Les lobbies en France, une entorse à la démocratie en l’absence de transparence

Les lobbies en France, une entorse à la démocratie en l’absence de transparence

En jetant l'éponge après 15 mois au gouvernement, Nicolas Hulot a mis en cause le poids des lobbies, dont l'influence bien réelle...
Public Sénat

Par Baptiste BECQUART, avec le reportage économique

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

En jetant l'éponge après 15 mois au gouvernement, Nicolas Hulot a mis en cause le poids des lobbies, dont l'influence bien réelle en France peut être une entorse à la démocratie si elle demeure dans l'ombre, avertissent des spécialistes.

C'est l'"élément qui a achevé de me convaincre", a expliqué Nicolas Hulot mardi: la présence, lundi lors d'une réunion à l'Elysée sur la chasse, d'un lobbyiste "qui n'était pas invité", Thierry Coste, conseiller politique de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). "C'est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir? Qui gouverne?".

Fin mai, le poids des lobbies avait déjà été pointé du doigt, à propos de la loi agriculture, lorsque l'ex-ministre socialiste de l'Écologie, Delphine Batho, avait accusé un lobby d'avoir pu consulter son amendement sur l'interdiction du glyphosate plusieurs jours avant les députés.

Longtemps, le sujet est demeuré tabou en France, selon Cornelia Woll, professeure à Sciences Po, spécialiste des lobbies. Dans l'hexagone, "on a cette conception que la politique éclairée ne devrait pas être pervertie" par des groupes, analyse-t-elle pour l'AFP.

Pour autant, poursuit la chercheuse, "est-ce que les chasseurs doivent avoir une chaise à la table? Oui. Mais dans la même mesure que les autres groupes".

Or, soutient Benjamin Sourice, de l'ONG anti-corruption VoxPublic et auteur d'un "Plaidoyer pour un contre-lobbying citoyen" (éd. Mayer), il y a un déséquilibre: "Aujourd'hui la société civile, même organisée en associations, a des difficultés d'accès aux décideurs et trouve des portes fermées là où certains lobbyistes comme Coste ont des accès sans limites."

Thierry Coste racontait récemment sur France Inter: "Mon métier c'est d'abord de faire beaucoup d'investigation, je suis un spécialiste du renseignement, j'en cherche aussi dans les groupes de pression opposés, que j'infiltre - associations de consommateurs, ONG environnementales, syndicats..."

Taclant "certaines personnes qui ont oublié qu'on faisait un métier de prestation de service", Clément Leonarduzzi, président de l'agence de relations publiques Publicis Consultants, relativise pourtant. La loi Sapin II de 2016 et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique "permettent d'encadrer la profession: quand vous demandez un rendez-vous à un député, il doit être déclaré, vous devez expliquer qui vous avez vu, et pourquoi".

- "Lobby transparent" -

Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), assume, lui, son influence sur les sujets de rénovation énergétique: "Une fédération professionnelle, elle sent mieux que personne le ressenti des entrepreneurs sur un sujet."

"C'est surtout un problème quand les lobbyistes cherchent à bloquer un progrès pour maintenir un avantage concurrentiel", note Benjamin Sourice.

"On ferait mieux de s'interroger sur l'absence de courage et de conviction des politiques, il ne faut pas croire que ce sont les lobbies qui décident", fait valoir de son côté Alain Bazot, président de l'association de défense du consommateur UFC-Que Choisir.

Se revendiquant "lobby transparent" à l'origine "d'études sérieuses publiées et soumises à la critique de tous pour dénoncer des dysfonctionnements de marchés", l'UFC-Que Choisir se trouve confronté à des lobbies professionnels très puissants, dotés de moyens financiers importants. Parmi ceux-ci, les lobbies des secteurs chimique, agro-alimentaire, bancaire mais aussi le Medef comptent parmi les plus influents auprès de l'exécutif, estime M.Bazot.

Benjamin Sourice prône la transparence, opposant "le travail toujours public des associations" et "le lobbying privé, en coulisses, dont on ne sait pas exactement les réclamations".

Une règlementation efficace est d'autant plus difficile à concevoir qu'"en France, le lobbying ce n'est pas la mallette d'argent, mais les liens interpersonnels, la connivence entre ceux qui ont été à l'école ensemble", souligne Cornelia Woll.

"C'est la structure de l'élite française, il est assez facile de passer du public au privé, de travailler dans un cabinet, puis d'être précieux pour une entreprise car on a des contacts politiques", ajoute-t-elle.

Le gouvernement actuel compte d'ailleurs d'anciens lobbyistes. Le Premier ministre, Edouard Philippe, assume avoir été directeur des relations publiques d'Areva, tandis que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait un poste similaire chez le géant de l'immobilier commercial Unibail-Rodamco.

Dans la même thématique

Brussels Special European Council – Emmanuel Macron Press Conference
3min

Politique

Élections européennes : avant son discours de la Sorbonne, l’Élysée se défend de toute entrée en campagne d’Emmanuel Macron

Ce jeudi 25 avril, le président de la République prononcera un discours sur l’Europe à la Sorbonne, sept ans après une première prise de parole. Une façon de relancer la liste de Valérie Hayer, qui décroche dans les sondages ? L’Élysée dément, affirmant que ce discours n’aura « rien à voir avec un meeting politique ».

Le

Les lobbies en France, une entorse à la démocratie en l’absence de transparence
8min

Politique

IA, simplification des formulaires, France Services : Gabriel Attal annonce sa feuille de route pour « débureaucratiser » les démarches administratives

En déplacement à Sceaux ce mardi dans une maison France Services, quelques minutes seulement après avoir présidé le 8e comité interministériel de la Transformation publique, le Premier ministre a annoncé le déploiement massif de l’intelligence artificielle dans les services publics, ainsi que la simplification des démarches. Objectif ? Que « l’Etat soit à la hauteur des attentes des Français ».

Le

Brussels Special European Council – Renew Europe
10min

Politique

Européennes 2024 : avec son discours de la Sorbonne 2, Emmanuel Macron « entre en campagne », à la rescousse de la liste Hayer

Emmanuel Macron tient jeudi à la Sorbonne un discours sur l’Europe. Si c’est le chef de l’Etat qui s’exprime officiellement pour « donner une vision », il s’agit aussi de pousser son camp, alors que la liste de la majorité patine dans les sondages. Mais il n’y a « pas un chevalier blanc qui va porter la campagne. Ce n’est pas Valérie Hayer toute seule et ce ne sera même pas Emmanuel Macron tout seul », prévient la porte-parole de la liste, Nathalie Loiseau, qui défend l’idée d’« un collectif ».

Le

Jordan Bardella visite Poste-Frontiere de Menton
5min

Politique

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau

Alors que la liste menée par Jordan Bardella (31.5%) devance de plus de 14 points la liste Renaissance, menée par Valérie Hayer (17%), selon le dernier sondage IFOP-Fiducial pour LCI, le Figaro et Sud-Radio, le parti de Marine Le Pen, mise désormais sur l’électorat âgé, traditionnellement très mobilisé pour les élections intermédiaires. Désormais deuxième force politique chez les plus de 65 ans (le RN conquiert 24% de cet électorat, 7 points de moins que Renaissance), la stratégie semble porter ses fruits. Décryptage avec le politologue Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et récent auteur de l’ouvrage Le Goût de la politique : Un observateur passionné de la Ve République, aux éditions Odile Jacob.

Le