Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?
Selon plusieurs membres de l’opposition, Emmanuel Macron occuperait la thématique de l’immigration pour s’assurer un duel face à Marine Le Pen en 2022, et s’assurer ainsi sa réélection. Mais en jouant à l’« apprenti sorcier » ou au pompier pyromane, certains craignent que ce « calcul » fasse avant tout le jeu du RN.

Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ?

Selon plusieurs membres de l’opposition, Emmanuel Macron occuperait la thématique de l’immigration pour s’assurer un duel face à Marine Le Pen en 2022, et s’assurer ainsi sa réélection. Mais en jouant à l’« apprenti sorcier » ou au pompier pyromane, certains craignent que ce « calcul » fasse avant tout le jeu du RN.
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Depuis la rentrée de septembre, Emmanuel Macron a décidé de mettre à l’agenda médiatique la question de l’immigration. Une volonté d’exprimer sa fermeté complètement assumée. Son ministre de l’Education nationale a ensuite remis une pièce sur la question du voile. Dernier épisode de cette séquence : le chef de l’Etat a choisi de s’exprimer sur le sujet dans Valeurs actuelles, l’hebdomadaire très droitier, qui parle autant aux électeurs de LR que du RN.

Et l’exécutif ne compte pas s’arrêter là. Lundi soir, une réunion sur le sujet de l’immigration est prévue à Matignon, à 19 heures, avec des parlementaires de la majorité, a appris publicsenat.fr. Des mesures sont à venir dans le cadre du budget.

« Plus le FN est haut, plus Macron peut dire "je suis le rempart" »

Dans l’opposition, certains voient dans ce positionnement un jeu dangereux qui favoriserait le Rassemblement national. Pire, selon certains, le but – inavoué – serait de faire monter sciemment l’extrême droite. Le calcul est simple. Le raisonnement implacable. Emmanuel Macron a tout intérêt à se retrouver à nouveau face à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle pour être réélu. C’est ce qu’affirme un sénateur centriste : « Emmanuel Macron a intérêt à faire monter le Front national. Plus le FN est haut, plus Macron peut dire "je suis le rempart" ». Lors des dernières européennes, La République en Marche avait clairement joué sur ce mano a mano entre les « populistes » et les « progressistes ». Ce parlementaire centriste y voit « une démarche très Mitterrandienne ». François Mitterrand avait été accusé de favoriser la montée du FN, dans les années 80, pour mieux affaiblir la droite.

Du côté de la majorité présidentielle, on ne partage évidemment pas cette analyse du pompier pyromane. Reste que certains croient déjà en la victoire lors de la prochaine élection présidentielle, grâce à un second tour face à Marine Le Pen. « Emmanuel Macron est stratège. En 2022, il est réélu » pensait il y a peu un responsable de la majorité. Le même confiait l’été dernier, non sans une forme de jubilation :

« J’adore le cynisme d’Emmanuel Macron. Il est plus cynique que François Mitterrand »

Pour certains membres de l’opposition, ça ne fait pas de doute. « Emmanuel Macron est un calculateur et un tacticien politique de talent » reconnaît le sénateur LR Roger Karoutchi, habitué des jeux politiciens. L’ancien ministre des Relations avec le Parlement souscrit à l’idée que face à des résultats économiques « en demi-teinte », Emmanuel Macron cherche à « empêcher la droite de remonter par un discours sur l’immigration, le communautarisme, qui donne le sentiment de reprendre des thématiques de droite et en même temps, il se dit "je fais monter le RN, mais en ne prenant pas les mesures nécessaires en m’opposant au texte du Sénat sur le voile dans les sorties scolaires, j’assure ainsi le deuxième tour de la présidentielle" ». Un sondage Elabe pour BFM TV est venu entretenir l’idée de ce duel cette semaine. Si ce sondage n’a aucun sens à deux ans et demi de la présidentielle, il donne Emmanuel Macron et Marine Le Pen loin devant les autres.

S’il ne veut pas parler de « calcul machiavélique », Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, affirme que « pour Emmanuel Macron l’assurance-vie, ou plutôt l’assurance d’être réélu, est d’avoir Marine Le Pen avec lui au second tour. Mais dans quelles conditions ? » Le sénateur PS du Nord « ne peu(t) que constater les faits. Marine Le Pen a fait 21,3% à la présidentielle. Aux européennes, elle fait deux points de plus. La politique d’Emmanuel Macron n’a pas fait abaisser la pression du FN ».

« Il faut traiter non pas le FN, mais les sujets qui font son terreau »

Pour François Patriat, président du groupe LREM du Sénat, le raisonnement d’un Macron Machiavel ne tient pas une seconde. « C’est le cynisme absolu. D’autres Présidents auraient pu l’être, lui pas. Emmanuel Macron n’a pas ce cynisme-là du tout » assure le sénateur de Côte-d’Or.

Mais il faut assumer d’aborder ces sujets, explique-t-il. « Compte tenu du climat aujourd’hui dans le pays, les sujets régaliens, dont la sécurité, le communautarisme, le radicalisme, sont des sujets qui entreront dans la campagne. Et il ne faut pas les éluder aujourd’hui, donc il faut traiter non pas le FN, mais traiter les sujets qui font son terreau » selon François Patriat. Il ajoute :

« Ce n’est pas Emmanuel Macron qui fait monter le FN. C’est l’absence totale d’alternative politique crédible. LR comme le PS sont inaudibles »

« On va finir par faire élire Marine Le Pen »

Mais l’opposition craint qu’en cas de second tour Macron/Le Pen, l’extrême droite soit beaucoup plus haute la prochaine fois. « En 2022, ce ne serait pas 66 % pour Macron mais beaucoup moins. On peut avoir un pays qui se retrouve proche de l’égalité. La lepénisation des esprits, pour reprendre un terme déjà utilisé, est en cours », selon Patrick Kanner, qui ajoute : « Emmanuel Macron n’est peut-être pas un pompier pyromane, mais ça peut être l’arroseur arrosé ».

Roger Karoutchi parle lui plutôt d’« apprenti sorcier. C’est "je m’assure le deuxième tour de la présidentielle et je compte sur le fait que le RN a toujours un plafond de verre donc je suis réélu". Mais ma crainte, c’est que l’exaspération monte, et qu’à force, on va finir par faire élire Marine Le Pen » met en garde Roger Karoutchi.

« Faire face à la montée du fascisme. On en est là. On est en 1936 »

Pour le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, le danger est clairement là. « Il y a une stratégie pour considérer qu’entre lui et Le Pen, il n’y a rien. Mais au second tour, il n’est pas du tout sûr que l’électeur fasse la différence ».

« J’entends de plus en plus que les électeurs de gauche, qui sont allés voter pour lui par devoir en 2017, pour faire barrage à l’extrême droite, risquent de ne plus avoir ce réflexe-là face à un Président qui s’exprime dans Valeurs actuelles. En fait, Emmanuel Macron prépare la voie de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle » pense Pierre Ouzoulias, qui va plus loin : « Le plafond de verre a volé en éclat partout en Europe. Il est grand temps qu’il y ait un front républicain humaniste face à la montée du fascisme. On en est là. On est en 1936 ». Un front républicain qui semble pourtant aujourd’hui bien lointain.

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