Impôt sur les multinationales : « Il y aura un vrai travail technique pour que cela ne soit pas uniquement de l’affichage »

Impôt sur les multinationales : « Il y aura un vrai travail technique pour que cela ne soit pas uniquement de l’affichage »

C’est une proposition portée par l’administration Biden depuis plusieurs semaines : taxer les profits des entreprises multinationales à 21 %, au niveau mondial. Ce mardi, Paris et Berlin se disent favorables à ce taux plancher. Pour Claude Raynal, président de la commission des finances au Sénat, c’est une bonne nouvelle, mais il faut rester vigilant quant à la mise en œuvre d’une telle disposition.
Public Sénat

Par Fanny Conquy

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Après l’ère Trump, le changement d’administration aux Etats-Unis s’accompagne d’un vent nouveau pour la fiscalité mondiale. Janet Yellen, la secrétaire au Trésor de l’administration Biden, porte cette proposition depuis plusieurs semaines : fixer un taux mondial d’imposition minimal sur les profits à 21 %. Ce matin, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire et son homologue outre-Rhin Olaf Scholz soutiennent cette idée dans le journal allemand Die Zeit.

Pour mettre fin au dumping fiscal, des négociations sur le sujet avaient déjà lieu au sein de l’OCDE, en vue d’un accord cet été. La France évoquait jusque-là un taux de 12,5 %, mais Bruno Le Maire se dit évidemment d’accord avec un taux à 21 %, « si tel était le résultat de négociations ». Et d’ajouter « les gens en ont marre que les grandes entreprises ne paient pas leur juste part de l’impôt ».

Dans le même sens, ce matin, nos confrères du Monde publient une tribune signée par sept économistes pour fixer « un taux minimal d’imposition de 21 % sur les profits des entreprises multinationales, où qu’ils soient localisés ». Pour les signataires, l’initiative américaine représente « un revirement spectaculaire et une opportunité unique pour une réforme ambitieuse de la fiscalité internationale ». Ils plaident pour un soutien total de la part de la France.


Le moteur américain

Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat, se dit favorable à l’initiative américaine. « Au-delà du niveau du taux en soi, cette imposition des entreprises, c’est ce que je souhaite depuis longtemps. Cette proposition des Etats-Unis est la bienvenue. Instaurer un minimum mondial, c’est une très bonne chose. » Cependant, le sénateur socialiste regrette que le mouvement vienne encore une fois de l’autre côté de l’Atlantique, alors que l’Europe et la France traitent ce sujet depuis longtemps déjà… « Même si c’est une bonne chose, et qu’il faut soutenir l’idée sans états d’âme, on peut tout de même regretter que les initiatives européennes aient du mal à faire bouger les lignes, alors que les Etats-Unis y parviennent ».

Par ailleurs, le président de la commission des finances alerte : « Attention : aux États-Unis les élections ont lieu tous les quatre ans. Que va signifier l’engagement des Américains sur le long terme ? On a déjà vu des accords internationaux résiliés par les administrations suivantes. Les Républicains n’y sont pas favorables, et on sait que la majorité démocrate actuelle est instable, donc il y a quand même une fragilité du système qu’il faut souligner ».

 

Jérôme Bascher, sénateur LR de l’Oise et membre de la commission des finances du Sénat, reconnaît : « Sans les Etats-Unis, c’était impossible à faire. Et avec l’administration Trump c’était inenvisageable. C’est donc une bonne nouvelle ». Mais pour le sénateur de l’Oise, il y a derrière cette initiative américaine une vraie stratégie politique, avec un double intérêt. « Pour Joe Biden, c’est évidemment le moyen de faire entrer l’argent dont il a besoin pour son plan de grands travaux. Mais c’est aussi une occasion de contrecarrer la Chine ! Cette taxation mondiale permettra de lutter contre le dumping chinois. Pour les Américains, c’est une nouvelle façon de s’attaquer à la Chine, mais d’une façon moins frontale. Les Etats-Unis ne font pas les choses par hasard. »

Une révolution mondiale

Pour Jérôme Bascher, « c’est un vrai sujet de révolution fiscale qui est en jeu. Jusqu’à maintenant nous étions dans une fiscalité pensée pour des économies fermées. Là on va s’adapter à la financiarisation mondiale. Cette taxe de 21 %, c’est une taxe adaptée aux services, et aux montages financiers. » Ce système favorisera en effet les relocalisations, et permettra de lutter contre les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent, selon le sénateur de l’Oise.

