Dans la majorité d’Emmanuel Macron, quelques tensions à l’horizon

Dans la majorité d’Emmanuel Macron, quelques tensions à l’horizon

L’activisme d’Edouard Philippe, qui vise déjà la présidentielle de 2027 avec son parti Horizons, crée des crispations au sein de LREM et du Modem. S’il soutient Emmanuel Macron, l’ancien premier ministre vise un groupe suffisamment large à l’Assemblée pour « peser » dans la future « coalition ». Mais à trop vouloir prendre d’espace, les autres composantes se rebiffent.
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« La liberté, c’est le combat permanent qui consiste à maximiser votre espace de liberté sous contrainte ». La définition, donnée cette semaine par Edouard Philippe dans La Croix pour illustrer le travail de premier ministre, pourrait très bien s’appliquer à sa situation politique. Il cherche à maximiser. Celui qui s’est défini comme « loyal et libre » face à Emmanuel Macron, n’a pas les yeux rivés sur 2022. Il pense déjà au prochain quinquennat et, même, à la présidentielle de 2027.

Par le lancement, début octobre, dans sa ville du Havre, de son parti Horizons, Edouard Philippe ne cherche pas seulement à structurer l’espace politique du centre droit macroniste. C’est aussi une machine de conquête du pouvoir qui ne dit pas son nom. Pas pour cette élection. L’ancien premier ministre reste fidèle à Emmanuel Macron. Il vient même de lui accorder son parrainage, alors que le chef de l’Etat est le premier à obtenir 500 signatures. Mais il joue depuis des mois avec une certaine ambiguïté. Toujours dans La Croix, il explique espérer pour la campagne « un débat de bonne qualité, qui permettrait de présenter des alternatives en termes de personnalités, mais aussi et surtout des éléments qui permettent de gouverner »…

« Paris » sur les législatives

Horizons fait montre d’un certain activisme. Pendant les fêtes de Noël, au moment où les Français se retrouvaient autour de la dinde, les référents régionaux du parti étaient dévoilés. Des comités locaux sont créés partout en France. Le parti en annonce 130 et en espère bientôt 200. Ce vendredi, c’est celui du Havre qui est lancé justement, avant Valenciennes demain, avec une réunion en visio de « l’assemblée des maires ». Du bleu partout en somme. Avant une chambre bleue horizon ?

Lire aussi : Sondage : 61 % des Français pensent qu’Édouard Philippe ferait un meilleur Président qu’Emmanuel Macron

L’ambition du parti d’Edouard Philippe vient se percuter à la réalité actuelle de la majorité présidentielle, composée de deux piliers : LREM et le Modem. Les jaunes et les oranges veulent bien un peu de bleu, mais pas trop. Si le temps des investitures pour les législatives viendra après la présidentielle, les choses se préparent déjà. Un membre du gouvernement raconte cette anecdote, durant un Conseil des ministres. « Tu fais quoi ? » demande un ministre en vue à son voisin. « Des paris » sur les législatives. « Et c’est quoi ton code couleur ? » « Je ne te dis pas, sinon tu sauras mes paris ». Dans cette petite partie de poker entre membres de la majorité, il faut savoir cacher son jeu.

« Horizons est une nouvelle offre politique qui peut aider à enraciner la majorité présidentielle dans les territoires »

Pour peser pour la suite, Horizons devait fusionner avec Agir, le parti du ministre Franck Riester, et ses parlementaires. Une source de financement pour le parti d’Edouard Philippe. On connaît la suite. Veto d’Emmanuel Macron. « Je ne demande rien. Mais je n’ai pas envie qu’on m’emmerde, puisque c’est un terme à la mode », avait répliqué vertement dans L’Opinion un Edouard Philippe qui avait peu apprécié. Après avoir séché une réunion d’Ensemble Citoyens, la nouvelle structure de la « maison commune », qui rassemble les partis de la majorité, tout est officiellement rentré dans l’ordre.

« L’incident est clos », assure le député Pierre-Yves Bournazel, chargé des élections pour Horizons. « Ce qui est important, c’est qu’Horizons est une nouvelle offre politique qui peut aider à enraciner la majorité présidentielle dans les territoires. Il y a beaucoup de maires, d’élus locaux, départementaux ou régionaux qui nous ont rejoints ou vont le faire », ajoute le député de Paris, alors que LREM manque cruellement d’ancrage local. « Les choses sont apaisées », confirme Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants du Sénat, qui a rejoint aussi Horizons. « La meilleure preuve, c’est qu’Edouard Philippe a tenu, pour bien marquer le coup, à être un des premiers à apporter son parrainage à Emmanuel Macron. Ce n’est pas par hasard. Il va aussi participer dimanche, avec Richard Ferrand, à un grand atelier de réflexion de la majorité », ajoute ce proche d’Edouard Philippe. Du côté de LREM, on assure faire confiance au maire du Havre. « Edouard Philippe sera loyal et un soutien sans faille pour le président, jusqu’au bout » croit François Patriat, président du groupe RDPI (LREM) du Sénat, « après, qu’il veuille exister, personne n’en doute ».

