On se demandait la semaine dernière si Alexandre Benalla viendrait ou pas à son audition devant la commission d’enquête du Sénat. Finalement, il sera là – il n’a pas le choix – mais ce sont certains sénateurs de La République en marche (LREM) qui ne seront pas présents lors de l’événement, prévu mercredi matin, à 8h30. Leur patron, François Patriat, a annoncé dimanche le boycott de l’audition de l’ex-chargé de mission par les « sénateurs de La République en marche ». Alain Richard, l’un des trois sénateurs LREM membre de la commission, avait déjà annoncé sa décision personnelle vendredi.
Patriat : « La commission d’enquête cherche à faire le buzz »
« C’est le refus de participer à ce qui s’apparente plus à une opération de communication qu’une recherche effective de la vérité » justifie auprès de publicsenat.fr François Patriat. Il n’est pas membre de la commission d’enquête, mais les auditions sont ouvertes aux autres sénateurs. « Je considère qu’on en fait trop sur l’affaire Benalla. Dans l’opinion publique, les gens se demandent si le Sénat n’a que ça à faire ? » ajoute le sénateur de Côte-d’Or. « La question n’est pas la défense d’Alexandre Benalla ou de qui que ce soit. C’est de voir si cette commission, qui a sa mission et sa noblesse, s’érige en juge ou procureur, alors que tout a été dit. On voit bien que la commission d’enquête cherche à faire le buzz pour masquer la vacuité de l’opposition » insiste François Patriat, qui répète que la commission a des visées politiques et « cherche à atteindre le gouvernement ».
Autre raison : « Alexandre Benalla est sous le coup d’une procédure et les questions de la commission vont empiéter fortement sur celle-ci ». Un argument mis en avant à nouveau par la ministre de la Justice dans une tribune parue dans Le Monde, où Nicole Belloubet met en garde contre le risque d'un « empiétement sur le domaine judiciaire ». La semaine dernière, l’audition du commissaire de police, Maxence Creusat, mis en examen pour violation du secret professionnel, n’a pourtant pas entraîné un boycott des sénateurs LREM…
Thani Mohamed Soilihi, sénateur LREM : « La question du boycott ne se pose pas »
Reste que le mot d’ordre ne fait pas l’unanimité chez les sénateurs LREM. Thani Mohamed Soilihi, l’un des trois sénateurs LREM de la commission d’enquête, n’est pas favorable sur le principe. « Pour moi, il n’y a pas de boycott. Ce sont des décisions individuelles qui ont été prises par mes collègues. La question du boycott ne se pose pas » affirme à publicsenat.fr le vice-président du Sénat. Il ne sera pas présent demain à l’audition. Mais s’il avait pu, Thani Mohamed Soilihi aurait écouté l’ancien chargé de mission :
« Même si je partage les éléments de fond d’Alain Richard qui consiste à dire qu’on risque d’empiéter sur le judiciaire, pour autant, ça ne m’aurait pas empêché d’assister à l’audition d’Alexandre Benalla, si je n’avais pas d’autres engagements ».
Si une décision collective avait été prise, « cela aurait été délibéré en réunion de groupe. Il y aurait eu un communiqué officiel » souligne encore le sénateur de Mayotte. Qui ajoute : « Je n’ai jamais pratiqué la politique de la chaise vide ».
La décision du boycott a été en réalité prise par François Patriat et Alain Richard. Le président du groupe LREM du Sénat assure qu’il n’a reçu « aucune consigne » venant d’en haut. « Je n’en ai jamais parlé avec l’Elysée, Matignon, ni même Christophe Castaner. C’est une décision prise entre nous, avec Alain Richard, à Tours, lors du séminaire des parlementaires LREM. On s’était dit que si Alexandre Benalla venait, on n’irait pas » explique le sénateur de Côte-d’Or.
Michel Amiel, sénateur LREM qui n’est pas membre de la commission d’enquête, nous affirme pour sa part que le boycott « est peut-être exagéré, mais pas plus qu’avoir une commission d’enquête sur un bonhomme qui s’est pris pour un cow-boy » lâche le sénateur des Bouches-du-Rhône. Il regrette surtout « que la majorité de droite du Sénat veuille en faire son miel. Ce n’est pas terrible ».
