Enfants nés d’une PMA avec don de gamètes : le Sénat refuse la levée systématique de l’anonymat des donneurs

Enfants nés d’une PMA avec don de gamètes : le Sénat refuse la levée systématique de l’anonymat des donneurs

Le Sénat a adopté une version modifiée de l’article 3 du projet de loi de bioéthique, relatif à l’accès aux origines d’un enfant issu d’un don de gamètes. Selon le texte adopté, cet enfant pourrait avoir accès, dès sa majorité, à l’identité du donneur, à condition que ce dernier donne son accord au moment de la demande.
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Les débats ont encore une fois été longs, passionnants, et surtout éminemment complexes à trancher. Plusieurs sénateurs, de toutes tendances, l’ont reconnu. Au troisième jour de l’examen en première lecture du projet de loi de bioéthique, le Sénat a adopté, en séance publique ce 23 janvier, l’article 3, qui détaille les modalités d’accès aux origines d’une personne conçue par une assistance médicale à la procréation après un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes. Inscrit dans la loi depuis 1994, le principe absolu de l’anonymat des donneurs de gamètes est sur le point de tomber : de nombreux enfants issus de dons ayant exprimé le besoin de connaître leurs origines. Mais le Sénat a choisi un système différent de celui adopté à l’Assemblée nationale et défendu par le gouvernement.

Dans les textes des deux chambres, l’anonymat du don demeure garanti pleinement pendant 18 ans : le couple receveur ne pourra pas connaître l’identité du donneur, ce qui ferme la porte à l’eugénisme. Les sénateurs ont préféré retenir la position de leur commission spéciale. Celle-ci a notamment créé une distinction entre des données non-identifiantes et l’identité proprement dite du donneur.

Le Sénat redoute « l’irruption » dans la vie du donneur

La solution sénatoriale a surtout conditionné la communication de l’identité d’un donneur (ou de ses données non-identifiantes) à son consentement, qui devra être exprimé au moment de la demande déposée par l'enfant majeur à la recherche de ses origines. Dans la version initiale sortie de l’Assemblée nationale, le donneur devait consentir, dès le moment du don, à ce que des informations non identifiantes le concernant puissent être communiquées à l’enfant né d’un de ses gamètes.

Or, un tel dispositif aurait entraîné un « risque », selon la rapporteure, la sénatrice Muriel Jourda (LR), celui de décourager des donneurs potentiels et donc aurait eu pour conséquence une pénurie de gamètes. « Et cela entraîne un nouveau risque, celui de la marchandisation des gamètes. ». La rapporteure spéciale a défendu une position d’ « équilibre », entre le droit aux enfants à connaître leurs origines et la préservation de la vie privée des donneurs. « Cela peut-être une irruption dans sa vie, tout à fait néfaste, sans commune mesure avec le geste altruiste qu’il a pu faire », a expliqué Muriel Jourda.

La solution du Sénat, un « supplice chinois » pour les enfants, selon Adrien Taquet

Selon le sénateur La République en marche, Julien Bargeton, la commission spéciale « a essayé de faire du en même temps ». « C’est un peu la loterie […] On introduit une vraie rupture d’égalité. »

Le gouvernement a identifié des inconvénients dans le texte sénatorial. « Mettons-nous à la place de l’enfant », a demandé le secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, Adrien Taquet. « Le système vers lequel vous êtes en train de vous diriger, du point de vue de l’enfant, consiste à institutionnaliser le fait que certains enfants auront le droit de connaître l’identité de leur donneur et que certains autres […] se verront opposer une porte fermée. » Ce système de « supplice chinois » serait, selon lui, « délétère » pour les enfants qui, après avoir attendu jusqu’à leur majorité, n’obtiendraient aucune réponse, à cause d’un refus du donneur.

Accès à l'identité des donneurs de gamètes : « Mettons-nous à la place de l’enfant », demande Adrien Taquet
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« Ne faisons rien dans ce cas-là, ne donnons pas le sentiment de donner des droits à des enfants, pour que dans la pratique ils ne puissent pas être exercés : c’est la pire des choses qu’on puisse faire à un enfant né de dons », a-t-il ajouté par la suite. L’amendement du gouvernement, prévoyant un retour à la copie des députés, a reçu le soutien de socialistes refusant un processus « aléatoire ».

