Interdiction des « listes communautaristes »: la droite sénatoriale occupe le terrain de la laïcité

Interdiction des « listes communautaristes »: la droite sénatoriale occupe le terrain de la laïcité

Avec deux propositions de loi en moins de deux semaines sur la laïcité, la droite sénatoriale occupe le terrain que le gouvernement a pour le moment du mal à investir. La dernière en date, annoncé par Bruno Retailleau ce week-end, vise à interdire « les listes communautaristes » aux élections.
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À deux jours de l’examen en commission des lois du Sénat, d’une proposition de loi sur la neutralité religieuse des accompagnateurs et accompagnatrices scolaires (voir notre article), le patron de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau annonce le dépôt prochain d’un autre texte visant à interdire « les listes communautaristes » aux élections.

En deux semaines, la droite sénatoriale semble avoir trouvé le coin à enfoncer dans l’acte II du quinquennat d’Emmanuel Macron : la laïcité. Si le chef de l’État s’est déjà exprimé sur ce thème, comme en avril 2018 devant le collège des Bernardins, il n’a toujours pas prononcé son « grand discours » sur la laïcité, régulièrement évoqué et sans cesse repoussé. En attendant, la majorité et le gouvernement laissent transparaître ses divisions sur ce sujet. L’épisode de l’accompagnatrice scolaire voilée, priée par un élu RN, de quitter le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, a viré à la cacophonie. Emmanuel Macron, pressé de s’exprimer « sans haine et sans faiblesse » par Gérard Larcher et une partie de l’opposition, voit désormais son ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes, Gérard Collomb lui demander, lui aussi, de « donner le la ».

Faute de tempo présidentiel, c’est la droite, en particulier celle du Sénat, qui s’engouffre dans cette brèche. « Il s’agit pour la droite de dire : le vote utile, ça ne peut pas être Emmanuel Macron car sur ce sujet-là, il ne va pas au bout de sa logique. Nous, nous déposons des propositions de loi alors que le gouvernement ne le veut pas. Et en même temps, nous sommes plus utiles que le Rassemblement national, sous-entendu, ils n’arriveront jamais au pouvoir » analyse Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas, qui rappelle, néanmoins, que les deux propositions de loi « ont une portée symbolique ». « D’abord parce qu’elles ont très peu chances d’aboutir. Il faudrait qu’elles soient adoptées dans les deux chambres. Ce n’est pas vers là que semble s’orienter le gouvernement » et aussi « parce que leur constitutionnalité n’est pas évidente, pour ne pas dire très contestable ».

En quoi consiste la proposition de loi annoncée par Bruno Retailleau ?

Dans le Journal du Dimanche, le patron de la droite sénatoriale propose « d'interdire tout financement public d'un mouvement communautariste, qui ne respecterait pas les principes de souveraineté nationale et de laïcité », « de prohiber, sous le contrôle du juge administratif, les candidatures et la propagande électorale communautaristes », ou encore « d’interdire les signes religieux comme le voile sur les affiches ou les professions de foi ». « Cela concerne tous ceux qui portent les revendications d'une partie de la population à raison de son appartenance religieuse ou ethnique » précise-t-il. Dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle, (si elle arrive à son terme), Bruno Retailleau souhaite également inscrire un nouveau principe dans la Constitution selon lequel, « nul ne peut se prévaloir de sa religion pour se soustraire à la règle commune ». « Cela réglera tous les débats sur les horaires différenciés de piscine, par exemple » veut-il croire.

L’Union des démocrates musulmans français « ne se sent pas du tout concerné »

Le sénateur de Vendée vise nomment l'Union des démocrates musulmans français (UDMF). Créé en 2012, le parti a recueilli moins de 29 voix aux dernières européennes. Interrogé par Public Sénat, Jean Préau candidat aux dernières européennes sur la liste UDMF « ne se sent pas du tout concerné » par cette future proposition loi et assure que l'Union des démocrates musulmans français « est un parti laïc qui œuvre pour la concorde nationale ». « Nous sommes une bonne nouvelle pour la démocratie car nous allons permettre à tous les Français de s’exprimer et en partie ceux qui sont en permanence stigmatisés pour des questions de bout de tissu » ajoute-il.

« La qualification juridique de ces listes va être d’une extrême difficulté »

En attendant le dépôt du texte, dans les rangs LR du Sénat, on s’interroge sur l’efficacité d’une telle mesure. « La qualification juridique de ces listes va être d’une extrême difficulté. Et même lorsque nous les aurons qualifiés, je pense que certains seront suffisamment habiles pour contourner le cadre juridique que nous aurons instauré » note Philippe Dallier, sénateur LR de Seine-Saint-Denis, invité de l’émission « Bonjour chez vous » sur Public Sénat

Pour Patrick Kanner, les listes communautaristes doivent être combattues sur le terrain politique

Le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner s’interroge lui aussi la mise en œuvre d’un tel texte. « Comment un juge administratif va décider d’interdire un parti sous prétexte qu’il est communautaire ou communautariste ? ». « Je suis contre les listes communautaristes dans le sens où elle ferait prévaloir la religion sur la République, mais elles doivent être combattues sur le terrain politique. Je ne suis pas sûr que la défense de la laïcité doive passer par la stigmatisation des Français de confession musulmane. Je ne mets pas en cause les convictions laïques de Bruno Retailleau. Mais je peux aussi penser que lorsqu’il s’oppose à la PMA c’est aussi en fonction de ses convictions religieuses » souligne-il.

L’UDMF présente « les marqueurs évidents de l’islam politique » pour Valérie Boyer

« Il faut arrêter de faire semblant de ne pas comprendre ce qu’est un parti communautariste. C’est un parti qui s’oppose aux valeurs de la République comme par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes que le gouvernement a décrétée grande cause nationale » s’offusque Valérie Boyer. La députée LR des Bouches-du-Rhône approuve d’autant plus la proposition de loi de Bruno Retailleau, qu’elle avait envoyé un courrier à Emmanuel Macron à quelques jours avant les élections européennes, pour contester la validation par le ministère de l’Intérieur de la liste UDMF. Une liste qui selon elle présentait « les marqueurs évidents de l’islam politique ». La députée s’alarmait également de la présentation de 52 candidats issus du parti « Égalité Justice » aux dernières élections législatives, « émanation et officine du président islamo conservateur turc Receip Tayyip Erdogan » écrivait-elle.

Valérie Boyer, qui ne cache pas sa croix en pendentif, s’opposera-t-elle à cette autre mesure que souhaite voir mise en place Bruno Retailleau, à savoir : « une stricte neutralité des élus dans l'exercice de leur mandat » ? « On n’a jamais empêché une accompagnatrice scolaire de porter une main de Fatma. En France, on a le droit au blasphème et au port des bijoux. Mais que le gouvernement compare le serre-tête et le voile islamique, c’est désespérant. Il faut poser la question de la signification politique du voile islamique » répond-elle.

« C’est de la provocation »

Constitutionnelle ? applicable ? Souhaitable ? À quatre mois des municipales, la proposition de loi annoncé par Bruno Retailleau a, de toute façon, peu de chance d’être adoptée avant le prochain scrutin. Pour Françoise Laborde, sénatrice RDSE et ancien membre de l’Observatoire de la laïcité l’annonce de ce texte « est de la provocation ». « La difficulté c’est la marge entre le reprochable et l’irréprochable. Que fera-t-on d’une liste de chrétiens radicaux qui disent non à la PMA ? Ce texte ne va pas vraiment dans le sens de l’apaisement ».

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