Constitution : la stratégie des sénateurs pour faire plier Macron

Constitution : la stratégie des sénateurs pour faire plier Macron

Alors que les députés commencent l’examen en commission de la révision de la Constitution, les sénateurs rappellent leurs lignes rouges. « Le Président et l’Assemblée doivent en tenir compte, sinon il n’y aura pas d’accord » prévient Bruno Retailleau, président du groupe LR. Mais chacun pourrait avoir intérêt à une issue positive.
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On en parle depuis des mois. Ce n’est pourtant que le début. De la procédure législative, du moins. L’Assemblée nationale a commencé ce mardi l’examen en commission des lois du projet de loi de révision constitutionnelle. C’est un véritable marathon législatif qui s’engage et qui ne devrait être conclu qu’en 2019. Le premier étage d’une fusée, qui sera suivi à la rentrée des projets de loi organique et ordinaire, qui comporte les sujets plus sensibles de la baisse du nombre de parlementaires, de la proportionnelle et du non-cumul des mandats dans le temps.

« Les députés se font plaisir »

Pas moins de 1400 amendements ont été déposés en commission… « La révision, ce n’est pas une profession de foi pour le Congrès d’En Marche. Les députés se font plaisir » raille un sénateur LR, qui suit de près la question.

Les députés vont plancher sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République ou la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ces points ne font pas débat, à l’exception du CESE, où des ajustements sont attendus.

La question de la procédure parlementaire sera beaucoup plus polémique. Le texte encadre davantage le droit d’amendement, en empêchant ceux qui n’ont pas de lien direct avec le projet de loi (notamment ce qu’on appelle en jargon législatif les cavaliers législatifs), il donne plus la main au gouvernement sur l’ordre du jour et il révise la navette parlementaire après la Commission mixte paritaire, au détriment du Sénat.

Yaël Braun-Pivet : « Sur le projet de loi constitutionnel, on a de vraies chances de succès »

Autant de sujets qui passent mal chez les députés, et bien sûr chez les sénateurs. Mais le président LREM de l’Assemblée nationale, François de Rugy, reste confiant. « Gérard Larcher n'est pas pour le blocage de la réforme institutionnelle et nous avons travaillé longuement ensemble. Nous avons créé les conditions d'un accord avec la majorité sénatoriale, même si cela n'est pas encore fait » affirme ce mardi le député aux Echos.

Même optimisme chez Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la commission des lois de l’Assemblée et rapporteure de la partie justice du texte. « Je n’ai pas de doute que ce soit consensuel entre l’Assemblée et le Sénat au final. Sur le projet de loi constitutionnel, on a de vraies chances de succès, de vraies possibilités d’accord. On peut faire plein d’ajustements » assure la députée. D’autant que les échanges sont bons avec son homologue du Sénat. « On s’entend très bien avec Philippe (Bas). Dès le début nous avons eu de bonnes relations de travail ».

« Good cop » et « bad cop »

Les jeux semblent pourtant loin d’être faits. Depuis le début, chaque camp alterne entre le chaud et le froid. Certains jouent par moments le « good cop », quand d’autres endossent les habits du « bad cop ». Classique, dans un rapport de force et une partie de poker menteur, qui évolue. Les sénateurs ne font plus du non-cumul un point de blocage.

Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, fixe ainsi aujourd’hui ses lignes rouges. « J’ai affiché avec le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille (dans une tribune, ndlr), des objectifs clairs : pas question qu’une révision constitutionnelle se traduise par une révision antidémocratique. Pas question d’affaiblir le Parlement » met déjà en garde le sénateur de Vendée, interrogé ce mardi par Public Sénat (voir la vidéo, images d'Aurélien Romano). Au chapitre des griefs, il cite le droit d’amendement, le gouvernement qui « remet la main sur le contrôle de l’ordre du jour » et « une atteinte au bicamérisme pour la procédure en matière de commission mixte paritaire ». Il prévient : « On a des sujets. Franchement, une révision constitutionnelle ne peut pas aboutir à concentrer toujours plus de pouvoirs entre les mains d’un seul homme, Emmanuel Macron. Il faut que cette révision soit utile pour tous les Français, ou alors elle ne se fera pas »… Petit rappel utile : en matière de Constitution, députés et sénateurs doivent se mettre d’accord. L’Assemblée n’a pas le dernier mot.

Retailleau : « Pas question d’accepter une opération de tripatouillage politicien avec la dissolution du Sénat »

Constitution : « Le Président et l’Assemblée doivent en tenir compte, sinon il n’y aura pas d’accord » prévient Bruno Retailleau
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Bruno Retailleau ajoute la question de « la représentation juste des territoires. Pas question de multiplier le nombre de départements qui n’auraient qu’un sénateur ». Dernière ligne rouge : « Pas question d’accepter une opération de tripatouillage politicien avec la dissolution du Sénat, juste un an après les municipales, en 2021 », comme le prévoit le projet de loi organique, qui ne sera pas examiné par les députés avant la rentrée. Mais pour le président de groupe, la « réforme est un tout », « les trois textes, c’est un bloc ».

