Un jour sans fin. La situation du pays a comme un air de déjà-vu. Le gouvernement a décrété, mercredi en Conseil des ministres, le retour de l’état d’urgence sanitaire face à la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19. Emmanuel Macron a annoncé dans la foulée un véritable couvre-feu dans les grandes villes du pays, soit 20 millions de Français interdits de sortie entre 21 heures et 6 heures du matin. La mesure, si elle semble nécessaire au regard des lits de réanimation qui se remplissent dangereusement, est néanmoins rude.
« Les Français vont subir une nouvelle dégradation de leur liberté de circuler. Finalement, on instaure un confinement nocturne pour 20 millions de Français » réagit auprès de Public Sénat Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat (voir la vidéo ci-dessus de Tam Tran Huy et Jérôme Rabier).
Socialistes et communistes réclament un débat au premier ministre
Sur le plan législatif, quelle est la suite ? Le rôle du Parlement est interrogé, alors que de très fortes mesures de privation de liberté sont décidées par l’exécutif sans aucun débat. Les socialistes, justement, le demandent. Dans une lettre commune envoyée à Jean Castex, Patrick Kanner et Valérie Rabault, présidente du groupe PS de l’Assemblée, demandent au premier ministre de « faire dans les plus brefs délais une déclaration devant le Parlement, suivie d’un débat », « en application de l’article 50-1 de la Constitution ». Voici la lettre :
Patrick Kanner et Valérie Rabault s’étonnent que Jean Castex détaille « devant la presse les mesures annoncées », sans « juger utile » de s’exprimer devant « la représentation nationale », comme l’avait fait Édouard Philippe le 28 avril dernier. « Une exigence de clarté et d’information (…) s’impose », selon les parlementaires.
Le groupe CRCE (communiste) du Sénat, par la voix de sa présidente, Eliane Assassi, demande également un débat avec vote au nom de l’article 50-1.
Interrogé sur cette demande lors de sa conférence de presse ce jeudi, Jean Castex s’est dit « toujours prêt à débattre de quoi que ce soit », expliquant cependant ne pas l’avoir encore reçue. Dans le compte rendu du Conseil des ministres annonçant le décret sur l’état d’urgence, il est dit qu’« en application de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, l’Assemblée nationale et le Sénat seront informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire ». Mais il n’est pas explicitement fait mention d’un débat en séance. Une chose est sûre pour le moment : Jean Castex recevra tous les présidents de groupes politiques mardi 20 octobre prochain, en fin d’après-midi, pour échanger sur la situation.
Un nouveau projet de loi nécessaire
Si la question d’un débat général n’est pas tranchée, un nouveau projet de loi portant l’état d’urgence sanitaire, similaire à celui adopté le 23 mars 2020, sera en revanche nécessaire. Il devrait être présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres, puis être examiné par les députés et les sénateurs. Il est indispensable pour prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’à six semaines, comme souhaité hier par Emmanuel Macron. Le décret, qui ne nécessite pas d’adoption par le Parlement, est valable à partir du 17 octobre pour un mois. Pour prolonger de deux semaines, le projet de loi devra donc être définitivement adopté avant le 16 novembre, et même un peu avant, pour laisser éventuellement le temps au Conseil constitutionnel le temps de se prononcer, si besoin.
L’ordre du jour précis n’est pas encore connu. D’autant qu’il ne sera pas simple de l’élaborer, avec les députés qui ont commencé l’examen des textes budgétaires, dont la durée d’examen est constitutionnellement limitée. Mais il faudra tout faire rentrer.
Retailleau : « Le Sénat veillera à ce que les contraintes apportées aux libertés publiques soient très encadrées »
« Le gouvernement peut prendre cette mesure par décret mais il ne peut le prendre que de façon limitée pour une période de quatre semaines » confirme Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, qui « demande au gouvernement de déposer très vite un texte au Sénat ». Il prévient : « Le Sénat veillera à ce que les contraintes apportées aux libertés publiques soient très encadrées ». Regardez :
Etat d'urgence sanitaire : Retailleau "demande au gouvernement de déposer très vite un texte au Sénat"
Si Bruno Retailleau n’a « pas d’opposition au couvre-feu », il pointe les faiblesses de la politique sanitaire du gouvernement. « On n’a pas rendu effectif les trois piliers que sont pister, tracer, isoler. C’est pour cela qu’on arrive à un constat d’échec. Le couvre-feu n’apportera rien, si on n’est pas capable d’avoir cette stratégie » met en garde le patron des sénateurs LR, qui ajoute :
Ça ne sert à rien de remettre la France sous cloche, s’il n’y a pas de dépistage.
Kanner dénonce « le manque d’anticipation du gouvernement qui aboutit à cette mesure radicale »
Une fois n’est pas coutume, Patrick Kanner partage en partie son analyse. Le socialiste « espère que le texte viendra le plus vite possible sur le bureau de l’Assemblée et du Sénat ». Surtout, il dénonce « le manque d’anticipation du gouvernement, qui a abouti à cette mesure extrêmement forte, radicale, et qui montre finalement, qu’à partir de 1.600 cas de réanimation pour Covid, c’est la panique générale dans les hôpitaux. C’est parce qu’on n’a pas été capable de renforcer les moyens de l’hôpital qu’on prend cette mesure de couvre-feu ». Le sénateur du Nord continue :
Je ne suis pas opposé au couvre-feu. Mais il y aurait d’autres solutions si le travail était fait en amont. Je regrette que tout le pays soit pris en otage.
En l’état, Patrick Kanner n’est « pas certain » que les sénateurs PS votent le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire. « Nous essaierons de l’améliorer. (…) Mais à ce stade, mon groupe est très réservé » ajoute l’ancien ministre.
L’état d’urgence sanitaire est-il vraiment nécessaire pour instaurer le couvre-feu ?
Une autre option avait pu traverser les esprits, un court moment. Celle de reprendre l’examen du projet de loi prolongeant le régime de sortie d’état d’urgence, suspendu avec fracas mercredi au Sénat. Mais ce n’était pas possible, assure-t-on de source ministérielle. Il n’était pas évident de présenter des amendements sur un texte déjà en cours d’examen. Surtout, il portait sur la sortie de l’état d’urgence…
Mais au fond, était-il vraiment nécessaire de rétablir l’état d’urgence sanitaire ? Oui, mais uniquement si l’exécutif souhaite rétablir un confinement, local ou généralisé. Car le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence, permet déjà à peu près tout, sauf le confinement. Il autorise le premier ministre à fermer les lieux recevant du public, à limiter les déplacements de personnes, les manifestations, ou imposer des restrictions sur les transports. Un état d’urgence sanitaire Canada dry en somme. Aux yeux de certains spécialistes, c’est un cadre qui aurait pu permettre l’instauration du couvre-feu. Mais en imposant de nouveau l’état d’urgence sanitaire, Emmanuel Macron se donne, s’il le faut, la possibilité d’aller plus loin et de confiner totalement la population des métropoles. Politiquement, c’est aussi une façon de reprendre la main et de se montrer proactif, au moment où la gestion de la crise sanitaire écrase tous les autres sujets.