« C’est de l’humour juppéiste. On ne peut pas comprendre… »

La paix des braves ? Sous couvert d’anonymat, les langues se délient un peu plus. Notamment du côté du Modem, où on craint de lire son jeu. « Le schéma idéal d’Edouard Philippe, c’est que la droite soit élevée pour lui permettre d’être le Bayrou de 2022, et imposer un rapport de force pour les législatives », analyse un responsable du Modem. Pour rappel, l’appui du leader du centriste avait joué un rôle important dans l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Mais au Modem, où François Bayrou n’a renoncé à rien pour 2027, on pense que ce calcul peut s’avérer perdant :

Edouard Philippe veut maximiser ses gains, pour être le sauveur de la campagne. Sauf qu’à force d’attendre, il risque de ne servir à rien.

Dans cette grande famille de la maison commune, on mange le soir sous le même toit, ce qui n’empêche pas les frères et sœurs de se disputer parfois à coups de beignes. Non sans un certain plaisir, un ministre lâche ainsi cette belle pique, en référence au passé d’Edouard Philippe : « Les juppéistes, c’est comme les strauss-kahniens, ils ne gagnent jamais un congrès ». Ou encore, à propos du « like » ironique d’Edouard Philippe sur un tweet du député LR Damien Abad, dithyrambique pour Valérie Pécresse : « C’est de l’humour juppéiste. On ne peut pas comprendre… » ironise à son tour un pilier de la majorité.

« On fera en sorte qu’ils n’aient pas le poids politique d’être les nouveaux frondeurs »

Les sourires risquent de se crisper au moment de discuter des législatives. « Si Philippe arrive en disant je veux 100 circonscriptions et qu’il fait la guerre dans 60, là, la tortue romaine se met en place », imagine-t-on au Modem, « et on n’est ni manchot, ni idiot »… La tortue romaine, ou faire bouclier collectivement face à une attaque. Ambiance. Du côté de LREM, on se méfie aussi. « Le Modem veut être plus fort qu’Horizons/Agir. Philippe veut peser le plus possible pour financer son parti et être déterminant dans l’équilibre de la majorité. Et nous, on veut une majorité forte. On est tous dans un rapport de force », décrypte un responsable LREM.

Mais en cas de groupe important à l’Assemblée, Horizons ne risque-t-il pas d’être les frondeurs du prochain quinquennat, en cas de victoire ? « On fera en sorte qu’ils n’aient pas le poids politique d’être les nouveaux frondeurs », prévient un poids lourd, « le Président veut être réellement réélu pour faire les choses. Et pas pour avoir au Parlement un groupe minoritaire qui lui explique comment faire les choses ». A bon entendeur… Reste un moyen pour faire redescendre un peu la pression, sourit un député LREM, c’est attendre :

Quand vous avez des dossiers de merde, la bonne méthode, c’est la pile de droite. Vous les laissez reposer.

« Jouer les frondeurs, c’est de la politique-fiction »

Du côté d’Horizons, on essaie de tempérer aussi. « L’idée est de faire des propositions sur les sujets essentiels, comme les retraites et les finances publiques, faire en sorte que la ligne de Philippe, qui est celle des macronistes du centre droit et de la droite, pèse dans les décisions de la coalition », explique un membre d’Horizons, où on assure que la comparaison avec les frondeurs n’a pas lieu d’être. « Les frondeurs ont fait qu’Hollande n’a pas pu se représenter. Il n’y aura pas ce problème de jouer au chantage permanent ». Ce soutien assume l’ambition de l’ex-premier ministre : « L’idée d’Edouard Philippe, si les circonstances le permettent, c’est de succéder à Macron. Et il aura besoin de son appui. Jouer les frondeurs, c’est de la politique-fiction ».

Lire aussi : Brouille Macron/Philippe : « Édouard Philippe doit dire qu’il sera solidaire durant tout le mandat », estime Alain Richard

Des ambitions pour 2027 qui gênent certains macronistes. « Ça veut dire qu’ils occultent la nécessité d’un quinquennat utile », pointe un parlementaire LREM. « Tout le monde sait que pour 2027, les candidats potentiels sont déjà là : Wauquiez, Le Maire, Philippe et deux ou trois autres. Il ne faut pas avoir des pudeurs de gazelle, ça me fait rigoler », lâche un philippiste. Certains soutiens d’Edouard Philippe voudraient voir aussi dans les inquiétudes des alliés une forme de « jalousie » et, au fond, une « peur de perdre leur bout de gras ». Dommage collatéral de ces petites tensions : Ensemble citoyens et la maison commune. « Le bébé est mal né », juge aujourd’hui un membre actif du nouvel ensemble.

« Au fur et à mesure de la législature, Edouard Philippe aura un programme »

Pour l’heure, dans cette tambouille très politique, Horizons prépare les discussions, qui n’ont pas encore commencé pour les législatives. Le parti examine département par département, circonscription par circonscription, où la formation peut disposer d’élus implantés, qui pourraient faire autant de candidats potentiels. Edouard Philippe fera lui prochainement des propositions et développera des idées, par exemple sur l’éducation ou le pouvoir d’achat, dans la revue du parti. De là à parler de projet… « Au fur et à mesure de la législature, Edouard Philippe aura un programme, en tant que parti », confie un proche. Un plan déjà bien réfléchi. Un peu trop, aux yeux des autres composantes de la majorité.

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