« L’épisode 2 de la saison 2 va clore pratiquement l’ensemble de la série »
Ce nouvel événement arrive après les attaques de Christophe Castaner contre les sénateurs, vendredi. Interrogé lors d’une conférence de presse par publicsenat.fr (voir la vidéo), le délégué général de LREM et secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement avait affirmé que « si certains pensent qu’ils peuvent s’arroger un pouvoir de destitution du président de la République, ils sont eux-mêmes des menaces pour la République ».
Des propos largement critiqués par l’opposition. « Qui va un peu loin dans cette affaire ? Je ne pense pas que ce soit Christophe Castaner » estime François Patriat, qui pense que l’affaire va se dégonfler après l’audition d’Alexandre Benalla : « L’épisode 2 de la saison 2 va clore pratiquement l’ensemble de la série ».
« Comme ils n’étaient pas présents, ça ne change pas grand-chose »
Pour les autres membres de la commission d’enquête, cette annonce de boycott se situe quelque part entre le non-événement ou le « non-sens ». « Ils sont trois et à la commission, il y a 49 membres. Un seul venait. En réalité, il n’y avait qu’Alain Richard qui était présent à un certain nombre d’auditions et qui parfois intervenait. Le président du groupe, parfois, était présent mais je n’ai pas le souvenir qu’il soit intervenu. (…) Comme ils n’étaient pas présents, ça ne change pas grand chose » balaie la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie (voir la vidéo, interview de Quentin Calmet).
Boycott des sénateurs LREM de l'audition Benalla : « Comme ils n’étaient pas présents, ça ne change pas grand-chose » selon Marie Pierre de la Gontrie (PS)
« Dans les faits, ça ne changera pas grand chose car ils ne disaient rien et ne posaient pas de question » confirme François Grosdidier, sénateur LR. « Sur le fond, c’est absurde que la macronie s’enfonce dans une forme de paranoïa. La déclaration de Christophe Castaner, c’était à la fois mytho et parano grave » lance le sénateur de Moselle, qui rhabille tout le gouvernement : « Madame Belloubet aurait mieux fait de se taire, plutôt que de se présenter en avocate d’Alexandre Benalla ou de Monsieur Macron s’il est embêté ». François Grosdidier s’étonne d’autant plus du choix des membres de la majorité présidentielle, qu’« au début, ils étaient d’accord pour la commission. Puis ils ont saboté celle de l’Assemblée, maintenant ils boycottent la nôtre. Ça n’a aucun sens ».
« Un emballement médiatique certain auquel l’Elysée contribue particulièrement »
Un autre membre de la commission s’étonne de cette gesticulation. « Il y a un emballement médiatique certain auquel l’Elysée contribue particulièrement ces derniers temps. Ils donnent le bâton pour se faire battre ». Si ce sénateur reconnaît que les travaux ont « un retentissement important », il assure que « ce n’était pas le but premier », en réponse aux acquisitions de visées politiques de la commission d’enquête, dont le but serait d’affaiblir Emmanuel Macron.
En réalité, l’audition d’Alexandre Benalla pourrait bien laisser bien du monde sur sa faim. C’est le comble de l’affaire. On sait déjà que l’ancien chargé de mission s’abritera derrière la procédure en cours, le secret-défense et le secret professionnel pour esquiver les réponses. Les sénateurs tâcheront eux justement d’éviter scrupuleusement les questions afférant à la procédure judiciaire, se concentrant sur les dysfonctionnements, notamment dans l’organisation de la sécurité du Président. « Et s’il ne souhaite pas répondre, on ne le soumettra pas à la torture. Et à titre personnel, j’y suis assez réfractaire » blague un sénateur de la commission d’enquête… Pas sûr qu’Alexandre Benalla ait envie de rire mercredi matin.
[article mis à jour le 18 septembre à 12 heures avec les propos de Thani Mohamed Soilihi à publicsenat.fr]