Philippe Bas, président LR de la commission des lois, a expliqué qu’à force de comparer la position du gouvernement avec celle de la commission spéciale, c’est cette dernière option qui s’imposait : un consentement du donneur en cas de demande de l’enfant qui manifesterait son intérêt après son 18e anniversaire. Plutôt que de pousser les donneurs à donner leur consentement dès le moment où ils cèdent leurs gamètes, un choix dont les conséquences engagent ces donneurs au minimum 18 ans de leur vie. « L’engagement est pratiquement impossible à prendre », s’est exclamé le sénateur de la Manche. « La proposition du gouvernement méconnaît profondément la réalité de la vie que le donneur va avoir devant lui, pendant toutes ces années où l’enfant issu du don va grandir. »

Sur un autre volet, socialistes ou gouvernement ont essayé de battre en brèche la crainte de la commission spéciale de voir les dons de gamètes chuter, avec ce principe du consentement sur l’identité. « D’autres pays ont fait ce choix », a fait valoir la ministre de la Santé, évoquant l’émergence de donneurs avec des profils différents. « Ce sont des gens très engagés. »

Le Sénat a aussi voulu répondre aux cas des personnes déjà nées d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

Autre différence notable entre le texte du Sénat et le texte adopté par l’Assemblée nationale : les sénateurs ont étendu leur dispositif d’accès aux origines à l’ensemble des enfants nés d’un don de gamètes, y compris ceux qui sont déjà nés. L’idée de la commission spéciale est de ne pas réserver uniquement cette quête des origines aux enfants nés d’une PMA avec don de gamètes après la promulgation du projet de loi. Et de pas laisser sans réponse les autres enfants.

Pour la ministre de la Santé, cet effet rétroactif serait « choquant », car il reviendrait sur une sorte de contrat « moral » passé par les donneurs dans le cadre de l’état actuel du droit. « Une loi rétroactive sèmerait le doute sur ce que nous votons aujourd’hui pour les futurs donneurs. Cela mettrait en péril la confiance des Français dans les futures lois », a mis en garde Agnès Buzyn. « À partir du moment où la personne recontactée pourra dire non, je ne vois pas où est le problème », a contre-argumenté la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.

Le secrétaire d’État a rappelé à l’hémicycle que le gouvernement prévoyait de lancer une campagne de sensibilisation, à l’égard des donneurs actuels, pour les encourager à se rapprocher de l’organisme en charge des accès aux origines personnelles, qui sert d’interface entre donneurs et enfants nés d’un don de gamètes.

Nombreux étaient les sénateurs à vouloir « tourner la page du secret » et à en finir avec le principe « absolu » de l’anonymat du don de gamètes. Mais dans ce débat, beaucoup ont hésité sur la meilleure solution à retenir. « Aucun de ces systèmes ne peut prétendre à la justesse parfaite ni à l’égalité parfaite », a même reconnu la rapporteure Muriel Jourda. Au fur et à mesure de la discussion, certains sénateurs, comme les communistes, se sont même ralliés à la position du gouvernement, alors qu’ils souscrivaient encore à la version de la commission spéciale au début des débats. Un retournement de situation qui inspiré au sénateur LR Roger Karoutchi ce commentaire : « Au bout d’une heure et demie, plus personne ne sait ce qu’il est censé voter ! »

Accès à l'identité des donneurs de gamètes : les communistes se rallient à la position du gouvernement
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Dans ce débat d’une grande richesse et mené dans le calme, un chiffre illustre combien l’hémicycle était partagé, et pouvait basculer dans un choix comme dans l’autre. Sur le vote de l’amendement du gouvernement demandant un retour au texte de l’Assemblée nationale, 30 sénateurs ont voté contre, 25 pour. Le résultat de ce vote à main levée a d’ailleurs été demandé à la présidente de séance à la suite d’un rappel au règlement. Certains souhaitent en effet, par curiosité, être informés du rapport de force.

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