Pédiatrie à l’hôpital : « On est au bord du gouffre », alertent les sénateurs

Pédiatrie à l’hôpital : « On est au bord du gouffre », alertent les sénateurs

Mise sous pression par le manque de personnel et une épidémie de bronchiolite précoce, la pédiatrie est dans une « situation très grave », selon le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier. Le « plan d’action immédiat » annoncé par le gouvernement n’est pas à la hauteur, pointe la sénatrice LR Florence Lassarade, « ce ne sont pas des rustines qu’il faut, c’est un vrai plan pédiatrie ».
François Vignal

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L’impression que l’histoire se répète à l’hôpital. Cette fois, ce sont les services de pédiatrie qui sont mis sous fortes tensions. La faute en partie à l’épidémie de bronchiolite, qui touche les bébés et les jeunes enfants. Elle commence plus tôt cette année. Après deux années de recul, grâce aux gestes barrières imposés par le covid-19, le relâchement des mesures d’hygiène n’arrange rien.

Les soignants alertent sur une « dégradation criante des soins »

Face à la situation, plus de 4.000 soignants du secteur ont alerté Emmanuel Macron dans une tribune publiée dans Le Parisien/Aujourd’hui en France. Ils expliquent que des enfants se retrouvent « quotidiennement mis en danger » du fait d’une « dégradation criante des soins ». La faute au manque de lits qui entraîne des déprogrammations de soins, des transferts de bébés de l’Ile-de-France vers d’autres régions. Ils pointent aussi des sorties prématurées d’hospitalisation.

L’exécutif n’a pas tardé à réagir, cherchant visiblement à se montrer attentif et réactif pour tenter d’éteindre l’incendie, du moins sur le plan médiatique. Par la voix du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, on a appris dimanche qu’Emmanuel Macron « a sollicité immédiatement la première ministre et le ministre de la Santé pour qu’un plan d’action immédiat puisse être mis en place » et « déclencher, là où c’est nécessaire, les fameux « plans blancs » pour rappeler du personnel supplémentaire et pour avoir une meilleure coopération dans les territoires ».

150 millions d’euros pour l’ensemble des services « en tension » à l’hôpital, dont la pédiatrie

De son côté, le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé le déblocage de 150 millions d’euros pour l’ensemble des services « en tension » à l’hôpital, dont la pédiatrie. L’objectif est de « pouvoir répondre à des besoins urgents », comme des renforts de personnel ou la valorisation de la pénibilité de certains exercices (gardes et travail de nuit notamment). Des mesures pour remédier au plus urgent, qui ont « vocation à faire la jointure avec des mesures plus pérennes ».

« On a une épidémie de bronchiolite plus précoce que d’habitude qui arrive sur un hôpital à bout de souffle et sur lequel il faut faire un travail de fond », ajoute François Braun, qui assure que « bien entendu, nous allons prendre en charge tous les enfants qui nécessitent d’aller à l’hôpital ». Mais le ministre appelle les parents à ne pas se rendre aux urgences pédiatriques, si possible. « Il faut nous aider en évitant d’aller à l’hôpital, quand ce n’est pas nécessaire », demande François Braun.

Le ministère de la Santé promet par ailleurs l’organisation au printemps d'« assises de la pédiatrie » qui mettront « autour de la table toutes les parties prenantes concernées afin de travailler sur l’ensemble des difficultés structurelles ».

« Le plan blanc, ça veut dire qu’on va supprimer des interventions qui étaient programmées »

La sénatrice LR Florence Lassarade, pédiatre de formation, s’étonne de la réponse du gouvernement. « Je ne vois pas ce que vient faire le plan blanc, franchement. Ça m’inquiète. Ça veut dire qu’on va supprimer des interventions qui étaient programmées. C’est le propre d’un urgentiste (François Braun, ndlr) de vouloir mettre des rustines pour passer deux mois. Mais ce qu’il faut, ce sont des lits et du personnel formé à la pédiatrie pour les faire tourner », soutient la sénatrice LR de Gironde, qui rappelle que la France est passée « au 25e rang » en termes de mortalité infantile. Elle ajoute :

Ce ne sont pas des rustines qu’il faut, c’est un vrai plan pédiatrie.

Pour la sénatrice, la situation est telle qu’elle pourra avoir des conséquences graves pour la santé de certains enfants. « Là, on est au bord du gouffre. On s’est reposé sur un système de santé qui tournait tout seul car il y avait du monde pour le faire tourner », alerte Florence Lassarade. Le manque de moyens peut-il conduire à des décès d’enfants qui auraient été des morts évitables ? « Absolument, ça peut arriver. On peut mourir d’une crise d’asthme et la bronchiolite, c’est un peu l’asthme du nourrisson », lance cette ancienne pédiatre, qui a exercé en clinique et en cabinet.

Critiques tout aussi fortes de la part du sénateur (apparenté PS) Bernard Jomier. Le sénateur de Paris prend exemple sur « le service de pédiatrie de Poissy (Yvelines), qui n’a plus le nombre de soignants nécessaires pour fonctionner théoriquement. Il ne fonctionne que par dérogation de l’agence régionale de santé. Donc la situation est très grave et il est urgent de donner à l’hôpital les moyens de fonctionner. Et c’est tout l’inverse qui est fait dans le budget de la Sécu », dénonce aussi Bernard Jomier, invité de la matinale de Public Sénat ce lundi (voir la vidéo). Pour ce médecin de profession, le plan blanc annoncé par l’exécutif n’est « bien sûr » pas à la hauteur. « La semaine dernière, on a vu réapparaître dans la bouche des pédiatres l’expression « tri des enfants » », souligne Bernard Jomier.

