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Livret A pour financer la défense : « Une excellente décision », selon le sénateur Cédric Perrin

Le budget 2024 prévoit que le livret A pourra aussi financer les entreprises du secteur de la défense, qui font face aux refus de financement des banques. Une mesure inspirée d’un amendement voté par le Sénat, lors de l’examen de la loi de programmation militaire, en juin. Censurée par le Conseil constitutionnel, elle a été réintroduite à l’occasion du projet de loi de finances.
François Vignal

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C’est une idée qui a été amorcée au Sénat, lors de l’examen de la loi de programmation militaire (LPM), en juin dernier. Les fonds du Livret A vont pouvoir permettre de financer l’industrie de la défense. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) à l’Assemblée nationale, et du recours au 49.3 sur la partie dépenses du budget, la première ministre, Elisabeth Borne, a notamment retenu un amendement qui ouvre cette possibilité.

L’amendement des députés Christophe Plassard (Horizons) et Jean-Louis Thiériot (LR) prévoit que l’argent collecté par le livret A, mais aussi le livret de développement durable et solidaire, pourra financer également « les petites et moyennes (entreprises), de l’industrie de défense française ». Une réponse aux difficultés que rencontre le secteur pour se financer auprès des banques. L’encours total du livret A est de 510 milliards d’euros en 2022. L’amendement prévoit aussi un rapport sur « l’impact pour les finances publiques » et « l’efficacité » de la mesure.

Bercy freinait jusqu’ici

Un principe similaire avait été introduit par la majorité sénatoriale, lors de l’examen de la LPM. Le Sénat avait en effet voté la création d’un « livret d’épargne souveraineté » pour « soutenir l’industrie de défense », inspiré d’une proposition issue d’un rapport des sénateurs Pascal Allizard (LR) et Yannick Vaugrenard (PS).

Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait alors reconnu un « sujet majeur ». « On ne peut pas nier qu’il y a une difficulté », soulignait le ministre, saluant « le signal » envoyé par les sénateurs, qui lui semblait « évidemment aller dans le bon sens », surtout « quand on voit que certaines entreprises ont des difficultés à avoir accès aux produits bancaires, car ils travaillent en lien avec la dissuasion nucléaire, et on ne peut pas aider des entreprises qui seraient en lien avec des armes, je cite, “de destruction massive” ». Mais Sébastien Lecornu relevait « les doutes de Bercy », c’est-à-dire du ministère des Finances, qui avait tendance à bloquer pour des raisons « techniques ». « L’ennemi de la défense, c’est Bercy », sourit aujourd’hui un parlementaire…

A l’issue de la commission mixte paritaire, le dispositif avait évolué. L’idée avait été conservée, mais appliquée plutôt au livret A. Le Parlement avait ainsi adopté cette réforme du livret le plus populaire chez les Français, à l’issue de l’examen de la LPM, mi-juillet. Mais la mesure a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, plus sur la forme que le fond. C’est donc exactement le même amendement – celui de la CMP – qui a fait son retour à la faveur de l’examen du budget 2024. Il y a cette fois sa place. Et le gouvernement appuie la mesure.

« On va préconiser de soutenir la mesure au Sénat », affirme Pascal Allizard (LR)

Au sein de la droite sénatoriale, on voit évidemment la mesure d’un bon œil. « Bien sûr, je m’en réjouis. On sait que certaines entreprises sont en difficulté, sur l’impossibilité de se financer. C’est une excellente nouvelle. Et une bonne nouvelle pour nos concitoyens. L’esprit de défense est beaucoup plus développé qu’on ne le croit », réagit le sénateur LR Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Pascal Allizard voit pour sa part l’adoption de la mesure comme un aboutissement. « Ça fait 4 ans qu’on travaille sur ce sujet, avec Yannick Vaugrenard (qui n’est plus sénateur depuis septembre, ndlr). On proposait la création d’un véhicule particulier, pour flécher une épargne vers la défense. On avait bien compris que Bercy serait un peu allergique à la création d’un nouvel outil. On a eu pendant 3 ans un refus et le même déni de Bercy, vis-à-vis de la situation. Mais l’objectif était de les amener sur le prélèvement d’une partie du livret A. Et c’est effectivement ce qu’il s’est passé, avec l’accord du gouvernement, lors de la CMP sur la LPM », raconte le sénateur du Calvados. « Et avec mes collègues de l’Assemblée, on avait convenu qu’au PLF 2024, on représenterait le dispositif. Donc très clairement, ce qu’ont inscrit nos collègues députés est dans la ligne de ce que nous avions convenu en juillet. Et évidemment, dans mon rapport 2024 sur ces crédits, dans le cadre du budget, on va préconiser de soutenir la mesure au Sénat ».

