Tracking : la Cnil pointe les nombreuses limites de l’application « Stop Covid »

Tracking : la Cnil pointe les nombreuses limites de l’application « Stop Covid »

Auditionnée par le Sénat, la présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, demande au gouvernement que l’application de traçage des malades du Covid-19 soit réellement « temporaire ». Mais entre le peu d’équipement des personnes âgées, l’adhésion au dispositif et sa combinaison avec les tests et masques, c’est son efficacité qui pose question.
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C’est une application qui soulève beaucoup de questions. Mais toutes les réponses ne sont pas encore connues. Pour assurer un déconfinement dans les meilleures conditions, le gouvernement est prêt à mettre en place l’application « Stop Covid ». Un outil qui pourra être téléchargé sur son portable, sur la base du volontariat et de manière anonymisée. Il permettra de savoir si l’on a croisé une personne malade du Covid-19, et le cas échéant se faire tester et rester confiné. Ce « contact tracking », déjà utilisé dans plusieurs pays, suscite beaucoup de craintes, y compris chez les parlementaires (voir notre article).

La Cnil pas encore saisie par le gouvernement

C’est pour tenter d’y voir plus clair que le comité de suivi de la commission des lois du Sénat sur les mesures d’urgence de lutte contre le coronavirus a auditionné, ce mercredi 15 avril, Marie-Laure Denis, présidente de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

Première difficulté : toutes les caractéristiques de « Stop Covid » ne sont pas encore connues. La Cnil n’a d’ailleurs pas encore été saisie par le gouvernement. Il faudrait qu’elle le soit début mai, au plus tard, pour avoir le temps de rendre son avis.

La décision d’Emmanuel Macron d’écarter une appli obligatoire, pour préférer une solution sur la base du volontariat et avec la technologie du Bluetooth (moins intrusive que le GPS), comme à Singapour, a allégé les craintes sur les libertés individuelles. Un choix qui n’implique pas de changer la loi et peut se faire dans le cadre légal actuel, a rappelé la présidente de la Cnil.

« Caractère temporaire »

Marie-Laure Denis souligne l’importance de bien définir « les finalités » des objectifs, qui doivent rester « proportionnées » à leur atteinte. A savoir, « les solutions les moins intrusives » et selon « un caractère temporaire », « point essentiel ».

« Il faut vraiment que sa durée n’excède pas la durée nécessaire au traitement de la crise sanitaire » insiste la présidente de la Cnil, avec « une suppression de données ». Il est ainsi « important qu’on puisse désinstaller l’appli. Ça rejoint la question du consentement ».

« Consentement éclairé »

Autre exigence : « Un consentement éclairé » et « que le refus de télécharger l’application ne réduise pas vos facultés de déplacement ». Dans ce cas, « le consentement n’est pas considéré comme libre ». Sur ce point, Philippe Bas, président LR de la commission des lois, a aussi évoqué le risque qu’un employeur impose à ses salariés le recours à l’appli pour reprendre le travail.

Mais ces garanties ne sont qu’un préalable, qui ne présage pas de l’efficacité de l’application. Et sur ce point, les mises en garde de la présidente de la Cnil en disent long sur les limites de l’outil. Elles sont nombreuses. Au point même de poser la question de la nécessité de le mettre en œuvre…

Pas d’efficacité sans confiance

Premier point, et pas des moindres : le nombre de personnes qui téléchargent l’appli. Ici, la confiance est essentielle. Elle passe par la « protection des données ». Dès lors, seule « une adhésion suffisamment massive de nos citoyens » permettra « d’être efficace ». Logique. Sur ce sujet, « une étude de l’université d’Oxford dit qu’il faudrait qu’une application de ce type couvre 60% de la population pour être efficace » souligne Anne-Laure Denis. Mais cette étude « ne prend pas en compte la combinaison avec la réponse sanitaire : gestes barrières, plus de tests, plus de masques ».

C’est un autre élément important. L’appli seule ne sert à rien si les autres mesures ne suivent pas. « Ce n’est qu’un des éléments d’une réponse qui doit être plus globale. Il faut pouvoir tester de façon massive » insiste la responsable de la Cnil. Elle ajoute :

Ce serait dangereux de penser qu’une application de ce type pourrait tout résoudre.

En raison de la « limite intrinsèque » de ces outils, la Cnil appelle à la « vigilance sur le solutionisme technologique ».

Seuls 44% des plus de 70 ans ont un smartphone

Autre sérieuse limite, relevée par la présidente de la Cnil : « Il y a déjà 25% des personnes qui n’ont pas d’ordiphone, comme on dit en français, permettant de télécharger l’appli. Et ce taux est d’autant plus élevé chez les personnes âgées. Elles ne sont que 44%, chez les plus de 70 ans, qui ont un smartphone, contre 98% chez les 18-25 ans ». Autrement dit, plus de la moitié de la population à risque est d’emblée hors-jeu.

Marie-Laure Denis pointe également « la question de la compétence numérique ». Il faut avoir « la capacité à télécharger une application » et le faire fonctionner. Problème qui peut toucher, là encore, les personnes âgées.

« La difficulté des zones blanches »

« La difficulté des zones blanches », c’est-à-dire les espaces du territoire où on ne capte pas ou mal, souvent évoquées au Sénat, ajoute là encore une difficulté selon la responsable.

Et les limites ne s’arrêtent pas là : Marie-Laure Denis y ajoute « la question des personnes asymptomatiques », qui passeraient au travers, sans oublier la définition des règles de mise en alerte, lors du contact avec une personne malade. Faut-il une distance de 2 mètres « et une exposition de moins de 30 minutes », comme à Singapour, ou « de 15 minutes » comme préconisé en Grande-Bretagne ?

Risque d’une « banalisation » 

Au final, ce dispositif, « s’il voit le jour », devra rester une parenthèse dans nos vies, insiste la Cnil. « Il faut vraiment se garder, que des dispositifs exceptionnels, pris dans de circonstances exceptionnelles, puisse perdurer » met en garde Marie-Laure Denis. « Il faut être extrêmement vigilant sur ce plan. Il peut y avoir une forme de banalisation ». Le détournement d’une telle application, ou son recours en d’autres domaines, poserait de nouvelles questions tout aussi, voire plus importantes.

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