Pour compliquer le tout, Hervé Marseille demande le maximum de proportionnelle, quand les LR en veulent le moins possible. « Certains LR disent que 15% suffit (comme le prévoit le texte). Nous pensons que c’est mieux autour de 20% » fixe le président du groupe UC, fort de 50 sénateurs et donc 50 voix au Congrès, qui doit valider la réforme in fine.

Pour les sénateurs, « les lignes sont posées, elles sont claires. Désormais, on rentre dans le temps du débat parlementaire. (…) Le Président et l’Assemblée nationale doivent en tenir compte, sinon il ne pourra pas y avoir d’accord » insiste Bruno Retailleau. Qui ajoute au passage un nouveau sujet de discussion : « Sur la baisse du nombre de parlementaires, on n’est pas contre. Simplement, on considère que 30% (comme le prévoit le projet de loi ordinaire, ndlr), ce n’est pas possible. 25%, ça nous permettrait de représenter justement des territoires, y compris les plus faibles en démographie ». Mais l’exécutif ne sera peut-être pas opposé à une évolution à la marge.

« Nous pouvons provoquer un échec. Ce sera un échec du Président. Pas un échec du Sénat »

Les sénateurs savent bien qu’Emmanuel Macron n’est pas tout-puissant en matière de révision de la Constitution. « Jupiter » a le Palais de Marie de Médicis sur son chemin. Ses pourquoi ses élus pensent pouvoir aboutir à une solution gagnant-gagnant. « Dans la négociation, on recherche de part et d’autre de la sécurité » confie le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, qui ne cache le pouvoir de blocage du Sénat. Les sénateurs pensent que le Président a plus à perdre que la Haute assemblée dans l’affaire.

« Nous pouvons provoquer un échec. Ce sera un échec du Président. Pas un échec du Sénat, même si on essaie de nous le mettre sur le dos » explique avec franchise le président de la commission de lois. D’autant que les sénateurs pensent que le calendrier joue pour eux. L’Elysée n’est pas seul maître des horloges.

« L’échec éventuel de la réforme de la Constitution, ce n’est pas en septembre. C’est après. Ça devient un chemin de croix pour lui. (…) Il n’est jamais bon, pour un Président, de révéler son impuissance ».

Et si le chef de l’État sort la menace d’un référendum sur les projets de loi organique et ordinaire, il ne serait pas organisé avant 2019. « Un référendum avant les élections européennes, en avril, ça donne quoi ? » demande, faussement naïf, Philippe Bas, qui pense « qu’il serait étonnant qu’Emmanuel Macron échappe à l’usure du pouvoir… » Sous entendu, le référendum pourrait être perdu. Prévoyants, les sénateurs n’excluent cependant pas non plus de le perdre. Le Sénat, comme Emmanuel Macron, préfère ainsi « acheter de la sécurité. Tout cela pousse à l’entente ».

Philippe Bas : « J’ai vu des guerres se déclencher alors que la diplomatie avait poussé à un accord »

Aux yeux de Philippe Bas, les trois exigences des sénateurs sont réalistes. « Ce n’est pas la mer à boire ! » lâche le sénateur de la Manche, d’autant que « ces concessions ne seront pas visibles dans l’opinion ». Mais beaucoup reste à faire et les regards se tournent vers le Palais bourbon. « Si on veut ouvrir la voie à un accord, les débats à l’Assemblée ne devront pas charger la barque, mais la faire avancer », prévient Philippe Bas. Il ajoute :

« Nous attendons de l’Assemblée nationale qu’elle nous donne des preuves d’amour… Et on pourra en donner aussi ».

Les sénateurs souhaitent par exemple pouvoir maintenir les amendements qui ont un lien indirect avec les textes. « Ça fait partie des signaux qu’on attend » illustre Philippe Bas. Ça tombe bien, un amendement LREM et Modem a été déposé en ce sens à l’Assemblée, comme le relève Le Monde

Mais il est bien trop tôt pour croire à une issue positive. « J’ai vu des guerres se déclencher alors que la diplomatie avait poussé à un accord » glisse Philippe Bas. Le sénateur reformule, de manière moins imagée : « Je ne comprendrais pas qu’on n’arrive pas à s’entendre. Mais je n’exclus pas l’échec. La balle est dans le camp de l’Assemblée ». Et d’Emmanuel Macron et de Gérard Larcher.

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