Six milliards pour les soignants ? le Sénat dans l’expectative

Six milliards pour les soignants ? le Sénat dans l’expectative

Mercredi, le ministre de la Santé a proposé une enveloppe de six milliards d’euros pour revaloriser les rémunérations du personnel soignant. Tous les sénateurs saluent « un pas en avant » mais attendent impatiemment des réponses à deux questions : d’où vont venir ces six milliards et qui va les toucher ?
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Après plus d'un mois depuis le début du « Ségur de la Santé », on sait enfin à combien le gouvernement estime la revalorisation de la rémunération du personnel hospitalier non-médical. Le ministre de la Santé, Olivier Véran a proposé une enveloppe de six milliards d'euros, qui inclurait une augmentation générale des salaires des agents de la fonction publique, une refonte des primes, ainsi que des hausses ciblées sur certaines professions.

Un montant insuffisant pour certains syndicats, mais « un bon point de départ »

Mais pour plusieurs syndicats, l'enveloppe n'est pas assez importante. « Le compte n'y est pas », regrette Gilles Gadier, secrétaire fédéral à Force Ouvrière. Car, explique-t-il à publicsenat.fr, l'éventualité de devoir partager une partie de la somme avec le secteur privé, chose qui ne figurait pas dans le précédent projet d'accord, « a été une bonne surprise ». « Il y aurait 500.000 agents qui seraient concernés, donc c'est une bonne chose, mais pour l'hôpital public seul, nous estimons les besoins à plus de sept milliards d'euros », indique Gilles Gadier. Car les soignants revendiquent, entre autres, une hausse immédiate des salaires de 300 euros, comme nous vous l'expliquions dans cet article.

Côté syndical toutefois, les six milliards ont parfois été accueillis positivement. Laurent Berger a estimé chez nos confrères de France Info que les six milliards étaient « un bon point de départ ». Même constat pour la Fédération hospitalière de France (FHF), qui avait estimé à 5,5 milliards d'euros le montant nécessaire pour revaloriser les personnels des hôpitaux et rattraper le retard par rapport à la moyenne européenne, relève Les Échos. « Il faudra voir si c'est suffisant. Il faudra aussi des moyens en termes de recrutement dans les hôpitaux, notamment », précisait néanmoins le leader de la CFDT.

« Attention aux désillusions : ça peut revenir à quelques dizaines d'euros par personne »

Au Sénat, on se veut prudent. Certes, une enveloppe de six milliards serait importante, tant les dernières revalorisations sectorielles ont été minimes. Pour Bernard Jomier, sénateur apparenté socialiste de Paris, mais aussi médecin, « il n'y a pas encore suffisamment d'informations » pour commenter les six milliards mis sur la table par Olivier Véran. À raison, puisqu'on ne sait pas encore quelle part sera accordée à tel ou à tel secteur.

« Six milliards, c'est significatif, mais il faut voir ce qu'on met dedans », abonde René-Paul Savary. Lui aussi médecin, le sénateur LR de la Marne demande à voir qui seront les bénéficiaires de la revalorisation, et surtout combien de soignants ? « Quand on voit une telle somme, on peut sauter de sa chaise, mais attention aux désillusions : ça peut revenir à quelques dizaines d'euros par personne », prévient René-Paul Savary, qui déplorait « qu'aucune proposition » n'ait été mise sur la table jusque-là par le gouvernement après un mois de « Ségur de la santé ».

« Un pas en avant » pour « rattraper une partie du retard au niveau européen »

Même son de cloche à l'autre bout de l'hémicycle, où Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne, habituée à réclamer au Sénat ou sur notre antenne une revalorisation des salaires dans le secteur public, salue « un pas en avant ». « Je ne peux pas répéter qu'il faut augmenter les salaires et ne pas dire que c'est positif lorsqu'un chiffre est donné », justifie-t-elle. Mais lorsqu'on creuse, « il y a un trouble », soutient la sénatrice. « Les revendications ont été prises en compte, mais certains syndicats estimaient les besoins rien que pour l'hôpital public à bien plus », explique Laurence Cohen à publicsenat.fr.

« La crise a montré que les personnes qui travaillent à l'hôpital sont sous-payées »

Au centre du Palais du Luxembourg, Sonia de la Provôté, élue Union centriste du Calvados souligne « un signe positif », car six milliards « vont permettre de rattraper une partie du retard au niveau européen », selon la sénatrice. « On verra si c'est suffisant, mais la crise, qui n'est pas terminée, a montré que les personnes qui travaillent à l'hôpital sont sous-payées ». Même discours pour Véronique Guillotin. L'élue RDSE attend elle aussi de voir « le périmètre » de cette « enveloppe conséquente ».

