IVG dans la Constitution : la majorité sénatoriale de droite dénonce « le coup politique » de Philippe Bas

IVG dans la Constitution : la majorité sénatoriale de droite dénonce « le coup politique » de Philippe Bas

Au lendemain du vote de l’amendement de Philippe Bas (LR) à une proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution, la majorité sénatoriale de la droite et du centre est groggy. Elle estime que la version retenue ne constitutionnalise pas le droit à l’IVG et « ne sert à rien ». « Philippe Bas a voulu passer pour le progressiste de service », lâche le sénateur centriste, Loïc Hervé.
Simon Barbarit

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« Je pense que nous avons abusé de la confiance des femmes ». 24 heures sont passées mais les sénateurs de la droite et du centre gardent en travers de la gorge l'adoption de l’amendement de leur collègue Philippe Bas à la proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution.

Mercredi 1er février, le Sénat examinait un texte voté à l’Assemblée proposant d’inscrire un nouvel article 66-2 dans la Constitution, selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». La « contreproposition » de Philippe Bas votée unanimement par la gauche du Sénat avec l’appui de quelques voix de la droite et du centre, inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

Interrogé par Public Sénat, Philippe Bas explique : « Mon souci, c’était d’éviter un texte qui bouscule l’équilibre de la loi Veil. J’ai voulu au contraire réaffirmer cet équilibre qui repose sur deux principes : la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après un certain délai ».

« On laisse croire qu’on constitutionnalise le droit à l’IVG, alors que c’est faux »

Une analyse juridique loin d’être partagée par les sénateurs de son groupe. « On laisse croire qu’on constitutionnalise le droit à l’IVG alors que c’est faux. Ça ne change rien à la nature de la protection de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse. Pourquoi ? Parce que la phrase est placée à l’article 34 de la Constitution qui répartit les compétences entre l’exécutif et le législatif. Ça aurait été diffèrent si la référence à l’IVG avait été placée à un autre article. C’est un coup politique de Philippe Bas. Tout le monde s’engouffre dedans, même si certains le font de bonne foi », tance un cadre du groupe LR.

Le Sénat avait déjà dû se prononcer en octobre sur une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. La droite l’avait alors massivement rejetée sans l’amender. Seuls deux élus LR avaient voté pour. Ils étaient 14, hier soir, pour voter l’amendement de Philippe Bas. Suffisant pour une adoption.

« On a écrit quelque chose qui n’a aucune valeur »

« C’est une finasserie sénatoriale. On a écrit quelque chose qui n’a aucune valeur autre que : c’est la loi qui décide les conditions d’accès à l’IVG. Philippe Bas a été habile en faisant preuve d’une certaine ouverture mais ce n’est pas ce que demandent certains jusqu’au-boutistes », estime le sénateur LR, Jérôme Bascher qui, lui, s’est abstenu sur le vote de l’amendement.

Certes, la rédaction de l’amendement n’a pas convaincu la gauche du Sénat. Elle l’a pourtant adopté unanimement car comme l’a rappelé Marie Pierre de la Gontrie (PS) à la tribune, hier soir : « Elle choisit d’utiliser le terme de liberté et non le terme de droit. Or, l’IVG n’est pas seulement une liberté, c’est un droit ». Mais, pour la sénatrice de Paris, « elle a la vertu de s’engager sur le chemin de la constitutionnalisation ».

La sénatrice écologiste, Mélanie Vogel qui avait déposé la proposition de loi de cet automne a évoqué « un moment historique » dans la matinale de Public Sénat. « Le débat sur l’inscription du droit à l’IVG est derrière nous. Il y a une discussion sur comment on l’écrit et à quel endroit dans la Constitution. Ce sont des discussions qu’on va avoir dans les mois qui viennent mais on a remporté une bataille qui est immense », s’est-elle félicitée.

« Il a voulu passer pour le progressiste de service »

Une bataille dont le sénateur centriste, Loïc Hervé garde un goût amer. « La manière dont Philippe Bas a fait voter son amendement est assez désagréable pour la commission des lois. Il a trouvé une occasion de faire parler de lui sans chercher la solution collective. On parle d’amendement de compromis alors que c’est simplement une entente entre lui et les socialistes. Il a voulu passer pour le progressiste de service ». Loïc Hervé conteste lui aussi la valeur juridique de l’amendement qui selon lui « ne sert à rien ». Raison pour laquelle, le sénateur dit également avoir « très mal vécu » la séance d’hier soir. « Le débat s’est transformé en pour ou contre l’IVG. Philippe Bas a réussi son coup mais c’est une victoire à la Pyrrhus. On n’a pas fini d’en entendre parler », promet-il.

Au groupe LR, Philippe Bas ne s’est pas fait que des amis. « Il est en roue libre. Il s’ennuie en tant que questeur alors il fait de la politique. Même Gérard Larcher l’a rappelé à l’ordre en réunion de groupe LR », nous confie un élu. « On ne comprend pas ce qui lui a pris. Il y a encore une semaine, il ne défendait pas cette position », rapporte un sénateur de la commission des lois.

Peut-on y voir un soubresaut de la guerre entre le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau et Éric Ciotti pour la présidence du parti ? « Dans l’émission Quotidien, hier soir, Éric Ciotti a dit que s’il était sénateur, il aurait voté l’amendement de Philippe Bas. C’est quand même le président de notre parti. Ça ne laisse que peu de doutes sur le fait qu’il y aura un vote conforme à l’Assemblée », relève François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois qui, comme Bruno Retailleau, est farouchement opposé à la rédaction proposée par Philippe Bas.

« A un moment donné, le gouvernement doit sortir du bois »

En effet, si les députés votent la version de Philippe Bas de façon conforme (sans la modifier) alors le président de la République aura la possibilité de soumettre cette révision constitutionnelle à référendum. Une révision constitutionnelle d’initiative parlementaire serait une première. Les parlementaires de gauche et une partie de la droite ont régulièrement appelé le gouvernement à reprendre la main via un projet de loi. Il permettrait de réviser la Constitution par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, sans passer par le référendum. La gauche ne veut pas de campagne référendaire qui pourrait faire la part belle aux anti IVG, malgré des sondages montrant qu’une très large majorité de Français  est favorable au droit à l’avortement dans la Constitution. A droite, certains veulent se prononcer sur un texte plus bordé avec un avis du Conseil d’Etat.

Mais le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, mercredi soir, a été peu prolixe sur les intentions de l’exécutif, et ce malgré de nombreux appels du pied des sénateurs durant toute la séance. « A un moment donné, le gouvernement doit sortir du bois. Il faut qu’il dise s’il veut un référendum ou s’il veut qu’on passe par le Congrès […] Pour un gaulliste comme moi, passer par le peuple est une voix parfaitement naturelle. Mais le président de la République le veut-il ? Il faut qu’il le dise et il faut qu’il s’engage à le faire si l’Assemblée nationale suit le Sénat », a enjoint Philippe Bas, ce jeudi sur Public Sénat

« Nous ne sommes pas favorables à un référendum, mais si le gouvernement en veut un, allons-y », indique également, Marie-Pierre de la Gontrie.

Le président du groupe RDPI à majorité LREM, François Patriat mise plutôt une reprise en main du gouvernement après un vote conforme des députés. « J’imagine difficilement un référendum sur le sujet dans le contexte actuel ».

 

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