Bonne “technicienne” mais piètre ministre? Lagarde bousculée par ses juges

Bonne “technicienne” mais piètre ministre? Lagarde bousculée par ses juges

Comment a-t-elle pu accepter froidement un arbitrage reconnaissant à Bernard Tapie un "préjudice moral" d'une générosité sans précédent ?...
Public Sénat

Par Aurélia END

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

Comment a-t-elle pu accepter froidement un arbitrage reconnaissant à Bernard Tapie un "préjudice moral" d'une générosité sans précédent ? Christine Lagarde a fait face mardi à un interrogatoire impitoyable de la Cour de justice de la République (CJR).

"Le coeur de cette affaire, c'est quand même ce préjudice moral de 45 millions d'euros, alors que (...) le préjudice moral pour la mort d'un enfant, c'est évalué à 30.000 à 50.000 euros. Enfin, c'est colossal !", s'indigne la présidente de la CJR, Martine Ract Madoux.

"C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir !", insiste-t-elle, au deuxième jour du procès de l'ex-ministre et actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).

"Mais ça aurait changé quoi au niveau juridique ?", répond Christine Lagarde, sur la défensive.

Christine Lagarde
Christine Lagarde
AFP

Le 7 juillet 2008, Christine Lagarde est ministre de l'Economie depuis plus d'un an quand une procédure arbitrale, qu'elle a autorisée, attribue à Bernard Tapie plus de 400 millions d'euros.

La patronne du FMI, qui risque jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende, explique une nouvelle fois à la barre qu'elle a fait "confiance" à son directeur de cabinet à Bercy, Stéphane Richard, pour donner son feu vert à l'arbitrage.

Sur ces quelque 400 millions d'euros, 45 millions sont alloués au titre d'un "préjudice moral d'une très lourde gravité", un montant jamais vu dans l'histoire judiciaire française, pour solder des contentieux avec l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais.

Mme Lagarde décide pourtant rapidement, "en technicienne", de ne pas attaquer la sentence arbitrale. L'arbitrage sera annulé pour fraude en 2015, mais à l'époque, elle dit n'avoir "aucune raison" de le remettre en cause.

"Attendre, faire durer les dossiers, ça n'a jamais été ma pratique", dit l'ex-avocate qui a travaillé pour un grand cabinet anglo-saxon.

- Moment embarrassant -

Stéphane Richard, PDG d'Orange, le 19 mars 2014 à Paris
Stéphane Richard, PDG d'Orange, le 19 mars 2014 à Paris
AFP/Archives

Sauf qu'elle ne dirige pas une entreprise, mais un ministère, rétorque une juge parlementaire, qui pose la question de son "autorité politique".

La CJR, seule habilitée à juger des membres d'un gouvernement pour des délits commis dans l'exercice de leur fonction, est composée de trois magistrats professionnels, six députés et six sénateurs.

Cette juridiction hybride dira si Mme Lagarde a par sa "négligence" permis à l'homme d'affaires, avec des complices, de détourner des fonds publics. Six personnes, dont Bernard Tapie, sont poursuivis dans une enquête parallèle de droit commun, encore en cours.

Une bonne partie des débats tourne mardi autour des rapports entre Mme Lagarde et l'Elysée en 2007 et 2008.

Plusieurs réunions importantes sur la gestion du dossier Tapie se tiennent à l'Elysée. Mais le président Nicolas Sarkozy ne donne "aucune instruction" directe à sa ministre, lui qui décroche pourtant "tout de suite" son téléphone quand elle s'avise de critiquer publiquement la politique économique de l'Allemagne, raconte Christine Lagarde.

Bernard Tapie - Crédit Lyonnais : des années de litige
Christine Lagarde
AFP

Arrive pour elle un moment embarrassant, lorsque la présidente de la CJR lit le brouillon d'une lettre fervente, destinée à M. Sarkozy, en février 2008. "Utilise-moi pendant le temps qui te convient", écrit à l'époque Mme Lagarde, qui demande au chef de l'Etat d'être "son guide" et signe "Avec mon immense admiration".

"Quand j'écris ce brouillon, que je ne réécrirais pas, (..) je suis en situation d'instabilité, (...) l'économie et la finance sont en train de vaciller" et des rumeurs courent sur sa démission, explique-t-elle.

"Je ne suis pas un animal politique", "j'ai besoin de guide pour naviguer dans cet univers", poursuit l'ancienne ministre.

Sur le fond du dossier, Christine Lagarde parle d'un accord "tacite" au sein de l'exécutif sur la gestion de cette affaire d'arbitrage.

Elle répète qu'elle a peut-être, avec d'autres, été "abusée". Par qui ?, demandent les juges à plusieurs reprises. Pas de réponse.

Mercredi, Christine Lagarde doit être confrontée à son ancien directeur de cabinet, cité comme témoin, et à d'autres hauts fonctionnaires de Bercy. Le procès doit se poursuivre jusqu'au 20 décembre.

La directrice générale du FMI Christine Lagarde au Palais de justice de Paris le 12 décembre 2016
La directrice générale du FMI Christine Lagarde au Palais de justice de Paris le 12 décembre 2016
AFP

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le