Université : la mobilisation contre la sélection s’amplifie dans les facs

Université : la mobilisation contre la sélection s’amplifie dans les facs

Plus de 400 enseignants-chercheurs refusent d’appliquer le nouveau système Parcoursup qui instaure une sélection à l’université via un classement. Ils défendent au contraire une université ouverte, avec plus de moyens. Etudiants et enseignants ont manifesté à Paris, Lille ou Montpellier.
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« La sélection, c’est dégueulasse ! » Pour eux, la réforme de l’enseignement supérieur ne doit pas passer. Etudiants et enseignants-chercheurs se sont retrouvés ce mardi, sur le coup de midi, devant la Sorbonne, pour dénoncer une sélection qui ne dit pas son nom. Une manifestation à l’appel de plusieurs organisations syndicales étudiantes, enseignantes et lycéennes. L’expression d’un mouvement de plus en plus profond dans les universités françaises, où la mobilisation contre la loi sur les nouvelles modalités d'accès à l'enseignement supérieur prend de l’ampleur. Au point que de nombreux enseignants refusent aujourd’hui de jouer le jeu du nouveau système Parcoursup, qui a remplacé APB. Il doit permettre un classement des futurs étudiants. 890.000 lycéens sont concernés.

Pas moins de 425 enseignants-chercheurs publient aujourd’hui une tribune sur le site de France Info.  Ils y dénoncent « une sélection absurde » et « hypocrite ». « Le gouvernement préfère la sélection au financement des universités à la hauteur des besoins » écrivent les signataires. Autre tribune, publiée celle-ci sur lemonde.fr, où 200 enseignants du supérieur expliquent refuser « de porter un jugement sur les espoirs, les aspirations et la capacité de chacun à réaliser ses rêves ». Ils rappellent le « manque de moyens dont (ils) disposent pour soutenir (les bacheliers). Amphis parfois bondés, salles occasionnellement non chauffées, équipement informatique insuffisant, enseignants précaires, secrétariat surchargé, les gouvernements successifs ont abandonné l’université au profit d’autres établissements, réservés à une « élite » ».

Hervé Christofol (SNESUP-FSU) : « Parcoursup risque d’être pire qu’APB »

Devant La Sorbonne, au cœur de Paris, ils sont un millier à s’être rassemblés (voir le sujet vidéo de Jordan Klein). Pas encore la mobilisation des grands jours, mais leur détermination est forte. Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU, tient sur son épaule le drapeau de son syndicat, premier du supérieur chez les enseignants. Dès l’annonce de la réforme, il avait mis en garde (voir notre interview). Depuis le 31 mars et la clôture du temps consacré aux vœux – on en compte pas moins de 8 millions ! – les enseignants se retrouvent face à Parcoursup. « Maintenant, on leur demande de trier les candidats en fonction d’attendus. D’abord, c’est techniquement très difficile. On nous demande d’utiliser des notes de première et terminale qui n’ont pas été délivrées pour cela, pour censurer l’orientation des étudiants » explique l’enseignant-chercheur, qui veut préserver une université ouverte. Regardez :

Hervé Christofol (SNESUP-FSU) : « Parcoursup risque d’être pire qu’APB »
02:23

Pour Hervé Christofol, c’est tout vu : « Ça risque d’être un fiasco, Parcoursup. Nous appelons tous les enseignants-chercheurs à répondre « oui » à tous les bacheliers qui pourraient s’inscrire dans une licence. Ça leur donnera le choix et ça évitera de bloquer Parcoursup. Car si tout le monde sélectionne, il est très probable que des dizaines de milliers de bacheliers se retrouvent in fine sans affectation. Ça risque d’être pire qu’APB ! » Pour le responsable du SNESUP-FSU, « le gouvernement et la ministre sont dans le déni. Ils sont dans le déni de la sélection, ils n’assument pas. Ils sont dans le déni du fiasco de Parcoursup et dans le déni de la mobilisation, alors qu’il y a plus de 40 établissements mobilisés en France, plus de 12 d’entre eux sont bloqués ou occupés, que plus de 110 départements ou UFR ont décidé de ne pas appliquer les algorithmes de Parcoursup. Le gouvernement renvoie dos à dos les contestataires et les milices d’extrême droite. Il faut que ce gouvernement écoute et négocie ».

