Concentration des médias : Bernard Arnault assure « œuvrer, dans l’intérêt général, à la pérennité de titres irremplaçables »

Concentration des médias : Bernard Arnault assure « œuvrer, dans l’intérêt général, à la pérennité de titres irremplaçables »

Devant la commission d’enquête sur la concentration des médias, Bernard Arnault a développé sa vision du rôle de son groupe au sein du paysage médiatique français. Le propriétaire des Echos et du Parisien, notamment, a assumé défendre une certaine « ligne » dans ses journaux, mais a rejeté toute intervention dans les contenus journalistiques.
Louis Mollier-Sabet

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L’audition de Bernard Arnault par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias a commencé comme celle de Vincent Bolloré hier, par un grand patron minimisant la place qu’occupent les activités médiatiques au sein de son groupe industriel. Et force est de constater qu’au sein de LVMH, premier groupe du luxe mondial qui emploie 175 000 personnes dans le monde et 40 000 en France, les 1600 salariés du groupe qui travaillent dans les quelques titres possédés par Bernard Arnault – notamment Les Echos et Le Parisien – pèsent relativement peu lourd. Mais « la question n’est pas l’ampleur de ses possessions » pour le rapporteur socialiste de la commission d’enquête, David Assouline. Le sénateur de Paris rappelle à Bernard Arnault que le travail de la commission d’enquête a pour but de comprendre comment un pouvoir économique, y compris dans d’autres activités, peut avoir des influences dans les médias, et donc les débats au sein de notre démocratie. Pierre Laurent, sénateur communiste et journaliste de profession rappelle ainsi : « Vous êtes ‘tous tout petits’ [selon l’expression employée hier par Vincent Bolloré], mais au total vous êtes 4 ou 5 à tout posséder. Nous voyons le paysage démocratique se rétrécir. »

>> Lire aussi : Concentration des médias : « Je n’ai pas le pouvoir de nommer qui que ce soit à l’intérieur des chaînes », assure Vincent Bolloré

« Ce qui attire les investisseurs dans les médias, c’est souvent des propositions qui leur arrivent »

La première question abordée est donc celle des motivations pour un capitaine d’industrie français d’investir dans des médias qui – de l’aveu même de Bernard Arnault – ne constituent pas son cœur de métier, et qui sont plus souvent source de pertes financières que de bénéfices. Le PDG de LVMH a assuré avoir investi pour « œuvrer à la pérennité de titres irremplaçables » comme Les Echos, Le Parisien ou des radios de musique classique dans un but « d’intérêt général » pour défendre des « fleurons français. » Le Figaro figurerait-il au rang des « titres irremplaçables » comme le prétend Le Monde ? « C'est faux, je le confirme sous serment : nous n'avons jamais fait d'offres pour le Figaro »

La comparaison des motivations de l'industriel avec celles de Vincent Bolloré, auditionné hier, est intéressante. Celui-ci assurait que les médias étaient « le deuxième secteur le plus rentable du monde après le luxe », sous-entendant ainsi qu’il était tout à fait normal d’investir dans les médias en tant qu’industriel puisque c’était un secteur ultra-rentable.

Interrogé sur ces déclarations par Laurent Lafon, président de la commission d’enquête, Bernard Arnault n’ose contredire directement son compère dans le classement des plus grandes fortunes françaises, mais met tout de même un bémol sur l’argument employé par Vincent Bolloré : « Sur la rentabilité, Vincent Bolloré a raison, mais il fait référence à ces grandes sociétés mondiales Facebook ou Microsoft, qui sont exceptionnellement rentables. » Dans le cas de Bernard Arnault, ses acquisitions dans la presse sont venues d’après lui assez naturellement de la demande même des médias repris par le groupe, qui étaient en grande difficultés financière : « Ce qui attire les investisseurs dans les médias, souvent c’est des propositions qui leur arrivent. On les sollicite. » Un récit un peu divergent de celui de l’ancien patron du groupe Vivendi / Canal, donc.

