Néonicotinoides : « Un projet de loi basé sur un mensonge » dénoncent les opposants
Face aux difficultés des betteraviers, le gouvernement a décidé d’accorder une dérogation pour l’usage des néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles, interdits depuis 2018. La députée Delphine Batho dénonce le « revirement » du gouvernement et « un écocide ». « Inacceptable » pour le sénateur Joël Labbé, qui se fera « entendre », lors de l’examen du texte.

Néonicotinoides : « Un projet de loi basé sur un mensonge » dénoncent les opposants

Face aux difficultés des betteraviers, le gouvernement a décidé d’accorder une dérogation pour l’usage des néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles, interdits depuis 2018. La députée Delphine Batho dénonce le « revirement » du gouvernement et « un écocide ». « Inacceptable » pour le sénateur Joël Labbé, qui se fera « entendre », lors de l’examen du texte.
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L’annonce était tombée en plein cœur de l’été. Le gouvernement a décidé de réautoriser l’usage des néonicotinoïdes pour les betteraviers. Un recours jugé nécessaires par ces derniers. Les betteraves à sucre sont envahies de pucerons verts, les récoltes s’annoncent mauvaises, avec des baisses de rendement de 30 à 50% attendues. Ces pesticides tueurs d’abeilles sont pourtant interdits depuis 2018, suite à la loi sur la biodiversité votée en 2016, sous François Hollande. Une loi portée à l’époque par Barbara Pompili, alors secrétaire d’Etat, devenue depuis juillet ministre de la Transition écologique…

Le gouvernement entend défendre le secteur et ses « 46.000 emplois »

L’exécutif entend aujourd’hui accorder une dérogation jusqu’en 2023 permettant l’usage de ces insecticides. Elle nécessite de changer la loi. Un projet de loi est ainsi présenté ce jeudi en Conseil des ministres, en vue d’une adoption rapide.

Selon les agriculteurs, les craintes n’ont pas lieu d’être. Ils font valoir que la betterave sucrière est récoltée avant floraison. Autrement dit, pas de problème pour les abeilles, insectes polinisateurs. L’argument a été repris par le gouvernement. « Les betteraves ne produisent pas de fleurs avant la période de récolte, ce qui circonscrit l’impact de ces insecticides sur les insectes pollinisateurs » dit le ministère de l’Agriculture par communiqué début août, soulignant l’inefficacité actuelle des alternatives techniques. Le ministère met aussi en avant que « le secteur concerne 46.000 emplois dont 25.000 agriculteurs et 21 sucreries ».

« Comme par hasard, cette annonce a été faite pendant les vacances »

Les défenseurs de l’environnement n’en reviennent toujours pas. De nombreuses ONG ont dénoncé avec force cette décision. « Comme par hasard, cette annonce a été faite pendant les vacances » rage encore le sénateur écologiste Joël Labbé. Le sénateur du Morbihan combat les néonicotinoïdes de longue date. Au Sénat, il avait déposé une proposition de résolution européenne sur le sujet. Lors du débat, en 2015, « vu les railleries de certains de mes collègues, j’avais arraché ma cravate » rappelle Joël Labbé. Regardez :

Pesticide: le sénateur écologiste Joël Labbé pousse un coup de gueule et enlève sa cravate en séance
02:10

Il dénonce aujourd’hui « un véritable recul » et de faux arguments pour justifier la décision. « On dit que la betterave ne pose pas de soucis, comme on le fait avant floraison. Mais c’est faux. Il y a la guttation : le matin, les feuilles de betteraves transportent des petites gouttelettes d’eau et les abeilles apprécient de s’en abreuver » souligne le sénateur écologiste. Comme le relève Le Monde, des études scientifiques ont démontré que l’impact reste présent.

« Revirement spectaculaire du gouvernement »

La députée et présidente de Génération écologie, Delphine Batho, dénonce pour sa part « un projet de loi basé sur un mensonge ». « Toutes les plantes environnantes seront gorgées de néonicotinoïdes. On dit que l’enrobage de semence, la technique qui sera utilisée, serait moins grave. C’est exactement l’inverse » a recadré ce mercredi l’ancienne ministre, lors d’une conférence de presse.

