Bouger sans perdre l’équilibre. C’est tout l’art dont va devoir faire preuve le gouvernement, lors de l’examen du projet de loi sur la réforme des retraites, qui commence à l’Assemblée en séance, lundi 6 février. Après deux journées de mobilisation pour le moins réussies, l’exécutif semble prêt à quelques bougés, évolutions, pour ne pas dire concessions. Mais avec une volonté répétée : ne pas toucher au report de l’âge de départ à 64 ans, totem de la réforme. Autre difficulté : des changements ont déjà été intégrés, à commencer par les 64 ans, dès la présentation du texte avant le Conseil des ministres.
Des éléments de réponse pourraient venir de la première ministre, Elisabeth Borne, attendue ce jeudi soir sur France 2. « Peut-être y aura-t-il des annonces », avance Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons à l’Assemblée. Dimanche dernier, avec les autres responsables de la majorité, il avait fait le point à Matignon avec la première ministre. Il a prévu un point téléphonique avec Elisabeth Borne, de nouveau, dimanche prochain. Si tout n’est pas totalement arrêté, on connaît déjà une série de pistes d’évolutions possibles.
Une clause de revoyure en 2027 ?
L’un des ajouts qui semble tenir le plus la corde est la volonté de faire un point d’étape, en 2027. L’idée avait déjà été évoquée par Emmanuel Macron durant l’entre-deux tours de la présidentielle. Un principe défendu aujourd’hui par le Modem de François Bayrou. « Nous tenons à l’amendement de Marina Ferrari, rapporteure pour avis, et adopté en commission des finances, avec une clause de revoyure. Il nous semble très équilibré. L’idée est de faire un point après les élections présidentielle et législatives de 2027, avec la Cour des comptes et le CESE, pour voir si les équilibres sont respectés et les évolutions possibles », explique Jean-Paul Mattei, président du groupe Modem. Avec possibilité de jouer sur le rythme de l’accélération de la réforme Touraine après ? « Oui, peut-être », avance le député des Pyrénées-Atlantiques. Un débat subsiste dans la majorité pour savoir qui ferait ce rapport. Du côté de Renaissance, certains voudraient qu’il vienne du gouvernement.
Le principe est défendu aussi du côté des députés proches d’Edouard Philippe. « La volonté de se doter d’outils de revoyure, ça vient de nous aussi. C’est en bonne voie, j’ai confiance », assure Laurent Marcangeli, dont le groupe défend « un comité d’évaluation qui rend un avis, une étude, tous les 5 ans, en vue déjà du PLFSS 2028 », étudié à l’automne 2027.
Mais François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat, n’apprécie pas pour sa part l’idée : « Si on commence à dire qu’on fait une clause de revoyure, on ne fait pas la retraite. De facto, il y aura une élection présidentielle. Le prochain président pourra dire ce qu’il voudra ».
Carrières longues : la mesure à 2 milliards d’euros… qui permet de faire adopter la réforme ?
Une autre mesure dans les tuyaux, mais qui fait celle-ci beaucoup plus débat, concerne les personnes qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans, qui se retrouverait après la réforme à devoir travailler 44 ans, et non 43 ans. Un trou dans raquette qui concerne autour de 170.000 personnes. La mesure est demandée du côté des députés LR, sans qui les macronistes n’auront pas de majorité pour adopter le texte. Mais le sujet fait débat, en raison de son impact financier.
« Ça coûte 2 milliards d’euros. Si on remet en cause l’équilibre de la reforme… », grince François Patriat. « Quand vous travaillez un peu plus, ce n’est pas perdu. Cela vous donne des droits supplémentaires à la retraite. Il faut un équilibre à la réforme », a avancé mardi sur France Info Sylvain Maillard, député Renaissance de Paris. « Il y aura peut-être des effets de bord pour certains, qui travailleront 44 ans. Mais franchement, c’est quelques trimestres de plus. Il faut relativiser. Il faut bien peser le pour et le contre », avance aussi Jean-Paul Mattei, selon qui « il ne faut pas se crisper sur ces 43 et 44 ans ».
Plus inattendu, certains, du côté du groupe Horizons, défendent la mesure. « Une députée de mon groupe, Béatrice Bellamy, a déposé un amendement, co-signé par dix députés du groupe, sur les carrières longues. C’est une mesure qui coûte 1,9 milliard d’euros quand même, mais je sais que beaucoup de députés LR, Modem et quelques Renaissance, ont fait des amendements allant dans cette direction. Je pense que c’est un sujet particulièrement important », soutient Laurent Marcangeli, qui ajoute :
C’est une demande des LR, mais ce n’est pas qu’une demande des LR.
Une mesure compensée par les CSP + ?
Le président du groupe Horizons a néanmoins « rappelé à son groupe que si on fait la réforme, c’est pour l’équilibre budgétaire. Là, vous prenez presque 20 % des économies ». Mais si le patron d’Horizons, Edouard Philippe, n’est pas du genre à vouloir alourdir les déficits, Laurent Marcangeli sait bien que l’enjeu sera aussi, et d’abord, politique. « Après, je sais que politiquement et tactiquement, ça peut être décisif. La question, c’est est-ce qu’on veut que la réforme passe ? Est-ce qu’on veut éviter un 49.3 ? Ce sont de vrais sujets. Si on ne veut pas d’un 49.3, c’est peut-être une porte de sortie », pense le président du groupe Horizons. Un député Renaissance, au fait des discussions sur les retraites, partage l’analyse, qu’il résume ainsi :
Si vous proposez aujourd’hui à Elisabeth Borne le vote de 60 députés LR, mais c’est 2 milliards d’euros, elle signe.
