La succession rue de Grenelle restera comme l’une des plus grosses surprises du gouvernement d’Élisabeth Borne. Jean-Michel Blanquer, ministre à la longévité inégalée à l’Éducation nationale sous la Ve République, va céder sa place à l’universitaire Pap Ndiaye. Ce professeur des universités, spécialiste des minorités et des pratiques de discrimination raciale en France et aux États-Unis, est depuis 2021 directeur du Musée national français de l’histoire de l’immigration.
C’est sa première responsabilité politique, mais l’historien ne s’est pourtant pas privé de s’exprimer sur les débats du moment. Quelques jours avant l’élection présidentielle de 2012, il a cosigné une tribune appelant à voter François Hollande. Ces derniers mois, Pap Ndiaye a surtout pris le contre-pied des positions de son prédécesseur Jean-Michel Blanquer. En février 2021, sur France Inter, il s’étonnait de l’emploi du terme « islamo-gauchisme » : « Ce terme ne désigne aucune réalité. C’est plutôt une manière de stigmatiser des courants de recherche », s’étonnait-il. Plus récemment, en janvier 2022, dans les colonnes du Monde, il affirmait que le wokisme était « un épouvantail plus qu’une réalité sociale ou idéologique ».
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Le choix d’Emmanuel Macron pour l’Éducation étonne au Sénat. Ou détonne. « Ce virage est inquiétant, si le ministre est dans la droite ligne de ce qu’est l’universitaire », accueille le sénateur LR Max Brisson, l’un des référents de la majorité sénatoriale de droite et du centre sur les questions d’éducation. « C’est vraiment de l’en même temps XXL. Je n’ose croire qu’il s’agit d’un clin d’œil à un électorat mélenchoniste ou des centres des grandes métropoles, à quelques semaines des élections législatives. Je n’ose croire que l’on jouerait avec l’école de la République à des fins aussi politiciennes », ajoute-t-il. Si le sénateur des Pyrénées-Atlantiques demande à « juger aux actes et sur les décisions », les positions de l’historien lui inspirent surtout de l’inquiétude. « Je pense qu’il s’inscrit plus dans une logique de déconstruction des principes que les écoles portent et qui sont fondateurs de notre République ».
« Jean-Michel Blanquer, depuis Montargis, doit vivre avec une certaine surprise cette nomination »
Roger Karoutchi, vice-président LR du Sénat, perçoit également une évolution notable après l’ère Blanquer. « C’est un vrai changement de ligne. Cette nomination me laisse sceptique. » Philippe Tabarot, l’un des sénateurs LR des Alpes-Maritimes, s’écrie sur Twitter : « Les islamogauchistes viennent d’imposer au président leur ministre de l’Education Nationale Pap Ndiaye à la place de Jean-Michel Blanquer. Qui oserait dire encore que Macron penche à droite ! »
À gauche, la nomination est saluée. Le sénateur socialiste Rachid Temal y voit un « beau symbole pour notre pays ». Tout en précisant : « Pour moi la question est de savoir s’il pourra reconstruire une école d’excellence pour tous les enfants de France et les enseignants ! » Mêmes doutes de la part d’Esther Benbassa (ex-EELV). « Juste des coups ? Ou plus que cela ? Souhaiter que tous les moyens de leur action leur soient effectivement donnés. »
Le communiste Pierre Ouzoulias se montre taquin. « Il y a une sorte de retournement de l’histoire qui est assez étonnant. Jean-Michel Blanquer, depuis Montargis, doit vivre avec une certaine surprise cette nomination. Il doit se dire que le wokisme est arrivé au gouvernement. » Le sénateur des Hauts-de-Seine, résidant à Bourg-la-Reine, ville qui a vu grandir l’historien, estime que ce profil pourra faire de « l’anti-Blanquer » et « défaire tout ce qui a été fait durant cinq ans ». « Ce que j’attends surtout de lui, c’est qu’il prenne à bras-le-corps le problème fondamental de l’Education nationale : l’accroissement des inégalités sociales et de l’accession à l’enseignement supérieur. » À une condition toutefois. « J’espère qu’il a un mandat fort du président de la République ».
Pour le nouveau ministre de l’Education nationale, les dossiers sont nombreux sur la table. Avenir de la réforme du bac, effectifs dans les classes, évolution des programmes avec la question du retour des mathématiques, la préparation de la prochaine rentrée scolaire ou encore réforme de l’éducation prioritaire : les interrogations ne manquent pas à la commission de la culture et de l’éducation du Sénat.
Son président, le centriste Laurent Lafon, explique que la première audition sera l’occasion de préciser ses positions. « Est-ce qu’il s’inscrit dans la continuité ou marque-t-il un changement par rapport à son prédécesseur, que ce soit dans la méthode ou par rapport aux réformes initiées ? Quand on voit un profil aussi différent du précédent, ça devrait avoir des conséquences en termes de remises en question de projets avancés ces dernières années. » Réponse dans les prochaines semaines.