« Certains vont se retrouver sur le carreau »

Derrière, la numéro 1 de l’Unef, Lilâ Le Bas, s’apprête aussi à battre le pavé. « Le gouvernement caricature le mouvement. Il envoie les CRS a Nanterre hier pour dégager une bande de jeunes qui occupent un amphi de manière pacifique et mettent sept jeunes en garde à vue. C’est inacceptable » dénonce la présidente du syndicat étudiant.

Noémie, 21 ans, étudiante en L3 d’administration économique et sociale, est assise sur le côté. Pas vraiment là pour manifester. Elle mange sa salade de pâtes. « C’est ma pause déj ». Elle n’en est pas moins sensible au mouvement. « Il faudrait plutôt donner plus de moyens à l’université que sélectionner » dit-elle. Coline, sa pote inscrite en L3 d’histoire, à Paris 1, est elle déjà bien engagée dans le mouvement. Elle a passé la nuit de mercredi sur le site de Tolbiac, occupé par les étudiants. « Je suis profondément anti-violence » précise-t-elle. Selon la jeune fille, la réforme va accroître les inégalités. « Arriver avec un 18 d’un lycée de ZEP ne sera jamais considéré comme un 18 d’un lycée favorisé. Certains vont se retrouver sur le carreau » craint Coline.

« C’est simplement impossible à faire »

Un petit groupe d’enseignants du département de langues de Paris I se tient quelques mètres plus loin. Là encore, la question des moyens arrive vite dans la discussion. « On croit que filtrer les étudiants va résoudre un problème. Mais non. On n’a pas plus de moyens dans la réforme, de création de postes de personnels administratifs » dit une enseignante-chercheuse. Elle ne préfère pas donner son nom, en raison de désaccord entre professeurs. Une partie d’entre eux ont voté hier, en AG, la non-tenue des partiels, « dès lundi » prochain. Mais elle vise déjà plus loin : « Notre mouvement a vocation à rejoindre tous les secteurs de lutte ».

Boulevard Saint-Michel, le cortège est dans les starting-blocks, prêt à partir. Les slogans tournent, les voix s’échauffent. Alexandre Vincent regarde la scène depuis le trottoir. « Je refuse de classer les étudiants » cadre tout de suite cet enseignant-chercheur en Histoire, à l’université de Poitiers. Dans sa matière, « nous avons 1.000 dossiers pour 170 places. Nous ne sommes pourtant pas une filière dite en tension. Ça devient absurde de sélectionner. Mais 1000 dossiers, c’est rien comparé à certaines universités parisiennes. En droit, à Paris 1, il y en a 26.000 ». Dans ces conditions, « c’est simplement impossible » de faire la sélection, et notamment de lire et noter les lettres de motivation que les lycéens doivent chacun déposer en faisant leurs demandes sur Parcoursup. « Les lettres de motivation confortent les inégalités sociales. Il y a un lien avec l’environnement socioculturel. Et les notes diffèrent selon les lycées. Ce ne sont pas des bons critères » ajoute Sandrine Berroir, maître de conférences en géographie à l'Université Paris 7. Et en bout de chaîne, « le rectorat aura la main à la fin et pourra combler les trous », au risque d’envoyer des étudiants là où ils ne veulent vraiment pas aller, complète Alexandre Vincent. « On part d’un système totalement injuste, avec APB. Et là, c’est encore plus injuste ! » conclut Camille Schmoll, elle aussi géographe à Paris 7.

« Développer la mobilisation dans les lycées »

Et les lycéens, premiers concernés par la réforme, qu’en disent-ils ? Pour le moment, ce sont surtout leurs représentants qu’on trouve dans le cortège. « Les lycéens stressent beaucoup. Ni eux, ni les professeurs ne sont formés à l’utilisation de Parcoursup » souligne Marouane Majrar, porte-parole du syndicat lycéen FIDL. Il s’oppose autant à la réforme de l’université qu’à celle du bac, « les deux s’emboîtent ». Il espère bien « développer la dynamique de mobilisation » dans les semaines à venir. Le porte-parole de la FIDL se plaît à rappeler que « sans les lycéens, mai 68 n’aurait pas existé… »

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