Comme l’expliquent nos confrères du Monde en effet : « Si, par exemple, ce taux minimal est de 21 % mais qu’une entreprise localise ses profits dans un paradis fiscal où elle n’acquitte qu’un impôt de 5 %, la différence (21 % − 5 % = 16 %) pourra être récupérée par le pays où se trouve le siège social de l’entreprise. En conséquence, les entreprises n’auront plus aucun intérêt à localiser leurs profits en fonction de la fiscalité. » Pour Jérôme Bascher, « cela pourrait rapporter 5 à 6 milliards d’euros à la France, ce n’est pas négligeable. »

L’application technique

Pour les économistes signataires de la tribune du Monde, « la proposition américaine d’un minimum de 21 % est ambitieuse, mais possible. Il est important qu’elle porte sur le taux effectif, qui prenne en compte les allègements fiscaux, les déductions ou les crédits d’impôt. »

Cette taxe minimale mondiale se joue sur deux plans pour Claude Raynal. « Sur le plan théorique c’est très bien. Mais il y a ensuite la question de l’application technique qu’il faudra régler. C’est un sujet très pointu, pour rapprocher les bases fiscales des différents pays. Il faudra être très précis sur l’application d’une telle taxation : quel seuil ? Quelle base taxable ? Quelle assiette ? Le gouvernement le sait, il y aura un travail minutieux à effectuer pour que cela ne soit pas seulement de l’affichage. »

Jérôme Bascher lui aussi, met en garde : « Le diable est dans les détails. Il va y avoir un long travail de l’OCDE pour définir les bases de cette taxe. Il n’y a aucune chance que cela entre en application d’ici cet été. Peut-être un sommet, un accord oui. Mais pour déterminer tous les détails techniques, cela va prendre du temps. On entrera dans une phase de négociations complexes. Si on arrive à une application d’ici 2023 ce serait déjà bien. »

Financer les investissements

Alors assiste-t-on à un changement de paradigme mondial, avec un retour du rôle majeur de l’Etat ? « Au niveau mondial je ne sais pas, déclare Claude Raynal. Mais ce qui est sûr c’est que si on appauvrit l’Etat, il n’y a plus d’investissements possibles, et les pays ne peuvent plus fonctionner. Regardez le travail effectué par le Sénat sur les ponts : on voit qu’il y a un vrai besoin d’investir dans les infrastructures publiques. »

Pour le sénateur socialiste, « Les Etats-Unis appliquent le B.A.-BA : cette nouvelle taxe sur les entreprises servira à financer les travaux d’équipements de ‘première nécessité’, c’est-à-dire les infrastructures essentielles au pays comme les routes, les réseaux de chemin de fer. » Pour le président de la commission des finances, il est aussi important de rappeler que l’impôt sur les entreprises, « ce n’est pas la question de leur faire des cadeaux ou pas. Ces infrastructures financées par les taxes leur servent directement, et au quotidien, pour faire fonctionner leurs activités. Cette taxe c’est une participation des entreprises aux équipements collectifs dont elles se servent. »

Cependant, le sénateur reconnaît que les sommes récoltées par l’Etat pourraient servir aussi à combler la dette creusée par la crise du covid : « Cet argent va servir aux investissements d’équipements bien sûr, mais aussi peut-être aux finances publiques pour limiter la dette covid. On ne peut pas séparer strictement les choses dans le contexte ».

La commission des finances du Sénat auditionnera Pascal Saint-Amans, directeur du centre de la politique fiscale de l’OCDE, le 5 mai prochain. « L’audition était prévue de longue date, mais elle arrive à point nommé. Evidemment nous aborderons tous ces sujets lors de cette audition », conclut Claude Raynal, président de la commission.

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