« Le besoin de financement est énorme pour l’industrie de la défense », ajoute encore Cédric Perrin, même « s’il y a moins de refus de banques en France qu’ailleurs en Europe ». Mais globalement, « on a un vrai sujet avec les banques, qui ne jouent pas vraiment le jeu », insiste le sénateur du Territoire de Belfort, « on a des gens qui considèrent que c’est mal de financer la défense, au même titre qu’on finance le trafic de drogue ou la prostitution. C’est classé dans la même catégorie ». Le président de la commission rappelle au passage les chiffres :

 L’industrie de la défense, c’est 200.000 emplois directs en France, et peut-être autant indirects. C’est à peu près autant, bientôt, que l’industrie automobile, et c’est 8 milliards d’euros dans la balance commerciale. 

Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

« On aurait pu souhaiter que cet argent soit fléché vers d’autres sujets, comme la transition écologique, où on manque déjà cruellement d’argent » pointe le communiste Ian Brossat

Lors des débats de la LPM au Sénat, une partie de la gauche s’était opposée à la création du nouveau livret. Le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, avait regretté qu’il n’y ait « aucune étude d’impact » et un risque « d’effet d’éviction », au détriment du livret A. Le nouveau dispositif est différent.

« Le premier problème que la mesure pourrait poser, c’est que le fléchage se fasse au détriment du logement social », relève aujourd’hui le sénateur PCF Ian Brossat, ancien adjoint au logement de la mairie de Paris. « Mais ce n’est pas ce qui est prévu, car ce ne sont pas les sommes gérées par la Caisse des dépôts et consignation qui seront orientées vers l’industrie de la défense, mais l’autre partie, gérée par les banques privées, et qui n’est pas affectée au logement HLM. Ça ne sera pas au détriment du financement du logement, d’après les éléments qu’on a. Et c’est tant mieux, vu le contexte où le logement social est en panne », ajoute le sénateur PCF de Paris. Selon Les Echos, les ressources gérées par les banques représentent 40 % du total.

« Deuxième chose, et c’est une question plus fondamentale, c’est savoir si notre épargne a vocation à financer des guerres », continue celui qui est aussi porte-parole du Parti communiste. « On aurait pu souhaiter que cet argent soit fléché vers d’autres sujets, comme la transition écologique, où on manque déjà cruellement d’argent pour financer la transition, et tout ce qui aurait pu permettre d’amplifier l’effort aurait été bon à prendre ». Ian Brossat ajoute :

 Il faut savoir si on a vocation à augmenter infiniment nos dépenses en matière militaire ou si nous n’aurions pas d’avantage vocation à concentrer nos efforts pour bâtir la paix. Et l’envol des dépenses militaires peut en soi poser question. 

Ian Brossat, sénateur PCF de Paris.

« Gagner la guerre avant la guerre, c’est aussi être capable de financer sa défense »

Une lecture que ne partage pas, au contraire, le président de la commission des affaires étrangères et de la défense. « C’est aussi un signal très fort que la défense, ce n’est pas quelque chose de sale, comme certains voudraient essayer de le faire croire. Dans un pays, assurer sa défense, c’est assurer la paix. Gagner la guerre avant la guerre, c’est aussi être capable de financer sa défense. C’est pourquoi c’est une excellente décision », insiste Cédric Perrin.

« On ne met en péril, ni le logement social, ni la transition écologique », assure son collègue Pascal Allizard. Et avec la situation internationale, entre Ukraine et Proche Orient, le sénateur LR attend « un réveil de la population sur ces besoins. On va même pouvoir drainer de l’épargne supplémentaire, j’en suis convaincu, n’en déplaise aux angélistes de tous genres », lance le sénateur, selon qui « il faut flécher quelques milliards » pour aider les PME du secteur de la défense. L’arrivée du budget au Sénat sera certainement l’occasion de prolonger le débat.

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