Le gouvernement pris au piège de l’inflation

Le gouvernement pris au piège de l’inflation

La progression des prix dans les magasins a peu ralenti en août. Après deux ans de forte inflation, le gouvernement aborde les prochains mois avec des marges de manœuvres budgétaires réduites.
Guillaume Jacquot

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La France n’en a pas encore fini avec l’inflation. Elle devra patienter encore avant de voir la lumière au bout du tunnel. Plusieurs récentes publications le montrent, l’augmentation des prix à la consommation se maintient à un haut niveau. La semaine dernière, l’Insee a dû réviser à la hausse sa première estimation de l’inflation pour le mois d’août, en raison du renchérissement des prix de l’énergie. Selon l’institut statistique, les prix à la consommation ont augmenté de 4,9 % sur un an. C’est dans les rayons alimentaires qu’elle reste la plus spectaculaire : la progression conserve deux chiffres, à 11,2 % en rythme annuel. La hausse ralentit, mais sans doute pas aussi vite que ce qui était attendu par les observateurs.

Si la Banque de France se veut rassurante sur les années 2024 et 2025, avec l’engagement d’une inflation ramenée aux alentours de 2 %, la récente flambée des cours du pétrole assombrit la période actuelle. Voici près de deux ans que le gouvernement est aux prises avec un phénomène qui ronge de mois en mois, le pouvoir d’achat des Français. Tout a commencé au second semestre 2021. La reprise post-Covid pèse sur les chaînes d’approvisionnement et les coûts de la logistique, notamment maritime, explosent. L’invasion de l’Ukraine par la Russie à partir du 24 février propulse l’inflation dans une nouvelle dimension, à la faveur de tensions sur les matières premières et du cours de l’énergie. Le mouvement a infusé profondément dans l’économie, jusque dans les services.

Pour la troisième rentrée consécutive, le coût de la vie et le pouvoir d’achat restent en tête des préoccupations des Français. « On est à sept personnes sur dix qui déclarent se restreindre ou qui ont changé de comportements », rappelle Sandra Hoibian, directrice du Crédoc. Un niveau jamais atteint depuis les débuts de l’enquête annuelle du Centre de recherche pour l’observation et les conditions de vie.

Du chèque inflation de 100 euros au bouclier tarifaire, plus deux ans de dispositifs de soutien

Depuis le premier « chèque inflation » de 100 euros de décembre 2021, en passant par le bouclier énergétique à partir de 2022 puis les remises directes à la pompe prolongées sous forme d’indemnités, le gouvernement a enchaîné les dispositifs pour atténuer le choc sur le portefeuille des Français. Conséquence de leur coût faramineux – on parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros cumulés – les mesures d’accompagnement les plus spectaculaires ont progressivement été arrêtées. Le gouvernement pourra continuer à prendre en charge une partie de la hausse des tarifs de l’électricité, via le bouclier tarifaire sur l’électricité, mais lui aussi est appelé à s’éteindre progressivement d’ici la fin 2024.

Face au renchérissement du coût de la dette, et à ses promesses d’un déficit public moins élevé, l’exécutif poursuit son mantra de la fin du « quoi qu’il en coûte », enclenché en 2020. Au risque d’apparaître comme timoré, voire impuissant, sur le terrain de la lutte contre l’inflation ?

Aux racines du problème, à savoir le combat contre l’inflation, l’État n’est cependant pas le premier responsable. « On ne peut pas dire qu’un gouvernement est efficace pour lutter ou non contre l’inflation, ce n’est pas son mandat. La seule entité qui peut le faire, c’est la Banque centrale européenne avec la politique monétaire », explique Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO. Ce mardi, la cheffe économiste de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe la plupart des économies développées) a estimé que hausse des taux d’intérêt à travers le monde pour lutter contre l’inflation était « nécessaire », bien que « douloureuse ».

À lire aussi » Hausse historique des taux directeurs de la BCE : de quoi parle-t-on ?

Néanmoins, le gouvernement a bien son rôle à jouer sur le traitement des conséquences de la forte inflation qui touche la France. Limiter la casse, en somme. « L’État ne mobilise pas tous les leviers qu’il a dans sa main, comme la taxation ou la protection sociale », constate Sandra Hoibian, directrice du Crédoc, alors qu’il y a une « attente vis-à-vis de l’État ». « On arrive sur des leviers qui sont plus de l’ordre de l’incitation ou de la menace, quand on dit aux distributeurs ou aux industriels qu’il va y avoir des taxes, en espérant que ces acteurs bougent. »

« L’État n’a plus l’outil budgétaire à sa disposition pour soutenir les ménages »

Comme un symbole des marges budgétaires qui se restreignent cette année (16 milliards d’économies demandées dans une période de faible croissance), le gouvernement espère obtenir des résultats par d’autres biais. Sur la question des salaires, il convoque une conférence sociale, où les partenaires sociaux devront s’entendre sur la problématique des bas salaires. Le ministre de l’Économie veut également ouvrir au plus tôt les négociations entre distributeurs et fournisseurs dans la grande distribution. Cette accélération du calendrier des négociations annuelles, dans l’espoir d’assister à des baisses de prix dans les rayons, sera proposée dans le cadre d’un projet de loi en octobre. Dernière idée de l’exécutif : ouvrir le débat sur la fin temporaire de l’interdiction de la revente à perte, pour permettre aux stations-service d’aller plus loin dans les réductions des prix.

« L’État n’a plus l’outil budgétaire à sa disposition pour soutenir les ménages », résume l’économiste Ano Kuhanathan et enseignant à la Neoma Business School. « Il y a une forme d’inaction, constante depuis 2022 car l’État ne veut pas légiférer. Renvoyer dos à dos la grande distribution avec les industriels, c’est une position assez facile », estime l’auteur de l’ouvrage « Les nouveaux pauvres – Inflation, vie chère, qui pour payer l’addition ? ». L’essayiste, membre de l’Institut Rousseau, laboratoire d’idée classée à gauche, regrette également que le gouvernement ait refusé d’actionner le levier fiscal. « Bientôt, il n’y aura plus de superprofits. Cette base qu’on avait l’an dernier et cette année, ne sera bientôt plus là », avertit-il.

Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO, considère que le gouvernement « a peu de prises » sur une forte inflation. « Donner des aides pour l’énergie, cela a un coût colossal pour les finances publiques. Cela a un impact minime sur le pouvoir d’achat et c’est aussi problématique en pleine transition écologique. Ce qu’il faudrait plutôt faire, c’est donner plus à cette catégorie, les 20 % de la population active qui décrochent et qui se sont beaucoup paupérisés », encourage-t-elle.

Si les débats sur les solutions sont sans doute sans fin, nombre de spécialistes reconnaissent que le sujet de l’inflation s’est érigé en problème très politique. « Beaucoup d’institutions mettent en avant le fait que les hausses de salaires devraient être plus importantes que l’inflation cette année. Mais elles ont été inférieures les deux précédentes années. Depuis fin 2020 jusqu’à août 2023, l’indice des prix à la consommation a connu une hausse de 12 %. Je ne suis pas sûr que beaucoup de Français aient une hausse de salaire de cet ordre », met en perspective Ano Kuhanathan.

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