« S’il y a une indépendance absolue, on ne sait jamais »

De même, Bernard Arnault assume un certain degré d’intervention dans le secteur médiatique. Interrogé par David Assouline sur la perte de 150 000 euros de recettes publicitaires liées au groupe LVMH par Libération après la Une du 10 septembre 2012 « Casse-toi, riche con ! », accusant Bernard Arnault de vouloir devenir résident fiscal belge, Bernard Arnault assume : « Vous avez vu la Une ? Ça vous avait paru tout à fait normal d’avoir un titre aussi agressif contre la première entreprise français, pour une motivation fausse ? Je n’ai jamais eu intention devenir résident fiscal belge. C’était un fantasme encore une fois. » Le PDG de LVMH minimise l’impact économique pour Libération mais assume sur le fond.

>> Lire aussi : Arrêts de publicités, espionnage de François Ruffin : échange tendu entre Bernard Arnault et David Assouline

Un peu plus tard dans l’audition, Bernard Arnault – à nouveau interrogé sur les garde-fous à mettre en place pour garantir l’indépendance des médias finit même par lâcher : « Chaque journal a quand même une ligne. Les Echos est un journal défenseur de l’économie de marché. En tant qu’actionnaire c’est une ligne à laquelle on a adhéré, puis ce sont les rédactions qui la mettent en œuvre. […] Si demain on se trouvait avec un Parisien qui devient un journal sur un extrême ou sur un autre, ou que les Echos en viennent à défendre l’économie marxiste, je serais extrêmement gêné. Il faut que l’actionnaire puisse réagir. Je ne veux pas financer un journal qui devienne le support de l’extrême-droite ou de l’extrême-gauche. S’il y a une indépendance absolue on ne sait jamais. »

Il est vrai qu’imaginer Les Echos avec la ligne éditoriale de l’Humanité peut faire sourire (l’inverse aussi du reste), mais l’explication du milliardaire illustre alors bien le problème de la concentration. Que M. Arnault décide d’investir dans les journaux dont il approuve la ligne éditoriale semble plutôt normal, mais « le problème c’est que vous n’êtes pas le seul à être propriétaire de grands journaux » rappelle le sénateur communiste Pierre Laurent. La question n’est donc pas seulement la « ligne » des journaux possédés par Bernard Arnault, mais aussi celles des médias de Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Patrick Drahi, Martin Bouygues ou Xavier Niel. C’est précisément le problème qu’essaient d’aborder les sénateurs dans cette commission d’enquête, en tant que régulateurs notamment.

Quelle régulation du secteur médiatique ?

Enfin, l’objectif commun de la commission d’enquête n’empêche pas les approches plus politiques, puisqu’à droite on insiste pour saluer la « vision » et la « détermination » de « l’entrepreneur » Arnault. Jean-Raymond Hugonet, sénateur LR, demande ainsi à Bernard Arnault de partager « sa vision d’entrepreneur, dont cette commission d’enquête aurait bien besoin », à propos des éventuelles réglementations à mettre en place pour réguler la propriété de médias. Le PDG de LVMH admet que « les médias ne sont pas [sa] spécialité » mais tient tout de même à alerter : « Les réglementations vont freiner les initiatives, il faut se mettre en situation de favoriser la création de nouveaux médias en France ou en Europe. Pourquoi Facebook est-il né aux Etats-Unis et pas en France ? C’est ça la question qu’il faut se poser. »

Les réglementations vont freiner les initiatives

De même Bernard Arnault ne voit pas de raison de réformer le fonctionnement des aides à la presse, dont le groupe LVMH est de très loin le premier bénéficiaire en France : « Le principe qui serait de faire de la discrimination entre tel ou tel titre parce que son actionnaire est plus ou moins solide, je ne vois pas comment ça peut se justifier. Ou on fait des aides à la presse ou on n’en fait pas du tout. » Réponse de Pierre Laurent, sénateur communiste et ancien directeur de la rédaction de l’Humanité : « Le fonctionnement actuel des aides est profondément inégalitaire, on pourrait imaginer de donner plus à ceux qui ont moins et moins à ceux qui ont plus. » Au contraire pour Bernard Arnault, au-delà des « réglementations », c’est aussi « l’environnement » français qui peut freiner l’investissement dans l’industrie, les médias ou la politique : « La réussite d’un groupe économique en France n’est pas forcément quelque chose qui est bien vu, je le regrette c’est dommage. Cela explique pourquoi les grands entrepreneurs potentiels, devant cet environnement, ont du mal à aboutir en France. Dans l’environnement politique, c’est pareil, ça décourage un peu. » Une « vision d’entrepreneur » qui plaira à certains sénateurs présents et probablement moins à d’autres.

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