Delphine Batho pointe « un revirement spectaculaire du gouvernement », « un écocide que nous avons l’intention de combattre de toutes nos forces ». Génération écologie mise sur la mobilisation citoyenne. Elle commence par l’information. Une brochure a été réalisée pour rappeler « la réalité des faits et les arguments scientifiques » qui ont justifiée, en 2016, l’interdiction. « Une invitation à l’ensemble des partis démocratiques et syndicats pour une réunion unitaire, le 9 septembre, pour envisager les actions communes » a été lancée, ajoute Quentin Guillemain, porte-parole du parti.

Delphine Batho : « Le texte autorise des dérogations pour tous les types de culture »

Depuis l’annonce estivale, les producteurs de maïs ou de blé tentent de s’engouffrer dans la brèche et demandent la même dérogation. Or le projet de loi pourrait laisser croire que la porte est ouverte, sur le papier. « Le texte autorise des dérogations pour tous les types de culture et dans toute la France, à l’heure où on parle. (…) Juridiquement, le projet de loi n’est pas limité à la betterave » met en garde Delphine Batho. En effet, c’est le cas. Mais « une telle précision, si elle était inscrite dans la loi, induirait le risque que le Conseil d’Etat y voit une rupture d’égalité devant la loi » répond au Monde le ministère. « La loi ne l’écrit pas comme ça », a reconnu sur RMC/BFMTV le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, mais il assure que l’exécutif ne vise que la betterave.

A peine nommée, Barbara Pompili a donc dû très vite avaler son chapeau. Elle s’est montrée solidaire de la décision, soulignant le manque de recherche et donc d’alternative. Mais en marge d’un déplacement, le 25 août dernier, l’ancienne députée de la Somme n’a pas caché être en réalité en désaccord. On ne sera pas surpris. « C’est un choix que je regrette énormément et qui me met en colère » a affirmé Barbara Pompili, rapporte le journal spécialisé La France Agricole.

Pour pousser le vice un peu plus loin, la décision du gouvernement contredit la loi sur la biodiversité sur un autre point. « Dans cette même loi, on a voté le principe de non régression du droit de l’environnement. Et là, on est typiquement dedans… » constate amèrement Joël Labbé.

« Il y a une course de vitesse »

Le sénateur du Morbihan rappelle les dangers démontrés des néonicotinoïdes : « Ils ont un impact sur les abeilles mais aussi l’ensemble du monde des insectes, sur les vers de terre, la flore microbienne du sol, tout comme sur les poissons et les organismes aquatiques. Quasiment l’ensemble du vivant, sans parler de la persistance de cinq ans dans le sol ». Et ce n’est pas tout :

Il y a un impact sur la santé humaine. Des études ont montré l’impact sur le système nerveux humain et des suspicions existent pour les maladies neurodégénératives.

Les opposants comptent bien sûr mener aussi la bataille au Parlement. Si les dates doivent être confirmées, d’après Delphine Batho, le texte pourrait commencer son examen à l’Assemblée le 23 septembre puis arriver en séance le 5 octobre. « Il y a une course de vitesse. Le gouvernement sait bien à quel point pourrait se développer des mobilisations citoyennes » souligne la députée du groupe Ecologie, Démocratie, Solidarité.

Le texte suivra rapidement au Sénat. « On va nous entendre » prévient Joël Labbé, « d’autant plus qu’on aura un groupe écologiste (dont le retour est probable, après la vague verte des municipales, ndlr). Ça aura de l’importance. Je fais partie de ceux qui monteront très fort là-dessous. Car c’est inacceptable ». S’il y a « le lobby des entreprises et syndicats », qui a obtenu gain de cause, Joël Labbé compte sur la « pression » citoyenne. Lors du vote, il prévient déjà qu’il compte demander le scrutin public, qui permet de connaître le vote en détail, « pour que chacun prenne ses responsabilités, en son âme et conscience ». Avec ou sans cravate.

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