Dette sociale et perte d’autonomie : Olivier Véran répond aux critiques des sénateurs

Dette sociale et perte d’autonomie : Olivier Véran répond aux critiques des sénateurs

Auditionné ce 23 juin, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a dû répondre aux interrogations et aux réserves des sénateurs de la commission des Affaires sociales sur deux projets de loi relatifs au transfert de la dette sociale et à la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour la perte d’autonomie.
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Depuis l’éclatement de la crise du Covid-19 en France, le Parlement avait débattu jusqu’ici de projets de loi comportant des mesures d’urgence, dans l’essentiel. Le temps long est à présent abordé avec deux projets de loi (l’un organique, l’autre ordinaire) relatifs à la dette sociale et l’autonomie. Cette réforme, adoptée le 15 juin par les députés, tire les conséquences de l’effondrement des recettes de la Sécurité sociale, en transférant 136 milliards d’euros de dette sociale de l'Acoss (qui gère les comptes de la Sécurité sociale) à la CADES. Dont 92 milliards à titre prévisionnel pour les années 2020 à 2023.

Créée en 1996, cette Caisse d'amortissement de la dette sociale devait s’éteindre en 2024, elle devra épurer un nouveau stock de dettes jusqu’en 2033. La CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) de 0,5% prélevée sur n’importe quel revenu, est prolongée d’autant. À l’initiative des députés, la réforme pose également la « première pierre » d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, pour financer la perte d’autonomie des personnes âgées et handicapées, en imposant la remise d’un rapport au gouvernement à la rentrée.

Interrogations sur la prise en charge de la dette hospitalière

Les projets de loi seront débattus au Sénat ce 24 juin en commission des Affaires sociales, puis le 1er juillet en séance publique. Le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran s’est prêté au jeu des questions-réponses, au cours d’une audition ce mardi 23 juin, en début de soirée. Deux mesures saillantes du projet de loi ont notamment marqué les échanges.

La prise en charge par la CADES d’un tiers de la dette des hôpitaux (pour un montant de 13 milliards d’euros) a notamment fait sourciller le rapporteur du texte, le sénateur MoDem Jean-Marie Vanlerenberghe (Union centriste), qui redoute un « dangereux précédent » avec cette opération dérogatoire, selon lui, aux missions de la CADES. « C’est une dette principalement immobilière, hors du champ de la Sécurité sociale », a-t-il fait remarquer. Le sénateur LR Jean-Noël Cardoux s’est montré plus ironique. « Une façon habile de mettre un peu de poussière sous le tapis pour vous permettre d’aborder le Ségur de la Santé dans de meilleures conditions ? », s’est-il demandé. « Elle ne me pose pas la moindre difficulté, je la trouve plutôt cohérente », lui a répondu le ministre, constatant que cette dette était « le reflet » de dépenses de santé très contraintes durant des années. D’autant que l’Assurance maladie est le principal financeur des hôpitaux. « On est dans une logique », s’est-il défendu.

Cinquième branche de la Sécu : les sénateurs poussent le ministre à donner des détails

C’est surtout la présence d’un volet dans la réforme ouvrant la voie à une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à la prise en charge du handicap et du grand âge qui a été accueillie avec davantage de scepticisme. « Le symbole est fort, mais le contenu est d’autant plus décevant », a exprimé le président de la commission des Affaires sociales, Alain Milon (LR), déçu de ne voir aucun détail sur le financement, la gouvernance, les prestations attendues, ou encore les seuils de bénéficiaires. Ce « texte budgétaire » est « transformé en texte sociétal », a déploré le sénateur LR René-Paul Savary. « On met la charrue avant les bœufs », s’est étonnée la socialiste Monique Lubin. « On ne voit pas les contours », a ajouté le sénateur LR Philippe Mouiller, spécialiste du handicap au sein de la commission.

« Autre sujet d’étonnement » pour le sénateur Alain Milon : l’affectation, à partir de 2024, d’une fraction de la CSG qui revenait à la CADES, pour financer les dépenses relatives à la dépendance. « Elle reçoit un montant sans précédent de dette, mais moins de recettes pour les amortir », s’est-il étonné.

