Les Afghanes « n’ont pas le droit à la protection internationale », déplore la chercheuse Nassim Majidi

Les Afghanes « n’ont pas le droit à la protection internationale », déplore la chercheuse Nassim Majidi

Trois mois après la prise de Kaboul par les Talibans, les sénatrices de la délégation aux droits des femmes ont organisé une table ronde sur la situation des Afghanes. La détérioration rapide de la situation sanitaire rend d’autant plus critique la situation des femmes dans le pays, selon les observateurs auditionnés.
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Par Héléna Berkaoui

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« Le ministère de la condition féminine a été supprimé et remplacé par le ministère de la propagation de la vertu et de la prévention du vice. Tout un symbole », expose la sénatrice communiste, Laurence Cohen, en préambule de la table ronde sur la situation des femmes afghanes, jeudi 25 novembre.

Trois mois après la prise de Kaboul par les Talibans, le sort des femmes afghanes reste plus que jamais préoccupant. À l’occasion de la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, la délégation aux Droits des femmes du Sénat a choisi de consacrer une table ronde à la situation des femmes en Afghanistan.

Après le retrait des troupes américaines et la chute éclair du gouvernement en place, les Talibans ont repris les rênes du pays en août dernier. Les scènes montrant des Afghans essayant de fuir à tout prix le pays avant la fermeture des ponts aériens sont restées ancrées dans les mémoires. Elles sont l’illustration de l’échec de 20 ans d’intervention internationale incapables d’instaurer un régime démocratique

« Des milliers de membres actifs de la société civile, des activistes, n’ont pas été évacués », rappelle Karim Pakzad

Aujourd’hui, la situation des femmes qui n’ont pu quitter le territoire s’avère critique, selon les observateurs présents. « La répression est telle qu’une grande partie des femmes intellectuelles, celles qui ont fait des études ou milité dans des associations, vivent dans la clandestinité. Des milliers de membres actifs de la société civile, des activistes, n’ont pas été évacués », rappelle Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Afghanistan.

Malgré la menace qui pèse sur les militantes des droits des femmes, des manifestantes ont plusieurs fois battu le pavé dans les rues de Kaboul. Des manifestations furtives et surveillées de près par les nouveaux maîtres du pays où ces femmes ont dénoncé le régime des Talibans mais aussi l’abandon de la communauté internationale.

Quatre militantes des droits des femmes, retrouvées mortes

Si ces manifestations n’ont visiblement pas été réprimées – les Talibans cherchant à lisser leur image - la répression est bien là. « Au début du mois, 4 militantes des droits des femmes, dont l’une très connue, Forouzan Safi, ont été retrouvées mortes à Mazar-e Charif dans le Nord », indique la directrice du centre de recherches Samuel Hall, Nassim Majidi.

Pour la directrice du centre de recherches Samuel Hall, il y a des leviers à activer pour soutenir ses femmes, notamment celles qui souhaitent quitter l’Afghanistan. Les démarches pour quitter le pays sont quasiment impossibles actuellement. Et les femmes cumulent les difficultés, puisqu’une partie des Afghanes ne disposent pas d’une « taskira », la carte d’identité afghane, document indispensable pour faire une demande de visa.

Les vols commerciaux ont cessé, les passeports sont de plus en plus compliqués à obtenir. Les portes des pays voisins sont fermées, elles n’ont pas le droit à cette protection internationale et au sein de leur pays, elles sont persécutées.

Pour faciliter les démarches administratives, Amnesty International propose de reconnaître le statut de réfugié pour les femmes et les filles afghanes. Nassim Majidi insiste aussi sur la nécessité de faciliter le regroupement familial pour les familles afghanes. Également présent à la table ronde, l’ambassadeur de France en Afghanistan a indiqué que la France continue à exfiltrer « beaucoup de femmes » sans pouvoir s’étendre sur ce point.

La pire crise humanitaire au monde

La prise de pouvoir des Talibans s’accompagne aujourd’hui d’une crise humanitaire qui pourrait devenir la « pire crise humanitaire » au monde, selon le programme alimentaire mondial (PAM). « Près de 23 millions d’Afghans pourraient souffrir de la faim cet hiver. 1 million d’enfants mourront de faim et 98 % du pays se trouvera sous le seuil de pauvreté », estime la directrice du centre de recherches Samuel Hall, Nassim Majidi.

Ces données terrifiantes ont récemment été illustrées par un reportage de la journaliste de TF1, Liseron Boudoul, invitée à cette table ronde. La grand reporter a mis en lumière la misère frappant la société afghane qui fait renaître « une coutume ancestrale » : la vente et le mariage d’enfants. Ces ventes d’enfants sont bien sûr faites sous la contrainte économique, les familles concernées étant dans le dénuement le plus total.

« Je sais bien que le thème aujourd’hui c’est la situation des femmes, mais je peux vous dire que la priorité, en ce moment, en Afghanistan c’est comment manger », alerte la journaliste de TF1 qui enjoint son auditoire : « Il faut absolument réussir à trouver une solution ».

>> Lire aussi: « L’Europe a le devoir d’accueillir des réfugiés afghans »

La situation humanitaire est aggravée par le gel des fonds de la banque centrale d’Afghanistan par les Américains depuis l’arrivée des Talibans, ainsi que par le gel d’une partie des aides par le Fonds monétaire international (FMI). « Tant que la communauté internationale conditionnera l’aide aux mesures que pourraient prendre les Talibans, rien n’avancera sur le terrain et je pense que cela pourrait devenir une erreur historique », prévient Liseron Boudoul.

La responsable du bureau d’ONU Femmes en Afghanistan parle, elle, d’un « véritable désastre ». « 24,4 millions d’Afghans ont besoin d’au moins une aide humanitaire. Le nombre d’Afghans en précarité alimentaire devrait passer à 23 millions. Selon le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la moitié de la population devrait passer en situation de pauvreté, d’indigence », assure Alison Davidian.

« Il ne faut culpabiliser la communauté internationale »

« La situation humanitaire est mauvaise, il n’y a pas de doute », reconnaît l’ambassadeur de France en Afghanistan. Pour autant, le diplomate incite à « prendre un peu de distance avec un certain nombre d’appels qui visent à culpabiliser la communauté internationale ». Pour David Martinon, « la France et la communauté internationale sont extrêmement généreuses ».

Trop ? « Pendant 20 ans, on a noyé ce pays sous les fonds et on en a fait une économie de rente. Je voudrais absolument éviter que par des appels à des dons illimités, l’on recrée une économie de rente et que l’on aide les Talibans », précise l’ambassadeur. Des propos sans détour qui pointent en creux la corruption généralisée caractérisant le précédent gouvernement afghan.

Outre les relations avec les Talibans, l’acheminent de l’aide humanitaire va être encore compliquée par la présence de l’EI. « Certaines ONG ne veulent pas revenir, cela complexifie l’apport de l’aide humanitaire », rapporte Liseron Boudoul. Un constat désespérant.

>> Lire aussi: Afghanistan : « Nous n’avons pas de dialogue politique avec les Talibans  », indique Jean-Yves le Drian

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