposé la réforme », décrypte un responsable de la majorité.

Pas sûr que cette forme d’intransigeance facilite les choses. Reçus ce jeudi matin à Matignon par Elisabeth Borne, les leaders syndicats, Laurent Berger (CFDT) et Philippe Martinez (CGT) en tête, ont promis une mobilisation « déterminée » en cas de report de l’âge de la retraite. « Ils sont obstinés, je pèse mes mots, à dire qu’il faut travailler jusqu’à 65 ans », a déploré le numéro 1 de la CGT. Le message d’Emmanuel Macron a visiblement été relayé. Philippe Martinez s’est aussi étonné d’une « méthode incompréhensible, puisqu’on fait un point avec la première ministre alors que les concertations ne sont pas terminées ».

« On n’est pas arc-boutés sur l’âge et surtout pas sur un report à 67 ans », soutient Claude Malhuret (Horizons)

Lors du dîner, Edouard Philippe, discret depuis des semaines, s’est monté peu dissert. « Que ce soit 65 ou 64 ans, il a dit qu’il voulait que la réforme soit votée », rapporte un participant, qui glisse qu’il ne s’est pas vraiment « mouillé »…

« L’essentiel est d’arriver à une réforme, l’âge lui-même n’est pas pour nous le sujet essentiel, mais c’est d’arriver à l’équilibre du régime. Après, sur les modalités, on est vraiment très souples », assure Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendant du Sénat, qui s’exprime ici en tant que membre d’Horizons. Edouard Philippe ne défend plus un report à 67 ans ? « Il avait dit de 64 à 67 ans, ça avait été traduit jusqu’à 67 ans, mais ça commence à 64 ans. Pour nous, ce n’est pas un tabou », précise le sénateur de l’Allier. L’ex-premier ministre avait en réalité évoqué « 65, 66 ou 67 ans ». « On n’est pas arc-bouté sur l’âge et surtout pas sur un report à 67 ans », insiste Claude Malhuret, pour qui la ligne des sénateurs LR « fait partie des solutions ». Reste que cela donne quand même l’impression qu’Horizons met un peu d’eau dans son vin.

« Emmanuel Macron n’a pas été élu sur ce totem des 65 ans », souligne le Modem Jean-Marie Vanlerenberghe

Au cours du dîner, François Bayrou, comme il en a pris l’habitude – c’est lui qui avait poussé pour une concertation jusqu’à la fin de l’année – a fait entendre une petite musique différente. « Il a dit en début de repas que les gens n’avaient rien compris à la réforme et ne connaissent que l’âge. Il dit d’essayer, encore et encore, de convaincre, de concerter et d’expliquer. Il a une exigence de concertation », selon un responsable présent. « François Bayrou n’est pas content, incontestablement. Il l’a dit au Président », affirme de façon moins magnanime le sénateur Modem, Jean-Marie Vanlerenberghe, spécialiste des retraites pour son parti.

Pour l’ancien rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, « les solutions proposées ne paraissent pas judicieuses dans le climat actuel. La population n’est pas préparée. Le Président a beau dire qu’il a fait campagne sur ça. Je rappelle qu’il a annoncé 65 ans, puis il s’est rabattu après, sur 64 ans, en disant que tout était ouvert. Pour moi, il n’a pas été élu sur ce totem », soutient le sénateur Modem du Pas-de-Calais. S’il défend la nécessité de la réforme, il plaide plutôt pour « le passage immédiat à 63 ans. Il rapporterait 7 milliards d’euros », et « l’accélération de la réforme Touraine, qui permettrait d’avoir 3 milliards d’euros. On est rapidement, en 2027, aux 10 milliards d’euros recherchés pour l’équilibre ». Le sénateur y ajoute « le maintien des séniors au travail, qui a un effet bénéfique en termes de cotisation ». Jean-Marie Vanlerenberghe ajoute :

Il y a des solutions qui sont peut-être moins brutales que le report de l’âge l’égal. La durée de cotisation est beaucoup plus juste.

Dans une note, François Bayrou avance l’idée d’un report de l’âge à 64 ans, ou celle d’augmenter les cotisations patronales

Des solutions différentes sont justement exposées par François Bayrou lui-même, dans une note sur les retraites, écrite en tant que Haut-commissaire au plan, dont Le Figaro et l’AFP ont obtenu copie. Elle vise à « éclairer » les Français sur la réforme, que le centriste juge nécessaire. « Notre système de retraites risque de se voir de plus en plus fragilisé dans son équilibre financier », met en garde François Bayrou, au point de poser « la question de la soutenabilité » des régimes à terme.