« Le tri des enfants, ça existe »

« Le tri, ça existe », confirme sa collègue socialiste Michelle Meunier, « les moins de 3 ans sont prioritaires sur les plus de 3 ans, ceux qui ont des plaies sont prioritaires par rapport à ceux qui n’en présentent pas ».

« Mais la situation de la pédiatrie est tendue depuis longtemps, ce n’est pas une découverte. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on tire la sonnette d’alarme. On le refera au moment du budget de la Sécu. Cette situation perdure, il ne faut pas attendre un accident et une perte de chance pour les enfants », ajoute la sénatrice PS de Loire-Atlantique, pour qui « il faut une réponse d’urgence, mais aussi une réponse globale » et « des postes et des lits. Un lit, c’est trois soignants ».

« Il faut aussi de la pédiatrie libérale, qui est en train de disparaître complètement »

Quant à l’annonce d’assises de la pédiatrie pour le printemps, elle n’est pas non plus satisfaisante, selon Michelle Meunier. « C’est comme les conseils nationaux, les commissions bidules, c’est plus de réflexion. Mais je pense que le gouvernement a sur ce sujet toutes les données. Toutes les cartes sont posées sur la table depuis plusieurs mois. Ce n’est plus tellement de discussions dont on a besoin, mais de professionnels au chevet des patients », avance la socialiste.

Moins dure sur ce point, la sénatrice LR Florence Lassarade juge « très bien s’il y a des assises de la pédiatrie », même s’il faut « en amont encourager la pédiatrie, en formant trois fois plus ». L’ancienne pédiatre pense qu’« il faut aussi de la pédiatrie libérale, qui est en train de disparaître complètement. Si l’enfant est suivi et déjà vu par un pédiatre, cela permet de limiter les arrivées à l’hôpital. Il faut un filtre en amont pour éviter d’envoyer tout le monde ». Mais « encore faut-il trouver quelqu’un », ajoute la sénatrice de la Gironde.

Alors que le ministre demande justement aux parents de ne pas amener leurs enfants pour rien aux urgences, Michelle Meunier reste « très prudente là-dessus. Peut-être qu’on trouvera des parents inquiets, qui vont aller aux urgences, mais je pense que les parents sont responsables, ils connaissent la situation des hôpitaux », selon la sénatrice PS de Loire Atlantique, qui ajoute :

Je ne mettrai pas la responsabilité sur le dos des familles.

« En euros constants, quand on déduit l’inflation, il y aura moins d’argent pour l’hôpital en 2023 qu’en 2022 », souligne Bernard Jomier

Au-delà des 150 millions d’euros annoncés en urgence par le ministre de la Santé, « une réponse très partielle », selon Bernard Jomier, c’est bien la situation de l’hôpital dans son ensemble qui est sur la table, encore une fois. « Elle ne peut rester comme elle est actuellement. L’hôpital est en grande difficulté et a besoin de réformes de fond. Or on va débattre du budget de la Sécurité sociale dans 15 jours au Sénat, et quand on regarde, il n’y a pas un euro de plus pour l’hôpital. C’est pire que ça. Pour la première fois depuis au moins 15 ou 20 ans, la progression du budget de l’hôpital va être inférieure à la progression de l’inflation. Donc c’est un tour de vice supplémentaire », pointe le sénateur PS de Paris. Regardez :

Auditionné la semaine dernière au Sénat, le ministre de la Santé a pourtant mis en avant le niveau de ce qu’on appelle l’Ondam hospitalier, c’est-à-dire le budget de l’hôpital pour 2023. Il « progresse de 4,1 %, soit un effort supérieur à 100 milliards d’euros, en augmentation de 3,6 milliards d’euros par rapport à 2022 », soulignait François Braun, vantant « un effort ambitieux et le gage d’un renforcement de notre système hospitalier ». Un coup de com’, rétorque Bernard Jomier. « En euros courants, on est à 97/98 milliards d’euros. Ça n’a jamais été aussi élevé. Mais en euros constants, quand on déduit de ça l’inflation, et bien non, il y aura moins d’argent pour l’hôpital en 2023 qu’en 2022 », rétablit l’ancien rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital, dont les conclusions ont été présentées en mars dernier.

Lire aussi » Budget de la Sécu : le ministre François Braun mise sur la « prévention » et la « lutte contre les déserts médicaux »

« La mesure d’urgence à prendre, c’est sur le travail de nuit et de week-end »

Pour le sénateur, « la mesure d’urgence à prendre, c’est sur le travail de nuit et de week-end. Nous l’avions dit dans notre rapport avec la sénatrice Catherine Deroche. Tous les hospitaliers le disent, payer la nuit une infirmière seulement 10 euros de plus, c’est délétère, ça les fait fuir. Ne pas donner les plannings de week-end un mois à l’avance, mais des fois trois jours avant, ça fait fuir les personnels », soutient le sénateur de Paris, qui appelle aussi à « augmenter le nombre de soignants par patient, c’est le ratio soignant/patient ». Si lors de l’examen du budget de la Sécu, les parlementaires ne peuvent pas créer de nouvelles dépenses, Bernard Jomier compte bien « demander au gouvernement de le faire ».

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