Le racisme et les discriminations ne reculent pas, selon un rapport de la CNCDH

Le racisme et les discriminations ne reculent pas, selon un rapport de la CNCDH

Dans son rapport annuel, la Commission nationale consultative des droits de l’homme revient sur le développement du racisme et France et pointe un paradoxe : alors que la minorité noire est la plus tolérée, elle est la plus discriminée. La CNCDH souligne aussi les manquements de la police dans le dépôt de plainte pour racisme.
Public Sénat

Par Ariel Guez

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« Face à la force des préjugés existants, les efforts effectués par le ministère de l’Intérieur dans l’intégration de la formation des forces de l’ordre, d’enseignements et modules dédiés à la lutte contre les discriminations et aux stéréotypes restent insuffisants ». Cette phrase, située page 302 de l’épais rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, bien qu’écrite pour parler de l’année 2019, ne devrait pas passer inaperçue.  

Un récépissé pour lutter contre les contrôles aux faciès ?

En parallèle du mouvement mondial contre le racisme et les violences policières, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a rendu public son rapport annuel. Initialement prévue avant le confinement, sa sortie ce mercredi fait donc écho à l’actualité et pointe le rôle de la police, à la fois par les actes racistes que peuvent commettre les forces de l’ordre, mais aussi par la place qu’à l’institution policière dans le traitement des plaintes.

Tout comme l’ONG Human Rights Watch ce jeudi, la CNCDH dénonce les contrôles aux faciès. « Le premier contact de la police avec la population ayant souvent lieu au cours des contrôles d’identité, la CNCDH encourage le ministère de l’Intérieur à collecter des données et à produire des statistiques officielles sur les contrôles d’identité », est-il inscrit dans le rapport. De quoi potentiellement laisser émerger l’introduction des récépissés lors des contrôles d’identité, une idée qui fait débat au Palais du Luxembourg.

Esther Benbassa (CRCE), qui a porté à son arrivée au Sénat en 2011 une proposition de loi sur le sujet, se félicite de ce constat fait par la CNCDH. « C’est une première étape très intéressante, explique-t-elle à publicsenat.fr, même si l’idée n’est qu’au stade de la réflexion » et qui pourrait répondre en partie à la colère qui s’exprime dans la rue depuis plusieurs semaines.

Castaner préfère les caméras piétons

Pour rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre, François Grosdidier préférerait lui la généralisation des caméras piétons. Interrogé la semaine dernière sur le sujet, le sénateur LR de Moselle expliquait que malgré ses limites, ce dispositif permettrait de « couper court à tout débat » d’accusation de racisme ou d’usage disproportionné de la force. « À partir du moment où tout est filmé, il n’y a plus de discussion et on voit bien dans quelles conditions et dans quel cadre, la force a été utilisée par les policiers, de manière légitime ou non », disait-il à notre micro.

Des propos entendus par Christophe Castaner, puisque lors des questions au gouvernement mercredi, le locataire de la place Beauvau a dévoilé devant les sénateurs son souhait d'équiper « de façon massive les forces de sécurité intérieure de caméras piétons efficaces ».

« Les plaintes contre le racisme ne sont pas toujours bien reçues dans les commissariats »

Autre constat fait par la CNCDH : le dépôt de plaintes reste largement insuffisant après des agressions racistes. « Les plaintes contre le racisme ne sont pas toujours bien reçues dans les commissariats », dénonce son président Jean-Marie Burguburu. « Il y a encore une réticence. On dit « ce n’est pas grave », mais si c’est grave ! » s’insurge-t-il. Ainsi, son organisation suggère que la hiérarchie « adresse des consignes fortes » aux policiers pour qu’ils ne recourent plus aux mains courantes, jusqu’à recommander sa prohibition dans les commissariats et brigades de gendarmerie. La CNCDH invite également la Place Beauvau à mettre en place plus de formations pour les policiers. « C’est mieux qu’il y a dix ans, mais on est loin du compte », regrette Jean-Marie Burguburu.

687 faits antisémites recensés l'an dernier

Car l’urgence est là. Selon le rapport, plus d’un million de personnes ont été victimes au moins une fois d’une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, mais seulement 6.603 affaires ont été transmises en justice, pour déboucher sur 393 condamnations.