Mais le même met en garde sur le timing. « Si on signe maintenant sur ces 2 milliards, on va se reprendre 3 milliards encore après… » Autrement dit, il faudra « peut-être » lâcher sur ce point, mais au bon moment. Reste qu’une telle mesure mettrait à mal les 18 milliards d’économies qu’espère réaliser l’exécutif en 2030.
Au sein de la majorité, quelques parlementaires sont discrètement chargés de « chercher 2 milliards d’euros ailleurs », soit à compenser le coût de la mesure. Certains avancent du bout des lèvres une idée : faire contribuer « les CSP + », soit les cadres et bac + 5, pour qui la réforme n’a pas d’impact, sauf pour les femmes qui ont eu des enfants. De quoi remettre un peu de justice, et peut-être regagner quelques points dans l’opinion, espèrent les stratèges macronistes. Dans ce concours d’idées, on pourrait imaginer que ces CSP + doivent faire 43 annuités et demie, ou jouer pour eux sur l’âge de décote, en le fixant à 67 ans et demi, au lieu de 67 ans. Accessoirement, reste un petit problème : ces cadres, qui seraient concernés, sont aussi une partie de l’électorat de la majorité.
Pour les femmes, mesures sur la maternité
Les femmes, c’est l’un des éléments importants qui est sur la table. « Le gouvernement est en train de préparer quelque chose qui est un peu substantiel sur les femmes », soutient un député Renaissance. Le même souligne au passage le dilemme pour l’exécutif : « On est arrivé à un moment de tension où s’il y a un bougé, il ne peut être que substantiel. Sinon, ça n’aurait aucun effet. Et si ça coûte de l’argent, on va endosser l’impopularité de la mesure d’âge, et entamer l’efficacité. On est très coincés ».
Des amendements Modem, co-signés par des députés Horizons, ont été déposés. « Vous avez les mères de famille de plus de 3 enfants, les carrières hachées par la parentalité. L’idée, ce n’est pas de donner l’impression que ce n’est pas bien d’avoir des enfants », explique Laurent Marcangeli.
« Ce problème du statut des femmes et de la décote, par rapport aux trimestres de maternité, est très technique, et très compliqué », commence de son côté Jean-Paul Mattei. Mais il défend globalement « une forme d’équilibre, qu’une femme qui a un enfant ne soit pas pénalisée ».
Il y a notamment la question de la prise en compte de la maternité. Actuellement, cela équivaut à 4 trimestres dans le public, contre 8 (4 pour maternité + 4 pour éducation) dans le privé. Faut-il aligner ? Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guérini, est ouvert sur le sujet et compte le remettre « sur la table », à un moment ou un autre. « Pour moi, il n’y a pas de raison qu’on fasse une différence entre public et privé. Et on ne va pas aligner à la baisse », soutient le président du groupe Modem, « mais tout cela a besoin de calage. Mais on ne veut pas décrochage. On a des amendements en ce sens ». Une meilleure prise en compte de la maternité, c’est aussi une des demandes des LR, notamment du président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau.
Renforcer les dispositions pour l’emploi des seniors
Sur la question des séniors, il y a du grain à moudre. « Sur les séniors, on pourrait être plus coercitifs », selon François Patriat. « Des mesures peuvent arriver dans la loi prévue sur le plein-emploi » au printemps, ajoute le sénateur de la Côte-d’Or. Côté Modem, Jean-Paul Mattei défend « un bonus/malus pour les séniors, on y tient. Ce sont des incitations, ou des baisses de charge, si on maintient des séniors dans l’emploi ». En revanche, « l’index des séniors, ça me semble être une usine à gaz un peu compliqué. Après, c’est aux branches et partenaires sociaux d’en discuter », tempère un membre de la majorité.
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Sur l’index des séniors, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, s’est monté dimanche ouvert à « regarder » pour l’appliquer dès « 50 salariés », contre 300 prévus dans le projet de loi. Mais il faut « un outil de mesure qui ne soit pas un monstre d’administration et de paperasserie », a-t-il ajouté sur France 2. Sur France Inter, le ministre des Compte publics s’est dit lui « très ouvert à toutes les propositions sur l’emploi des seniors, et pourquoi pas de manière plus contraignante ».
Pompiers et professeurs des écoles
Dans les amendements qu’on pourrait voir aller au bout à l’Assemblée, il y a aussi la question des pompiers volontaires, pour leur permettre d’avoir des trimestres supplémentaires. Selon France Info, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, a obtenu aussi le feu vert de l’exécutif pour permettre aux professeurs des écoles de partir à la retraite dès qu’ils atteignent l’âge et la durée de cotisation nécessaire, sans avoir à finir l’année scolaire, comme c’est le cas actuellement. Enfin, la question du rachat de trimestres de cotisation, pour ceux qui ont fait des stades ou des études, est sur la table.