La cinquième branche dans la Sécurité sociale était devenue un serpent de mer dans le débat public. La réforme est « très attendue », selon Olivier Véran. « On a sauté sur l’occasion pour pouvoir réaliser une promesse faite depuis plus de dix ans et jamais réalisée », s’est-il enthousiasmé, fier d’avoir rendu ce débat « nécessaire et non-différable ». De ce point de vue, le président de la commission Alain Milon a considéré que les parlementaires n’auraient pas d’autre choix que de l’acter, « piégés par la médiatisation qui en a été faite » : « On ne peut pas faire marche arrière. »

Grand âge et handicap : les dépenses seront « vertigineuses », anticipe Olivier Véran

Une fois ce grand principe édicté, beaucoup reste à écrire. Mais cette fameuse « première pierre » a l’avantage, d’après le ministre, de permettre au Parlement de prendre des décisions dès le prochain projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PFLSS), débattu chaque année à l’automne. Constructions et rénovations d’Ehpad, maintien à domicile et revalorisation des salaires des métiers du secteur : les dépenses attendues sont connues, et elles sont « vertigineuses », a souligné Olivier Véran, citant un besoin de 7 ou 8 milliards d’euros par an, d’ici 2030, évoqué dans le rapport Libault.

Le fléchage d’une fraction de CSG qui incombait à la CADES au profit désormais de la cinquième branche, financera la perte d'autonomie à hauteur de 2,3 milliards d’euros par an, mais n’interviendra pas avant 2024. D’ici là, le ministre a confirmé l’engagement de mobiliser un milliard d’euros supplémentaires dès le prochain PLFSS, pour les besoins de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Mais « il faudra trouver des pistes supplémentaires », a-t-il prévenu. Une conférence sur le financement et la gouvernance doit s’y atteler (à laquelle seront conviés les parlementaires), tout comme une mission pour préparer la cinquième branche de la Sécu, qui remettra ses conclusions en septembre. Olivier Véran a annoncé aux sénateurs que celle-ci devrait être conduite par un inspecteur général des Finances : Laurent Vachey.

Sollicité par les sénateurs sur les questions de financement, Olivier Véran a assuré que ce n’était « pas un problème mais un enjeu ». « Je suis attaché à ce que l’État paye ses dettes, très attaché à ce qu’on n’engage pas de dépenses aujourd’hui que nous ne soyons pas en mesure de rembourser. »

Les responsables de la CADES et de l’Agence France Trésor très confiants sur le niveau de confiance des créanciers et sur les conditions d’emprunt

À court terme, la reprise d’un stock inédit de dette (la première depuis 2011) par la CADES n’effraie pas les principaux acteurs concernés. « Il n'y a pas trop d’inquiétudes quant à la capacité des marchés à pouvoir accompagner un mouvement de refinancement », selon le directeur général de l'Agence France-Trésor (AFT), Anthony Requin, entendu auparavant par les sénateurs. L’AFT continue de lever de la dette, pour le compte de l’État, dans de bonnes conditions, à des taux proches de 0 %. « On a des taux faibles qui sont là pour durer quelques années encore. C’est aujourd’hui qu’il faut profiter des conditions de financement très attractives », a-t-il conseillé.

Auditionné avant le ministre, Jean-Louis Rey, président du conseil d'administration de la CADES, a expliqué que l’image de celle-ci était toujours aussi attractive sur les marchés financiers. Un signe de confiance bienvenue alors que la Caisse envisage d’emprunter près de 20 milliards d’euros sur les marchés d’ici la fin de l’année. Une bonne nouvelle tout de même pour les cotisations finançant les remboursements de la CADES : « le mois de mai a été bien meilleur que ce qu’on attendait », a-t-il précisé.

Jean-Louis Rey a toutefois affiché sa déception sur le calendrier parlementaire de la session extraordinaire, fixé par le gouvernement. La loi ne sera pas promulguée avant la fin juillet, députés et sénateurs ne se réuniront en commission mixte paritaire que le 22 juillet seulement. « On pensait que ça se ferait plus tôt », a-t-il fait remarquer. Or, la CADES compte effectuer une première opération dès la fin du mois de juillet, avant que les marchés n’entrent en sommeil estival.

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