Daniel Chasseing, élu République et territoires – Les Indépendants, de Corrèze, salue-lui sans trop de réserves les chiffres annoncés dans la presse mercredi soir. « Ce n'est sans doute jamais suffisant, mais c'est une avancée formidable. Six milliards, ce n'est pas rien », explique-t-il à publicsenat.fr « J'espère que les syndicats verront l'effort fait par l'État », poursuit le sénateur, médecin de formation.

Des mesures étudiées au PLFSS ou au PLFR 4

Au Palais du Luxembourg, le consensus est là : oui, il faut une revalorisation de la rémunération des personnels soignants. « Mais de quelle façon ? » glisse René-Paul Savary, car on ne sait pas si ces six milliards seront des primes ou une revalorisation des salaires.  Quelle que soit l’enveloppe qui sortira du « Ségur de la Santé », elle ne sera pas tout de suite donnée au personnel soignant.

Selon le premier projet d’accord, le nouveau dispositif de rémunération serait créé par une disposition législative inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en 2021. En clair, il faudra attendre les débats à l’automne 2020 et le vote en fin d’année. La hausse serait donc appliquée de manière rétroactive, chose « tout à fait possible », glisse Gilles Gadier. Laurence Cohen, réclamait un PLFSS rectificatif dès cet été, mais aussi d’autres sénateurs de tous bords comme le président LR de la commission des Affaires sociales Alain Milon ou le sénateur MoDem Jean-Marie Vanlerenberghe.

Le financement des six milliards n’est pas encore connu

La revalorisation de la rémunération pourrait aussi être inscrite lors d'un projet de loi de finances rectificative à la rentrée. Mais une question se pose désormais pour Bercy : où trouver l'argent ? Du côté de la mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale, ni l'un des vice-présidents Yves Daudigny, ni l'une des secrétaires Véronique Guillotin ne souhaitaient réagir aux conséquences qu'aurait un tel ajout. « Nous n'avons aucune information sur ces six milliards, pas de commentaire possible » nous répondait par message le sénateur de l'Aisne. L'élue de Meurthe-et-Moselle estimait elle aussi qu'il était « prématuré » de réagir aux conséquences que pourraient avoir ces six milliards.

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« On dit qu’il n’y a pas d’argent magique, mais il y a des formules d’annonces magiques »

« J’ai plus de questions que de réponses », abonde Michelle Meunier. La sénatrice de Loire-Atlantique explique qu’il ne faut pas que cette enveloppe soit conditionnée « à des variables d’ajustement ». « Si c’est ça, on ne peut qu’être qu’inquiets », regrette l’élue. Plus à droite, Sonia de la Provôté (UC) temporise elle aussi : « Il nous manque le financement. Nous avons dit que six milliards étaient une somme importante, mais cela correspond-il à de nouveaux fonds ou à un redéploiement ? ». Pour l’élue, une chose est sûre : « Rien ne peut être retiré des lignes budgétaires touchant à la médecine de ville ».

Les ministères non plus ne savent pas d’où vont sortir les six milliards d’euros. Interrogés par la journaliste de France Culture Marie Viennot, les services de Bercy répondaient jeudi « pas d'annonce, pas de précision ». L’exécutif attend donc les conclusions du « Ségur de la santé » avant de donner leurs pistes de financements. « On dit qu’il n’y a pas d’argent magique, mais il y a des formules d’annonces magiques », réagit une élue du Palais du Luxembourg.

Les négociations vont continuer jusqu’à la mi-juillet, les manifestations du 30 juin maintenues

En attendant le PLFSS ou le PLFR 4, les syndicats ont plusieurs pistes pour financer la hausse des salaires, mais certaines comme l’augmentation de certaines cotisations sociales ou de certains impôts semblent définitivement exclues par l’exécutif. Une hausse des dépenses de Santé pourrait ne pas être exclue, et serait soutenue par des sénateurs de tous bords au Palais du Luxembourg.

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Car les négociations sont loin d’être finies : dès ce jeudi soir, les syndicats seront reçus au ministère de la Santé et des réunions vont rythmer la quinzaine de jours avant la fin du Ségur. Après le succès des manifestations partout en France le 16 juin, une intersyndicale appelle les soignants à se mobiliser pour une journée d’action mardi 30.

Une date choisie avant qu’Olivier Véran ait proposé que six milliards soient mis sur la table. Qu’importe, explique Gilles Gadier de Force Ouvrière. « Cette manifestation est nécessaire. Il faut continuer à faire la démonstration qu’il y a un problème de rémunération dans l’hôpital public », affirme-t-il à publicsenat.fr, avant de conclure. « Après la crise, il n’y a pas de héros. Simplement des professionnels qui font leur travail et qui attendent d’être payés ».

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