S’il écarte une hausse d’impôt ou une baisse des pensions, François Bayrou met sur la table deux scénarios avec un report à 64 ou 64,2 ans, et un allongement de la durée de cotisation, qui seraient « un puissant levier d’amélioration de l’équilibre ». Autre piste, beaucoup plus sensible au sein de la majorité : augmenter d’un point les cotisations patronales retraites, source de 7,5 milliards d’euros de financement.

De quoi alimenter le débat. En vue de l’examen du texte au Parlement, Jean-Marie Vanlerenberghe prévient que « le Modem travaille, le groupe centriste travaille, et nous formulerons le moment venu des contre-propositions, s’il y a lieu »… Pour le centriste, « il ne faut fermer aucune porte » plutôt que s’enfermer « dans la doxa gouvernementale ». En définitive, si Emmanuel Macron défend les 65 ans, c’est autant pour « veiller à l’équilibre financier » qu’en raison de « la pression européenne de retour à l’équilibre et la stabilité budgétaire », selon l’élu Modem.

« Stratégiquement, annoncer ça avant les fêtes, c’est très maladroit »

Jean-Marie Vanlerenberghe peste par ailleurs sur le timing. « Stratégiquement, annoncer ça avant les fêtes, c’est très maladroit. On pouvait prendre encore un peu de temps pour faire de la pédagogie. Je l’ai dit à Olivier Dussopt », avance le sénateur, pour qui « il y a eu beaucoup d’erreurs de faites » dans la communication. Résultat, il pense que « la mobilisation risque d’être importante ». Une vision qui irrite les macronistes prêts à en découdre. « On dit depuis 5 ans que ce ne sera jamais le bon moment », pointe l’un d’eux. A leurs yeux, ce n’est plus le moment d’attendre.

Sur le plan du véhicule législatif, l’option du recours à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale, examiné début 2023, se confirme. L’avantage : comme tout texte financier, il permet d’utiliser le 49.3 pour passer en force, en cas de blocage et d’absence de majorité. « C’est un 49.3 qui ne coûte rien », lance un cadre de la majorité. Autrement dit, qui n’entame pas le crédit de l’utilisation d’un seul 49.3 par législature, hors textes financiers, soit un seul joker. Mais la majorité présidentielle ne désespère pas de trouver une majorité avec les LR. Pour y parvenir, plutôt qu’une discussion globale avec le président de groupe de l’Assemblée, Olivier Marleix, des « LR vont être contactés, un par un, à l’échelle individuelle », confie un participant du dîner.

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« La ligne du Sénat est la bonne ligne » défend le sénateur LR René-Paul Savary

Du côté de la majorité sénatoriale, on observe et on reste sur sa ligne. « Je ne crois pas que 65 ans soit la bonne formule. Si ce n’est pas nécessaire, pourquoi pousser le bouchon plus loin ? Je pense qu’on peut limiter à 64 ans avec un mixte de réforme, avec l’accélération de la réforme Touraine. Cela permet de repartir davantage l’effort collectif demandé aux Français », soutient le sénateur René-Paul Savary, qui défend chaque année l’amendement du groupe LR en ce sens lors du budget de la Sécu. « La ligne du Sénat est la bonne ligne », insiste le sénateur, alors que la semaine dernière, le ministre Olivier Dussopt a confirmé que l’exécutif était « prêt à regarder d’autres scénarios, y compris un âge de départ à 64 ans et une accélération de la mise en œuvre des dernières réformes ».

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Le sénateur de la Marne s’étonne de la position du chef de l’Etat et de sa fermeté aujourd’hui sur les 65 ans. « Ils concertent, ils informent, mais je n’ai pas l’impression qu’ils négocient. Forcément, ça risque de braquer les partenaires sociaux ». Pour René-Paul Savary, « on voit bien qu’ils sont dans le flou le plus complet, une incertitude. On nous balade ».

Avec une réforme qu’il juge mal préparée, Jean-Marie Vanlerenberghe craint pour sa part que tout cela va mal finir. « François Bayrou voit bien qu’on va dans le mur. Maintenant, certains ne veulent pas le voir et pensent qu’on va passer avec le 49.3 en force. Mais on fait quoi des attentes de la population ? » demande le sénateur Modem. Pas sûr qu’un dîner à l’Elysée suffise pour trouver la martingale.

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