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Déserts médicaux : « Le vrai problème, c’est la pénurie de médecins »

Ce lundi, les médecins se mettent en grève pour protester contre la proposition de loi, votée à l’Assemblée nationale, qui les contraindrait à s’installer dans des déserts médicaux, mais aussi contre l’obligation d’exercer deux jours par mois dans des territoires sous-dotés comme l’a annoncé François Bayrou. Si les sénateurs de droite saluent la proposition du Premier ministre, ils pointent également, comme leurs collègues à gauche, la pénurie de médecins.
Marius Texier

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La mobilisation semble faire l’unanimité chez les médecins. Dès ce lundi, la profession entre en grève pour une durée illimitée. Mardi, des manifestations sont organisées un peu partout en France. En cause : une proposition de loi transpartisane du député socialiste Guillaume Garot qui vise à réguler l’installation des médecins. Début avril, l’une des mesures phares du texte est votée par près de 250 députés. Elle oblige les médecins à recevoir une autorisation des Agences régionales de santé (ARS) pour ouvrir un cabinet afin de lutter contre les déserts médicaux. En 2024, 87 % du territoire national est classé en désert médical et 11 % des Français ont déclaré ne pas avoir de médecin traitant.

« La proposition de loi de l’Assemblée nationale a mis le feu aux poudres, elle est très maladroite », regrette le sénateur socialiste et médecin de profession, Bernard Jomier. « Le problème de ce texte est qu’il fait reposer le problème des déserts médicaux sur les jeunes médecins. Or, ils ne sont pas le problème, mais une partie de la solution ».

« 2 jours par mois dans les territoires prioritaires »

Le 16 avril dernier, c’est le président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), Lucas Poittevin, qui lance un appel à « une grève nationale intersyndicale illimitée ». L’organisation syndicale « Jeunes Médecins » a également appelé à une « grève dure » avec une fermeture des cabinets médicaux. Interrogée par France Info, la présidente du syndicat, Anna Boctor, s’est dite « prête à tenir le bras de fer » en « bloquant le système ».

Mais la mobilisation s’oppose également aux propositions émises par François Bayrou, vendredi dernier. Lors d’un déplacement dans le Cantal, le Premier ministre a présenté son « pacte de lutte contre les déserts médicaux ». Opposé au texte de Guillaume Garot, il renonce à revenir sur la libre installation des médecins préférant la mise en place d’une « mission de solidarité ». Il va être demandé aux médecins de consacrer « jusqu’à 2 jours par mois » dans les territoires « prioritaires » définis par l’ARS.

« Plutôt que de retenir des solutions reposant sur la contrainte à l’installation des médecins, ce plan introduit notamment, pour la première fois dans notre système de santé, le principe d’une solidarité territoriale », a déclaré le Premier ministre.

Reprise d’un texte sénatorial

Avec ce pacte, le gouvernement reprend une partie des propositions du texte sur l’accès aux soins dans les territoires du sénateur Les Républicains et président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller. Dans son texte, qui va être examiné à partir du 12 mai, le sénateur propose de conditionner l’installation des médecins dans des zones bien dotées par « un exercice partiel dans des zones sous-dotées ». Il salue la reprise de ses propositions par le gouvernement et se dit prêt à « apporter toutes les précisions nécessaires » lors des débats au Sénat.

Pour le député Guillaume Garot, la contre-proposition du gouvernement ne répondra pas « à l’ampleur du problème : les zones les moins bien dotées sont rarement à proximité géographique des zones les mieux dotées ».

« Nous nous trouvons au fond de la piscine »

« La proposition de François Bayrou a le mérite de s’adresser à l’ensemble des médecins et pas uniquement aux plus jeunes », se satisfait Bernard Jomier. « Mais Guillaume Garot a raison de dire que cela ne changera rien. Le vrai problème c’est la pénurie de médecins. Nous nous trouvons au fond de la piscine et il va nous falloir des années pour remonter. Ce n’est cependant pas une raison pour ne rien faire ».

Dès le 26 mars, quelques jours avant le vote du texte de Guillaume Garot à l’Assemblée nationale, les organisations syndicales et représentatives des médecins libéraux, hospitaliers, salariés, étudiants en médecine et d’élus locaux, se sont indignés dans un communiqué commun. Opposées de manière « ferme et unanime », les organisations syndicales ont regretté être « sanctionnées pour une pénurie qu’elles subissent ». « Réguler une profession en pénurie ne solutionnera pas la pénurie elle-même ! », ont-ils écrit.

« Docteur junior »

« Il est clair que le principal sujet, c’est d’avoir plus de médecins », souligne Philippe Mouiller. « Et cela tout le monde l’a bien compris ». Son collègue Bernard Jomier abonde dans le même sens : « Le vrai souci est que la médecine générale est en perte d’attractivité et la régulation ne résoudra rien. Dans le secteur pharmaceutique, pourtant plus régulé que la médecine générale, le maillage territorial est tout aussi inégal car il y a une forte pénurie ».

Mais que faire face à la pénurie dans la médecine générale ? Pour les deux sénateurs, la solution se trouve du côté des étudiants en médecine qui doivent effectuer une « année professionnalisante ». « Il y a là une véritable opportunité », avance Philippe Mouiller. « Les jeunes médecins qui s’installent en zone rurale ont globalement effectué des stages dans ces mêmes zones ».

Voté en 2022, à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale de 2023, le statut de « docteur junior » instaure aux étudiants en médecine de quatrième année d’effectuer une année professionnalisante. Il est recommandé aux étudiants d’effectuer cette année dans des zones sous-dotées. « A la rentrée 2026, ce sont plus de 3 500 étudiants qui vont être dispersés sur le territoire », se réjouit Bernard Jomier. « C’est une occasion unique pour les garder en milieu rural, mais pour cela il faut rendre le territoire attractif ».

Des décrets non appliqués

Problème : les décrets d’application de la loi n’ont toujours pas été publiés. Interrogé à ce sujet, le 30 janvier dernier, à l’occasion des questions d’actualité au gouvernement au Sénat, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a assuré « prendre les décrets réglementaires dès le printemps prochain ». La prochaine loi de financement de la sécurité sociale doit permettre de faire passer les autres mesures d’applications.

« Rien n’est encore prévu pour le logement des étudiants, l’accueil n’est pas assuré », s’inquiète Bernard Jomier. « Rien ne semble être fait pour valoriser les territoires lors de l’arrivée des étudiants. Il faut absolument rendre ces zones sous-dotées en médecine générale plus attractive pour tenter de combler la pénurie. C’est le moyen le plus efficace pour lutter contre les déserts médicaux ».

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