Loi sur les relations entre distributeurs et fournisseurs : le Sénat veut rééquilibrer les rapports de force
La commission des affaires économiques du Sénat a modifié la proposition de loi « visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation ». Un amendement prévoit la suspension du relèvement du seuil de revente à perte de 10 %.

Loi sur les relations entre distributeurs et fournisseurs : le Sénat veut rééquilibrer les rapports de force

La commission des affaires économiques du Sénat a modifié la proposition de loi « visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation ». Un amendement prévoit la suspension du relèvement du seuil de revente à perte de 10 %.
Henri Clavier

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Votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 janvier, la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation du député Renaissance Frédéric Descrozaille sera examinée par le Sénat en séance le 15 février après avoir été amendée par la commission des affaires économiques du Sénat le 8 février.

Déjà surnommée loi « Egalim » 3 (elle s’inscrit dans la continuité des lois Egalim et Egalim 2), la commission des affaires économiques du Sénat a adopté un amendement pour la renommer en, proposition de loi « tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs ».

Particulièrement scrutée, la proposition de loi a été radicalement transformée par les sénateurs, de nouveaux amendements pourraient intervenir en séance. Certains apports de la loi Egalim, adoptée en 2018 sont désormais remis en question. Notamment la mise en place, expérimentale, d’un dispositif d’encadrement des promotions ainsi que l’imposition d’un seuil de revente à perte, pour les distributeurs, consistant en la réalisation d’une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires (SRP +10 %). Alors que ces dispositions sont censées s’arrêter au 15 avril 2023, Egalim 3 proposait, dans la version de l’Assemblée nationale, de prolonger cette période jusqu’en 2026. Le Sénat a pris le contrepied en adoptant un amendement suspendant le dispositif pendant deux ans, jusqu’au 1er janvier 2025.

« le SRP + 10 s’est révélé être un chèque en blanc de 600 millions d’euros »

Introduits par la loi Egalim, ces différents dispositifs n’ont pas vraiment fait leurs preuves. La rapporteure, la sénatrice Anne-Catherine Loisier (Union centriste - Côte-d’Or), a pointé l’efficacité du dispositif dit SRP +10. Le dispositif s’adresse particulièrement aux produits d’appel sur lesquels les distributeurs avaient pour usage de ne pas réaliser de marge. L’objectif était donc de reporter la marge réalisée par le distributeur du fait de l’application du SRP + 10 directement dans le prix payé aux fournisseurs. Une intention louable mais inefficace puisque le dispositif reste volontaire et non contraignant. Selon le rapport présenté par Anne-Catherine Loisier « le SRP + 10 s’est révélé être un chèque en blanc de 600 millions d’euros par an offert à la grande distribution, et un chèque en bois aux agriculteurs. »

D’autre part le rapport met en lumière la portée inflationniste de la mesure et souligne qu’aucun des acteurs auditionnés n’a été en mesure de démontrer en quoi le dispositif avait permis d’augmenter le revenu des agriculteurs. D’autres conséquences comme le recul des PME françaises au profit des marques distributeurs ou la mise sous pression (fruits et légumes) de certaines filières ont été observées.

L’extension de l’encadrement des promotions pour prévenir un « risque important en matière d’emploi »

L’autre dispositif expérimental de la loi Egalim, l’encadrement des promotions, a aussi fait l’objet d’amendements de la part de la commission des affaires économiques du Sénat. La solution retenue est celle d’une extension du mécanisme aux produits non alimentaires, en particulier les produits de droguerie, parfumerie et hygiène dont les prix ont fortement baissé depuis 2018. La loi Egalim 1 prévoit un encadrement des promotions à 34 % de la valeur et 25 % du volume pour les produits alimentaires.

Dans sa version amendée, l’encadrement est élargi aux produits de droguerie, de parfumerie et d’hygiène sur lesquels les distributeurs ont, sur la période 2019-2022, pratiqué d’importantes promotions. Accusés de vider la loi Egalim de sa substance, les sénateurs se sont défendus par l’intermédiaire de la présidente LR de la commission des affaires économiques, Sophie Primas « il appartient au législateur de corriger le tir lorsqu’une mesure adoptée a des effets de bord : c’est ce que nous faisons en encadrant les promotions sur les produits non‑alimentaires. » Avant de rappeler « Sans cela, et compte tenu du nombre de ces produits fabriqués en France, nous courrions un risque important en matière d’emploi, d’investissement et d’innovation dans ces secteurs. »

Si l’extension de l’encadrement des promotions à cette gamme de produits doit entraîner une augmentation des prix desdits produits, ce coût doit être compensé par la diminution des prix engendrée par le SRP + 10.

« Rééquilibrer les forces »

Enfin, d’autres apports viennent rééquilibrer les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs comme l’amendement déposé par la rapporteure à l’article 3 visant à lever le flou juridique relatif à la période légale de négociations. Dans les conditions fixées par la loi, les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs se déroulent entre le 1er décembre et le 1er mars. Cependant, en l’absence d’accord au 1er mars, les parties négocient un préavis de rupture. Or le rapport sénatorial pointe l’inégalité entre les rapports dans cette relation commerciale : « Le distributeur peut donc continuer de commander des produits, qui ne sont pas facturés au tarif demandé récemment par le fournisseur ».

La solution proposée par Anne-Catherine Loisier prévoit que « le préavis de rupture (et donc le tarif applicable durant cette période) devra désormais tenir compte non seulement de la durée de la relation commerciale, mais également des conditions économiques du marché sur lequel opèrent le fournisseur et le distributeur. » Parmi ces conditions économiques, on pense notamment au taux d’inflation ou encore au prix des intrants.

En finir avec les pénalités logistiques « centres de profits »

En poursuivant une logique de rééquilibrage du rapport de force entre fournisseurs et distributeurs, la commission a adopté plusieurs amendements comme celui sur les pénalités logistiques. Destinées à assurer une livraison en temps et en heure aux distributeurs, les sénateurs constatent que ces pénalités sont détournées de leur but initial au point de devenir de véritables « centres de profit ». Un amendement à l’article 3, adopté en commission, entend trouver une solution en augmentant les obligations pesant sur les distributeurs (suppression du taux de service, le distributeur est obligé de démontrer l’existence du manquement au moment où il informe le fournisseur d’un manquement).

 

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