La Cour de justice de la République, mode d’emploi d’une juridiction à part

La Cour de justice de la République, mode d’emploi d’une juridiction à part

L’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn est convoquée ce vendredi par la Cour de justice de la République, avec la perspective d’une éventuelle mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Focus sur une institution singulière.
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Un an après les commissions d’enquête au Parlement, Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé de mai 2017 à février 2020, va devoir se replonger sur sa gestion de l’épidémie de covid-19 en France, lorsqu’elle était aux manettes. Cette fois, c’est devant la justice qu’elle s’explique. Elle est convoquée, ce vendredi 10 septembre, par les juges de la Cour de justice de la République, qui se focalisent notamment sur l’anticipation de la crise et la question des stocks de masques.

Elle pourrait être mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « abstention volontaire de combattre un sinistre », dans le cadre de la gestion par le gouvernement de la crise sanitaire liée au covid-19. La convocation a lieu dans le cadre de l’enquête ouverte depuis juillet 2020. Elle pourrait aussi ressortir sous le statut plus favorable de témoin assisté, si elle parvient à convaincre les juges qu’il n’existe pas suffisamment d’indices graves ou concordants pouvant être retenus contre elle.

Comment fonctionne la Cour de justice de la République (CJR) ? Cette institution créée en 1993, à la suite de l’affaire du sang contaminé, est chargée de juger les membres du gouvernement pour des délits ou crimes commis dans l’exercice de leur fonction. Toutes les autres infractions qui n’ont aucun lien avec les décisions politiques sont du ressort des juridictions classiques, de droit commun.

Quel est le profil des juges de la CJR ? Sur les quinze juges, douze sont des parlementaires (on compte autant de membres suppléants). Six sont élus par l’Assemblée nationale, six par le Sénat. Au Sénat, on compte actuellement Chantal Deseyne (LR), Catherine Di Folco (LR), Jean-Luc Fichet (PS), Antoine Lefèvre (LR), Évelyne Perrot (Union centriste) et Teva Rohfritsch (groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants).

Côté Assemblée nationale, on retrouve Philippe Gosselin (LR), Charles de Courson (Libertés et Territoires), Didier Paris (LREM), Alexandra Louis (Agir ensemble), Naïma Moutchou (LREM) et Laurence Vichnievsky (MoDem et démocrates apparentés). À ces douze juges siégeant au Parlement, se trouvent également trois magistrats du siège à la Cour de cassation. C’est d’ailleurs l’un de ces trois magistrats qui préside la Cour de justice de la République.

Comment s’organise la procédure ? La Cour peut être saisie par tout un chacun, qui s’estime lésé par un crime ou un délit imputé à un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions. Pour le seul dossier de la crise sanitaire du covid-19, 14 500 plaintes sont arrivées à la CJR, selon Le Parisien. À l’époque de la Haute Cour de Justice, avant 1993, seul le Parlement pouvait engager des poursuites contre un membre du gouvernement.

Le filtre est organisé par la commission des requêtes. Sept magistrats issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes décident d’engager ou non des poursuites vis-à-vis du ministre en question. La commission peut décider de classer la procédure ou de transmettre la plainte au procureur général près la Cour de cassation, afin de saisir la Cour de justice de la République.

Deuxième étape, si la plainte est déclarée recevable, elle est traitée par la commission d’instruction. Trois magistrats de la Cour de cassation, procède aux auditions des plaignants et des personnes incriminées.

Vient ensuite la procédure de jugement. Les trois magistrats et les douze parlementaires se prononcent à la majorité absolue et à bulletin secret sur la culpabilité du prévenu, et si la culpabilité est prononcée, sur la peine infligée. L’arrêt peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, en cas de rejet de ses décisions, et la Cour doit être recomposée avant de rejuger l’affaire.

Depuis sa création, la CJR a prononcé un jugement à l’encontre de huit ministres et deux secrétaires d’État. Un certain nombre de relaxes a été prononcé, mais on se souvient aussi de certaines condamnations (relire notre article). Sa légitimité fait l’objet de débats et de contestations sur l’idée d’une justice à deux vitesses, voire d’exception. L’association Anticor lui reproche aussi sa partialité, due à sa composition. Au Sénat également, la CJR est critiquée. Le sénateur Bernard Jomier (apparenté PS), l’un des anciens rapporteurs de la commission d’enquête sur le covid-19 en 2020, « considère que les responsables politiques devraient être soumis à un régime de droit commun devant la justice, comme tous les autres ».

Après François Hollande, Emmanuel Macron avait prévu lui aussi la disparition de la Cour dans le cadre de la réforme constitutionnelle aujourd’hui en suspens.

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