L’ampleur du « chiffre noir », qui représente le nombre d’actes « qui échappent au radar de la justice » reste donc à évaluer. En 2019 toutefois, au moins 1983 actes ont été recensés, souligne le rapport, avec une nette hausse en comparaison à 2018 pour les actes antisémites (+54%, soit 687 actes). 154 actes antimusulmans ont été recensés en 2019, une hausse de 23%, souligne le rapport.

« La minorité noire est la plus tolérée, la plus acceptée, mais elle reste pourtant la plus discriminée »

Deux « paradoxes » subsistent. Certes, le racisme est encore présent en France, mais la société française est de plus en plus tolérante. Établi par la CNCDH sur une échelle de 1 à 100, l’indice de tolérance progresse de 13 points entre 2013 et 2019, pour se situer à 66 points.  Surtout, « la minorité noire est la plus tolérée, la plus acceptée, mais elle reste pourtant la plus discriminée », pointe Jean-Marie Burguburu.

« On va vers une société plus tolérante, c’est vrai », reconnaît Pap Ndiaye, auteur notamment de La condition noire : essai sur une minorité française. « Cette tolérance, rebondit Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, est expliquée par le renouvellement générationnel, mais aussi par le niveau d’instruction et surtout par le positionnement politique ». Plus une personne se situera à gauche de l’échiquier, plus son indice de tolérance sera élevé.

Un racisme qui se fond dans « des micro-agressions du quotidien »

« Mais il y a quelque chose qui résiste, il y a un noyau dur de gens qui se disent racistes », continue Pap Ndiaye, avec en parallèle un racisme qui s'est fondu dans le quotidien. « Ça apparaît relativement comme une chose peu agressive, c'est la bonne blague, c'est la question « d'où venez-vous ? » », explique-t-il. « Ce sont ces micro-agressions du quotidien, qui ne paraissent pas comme du racisme, mais qui goutte-à-goutte peuvent avoir des effets délétères ».

« Les questions liées à la discrimination sont souvent invisibles », continue Pape Ndiaye, citant la difficulté d'accéder à un logement ou à un travail. Sur le sujet, la CNCDH, qui a fait un « focus » cette année sur le racisme envers les noirs, recommande de faciliter l'accès aux éléments de preuves relevant dans les entreprises et les administrations du contentieux anti-discriminations pour permettre un travail d'investigation globale. Aussi, pour assurer une plus grande représentativité, la CNCDH recommande au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'encourager la représentation des hommes et des femmes noirs, y compris dans des fonctions d'expertise.

« La lutte contre le racisme, ce n’est pas que le travail des spécialistes, c’est le devoir de chacun »

Toutefois, exit l’idée de mettre en place les statistiques ethniques, dont le débat a été relancé Sibeth Ndiaye peu avant l'allocution du président de la République. Sur notre antenne ce matin, Didier Guillaume estimait que « ce n'était pas le moment de le faire ». « Si on entend par là que la France devrait faire des statistiques avec « race » ou « ethnie », c'est non », répond catégoriquement Nonna Mayer. « Il est extraordinairement dangereux qu'une entreprise puisse faire un fichier où elle fasse figurer des caractéristiques ethniques. À tous les points de vue, c'est une rupture d'égalité », argumente la directrice de recherche émérite au CNRS.

La haine en ligne est aussi un point sur lequel les auteurs du rapport portent une attention particulière. La CNCDH recommande depuis plusieurs années, à l'État français de se doter d'une autorité indépendante de régulation, qui serait notamment chargée de prévenir et de répondre rapidement, et de manière adaptée, aux discours de haine sur Internet.

Mais surtout, Jean-Marie Burguburu, appelle l'ensemble des citoyens à agir. À la manière du Général de Gaulle, il lance « un appel du 18 juin ». « Il faut lutter contre le racisme parce que même lorsqu'on croit que les choses vont mieux, elles ne le sont pas forcément (...) La lutte contre le racisme, ce n'est pas que le travail des spécialistes, c'est le devoir de chacun. En le faisant, nous ne faisons que respecter la devise de notre République : Liberté, Égalité, Fraternité ».

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