Taxation des superprofits : au Sénat, une bataille de longue haleine entre la gauche, les centristes et la droite

Taxation des superprofits : au Sénat, une bataille de longue haleine entre la gauche, les centristes et la droite

En engrangeant un nouveau record de bénéfices pour l’année 2022, le groupe Total ravive malgré lui le débat sur la taxation des superprofits. Au Sénat, cette idée n’est pas seulement défendue par les élus de gauche, les centristes en ont également fait l’un de leurs chevaux de bataille au cours de l’année écoulée, quitte à s’opposer à leurs alliés LR.
Romain David

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Une addition historique pour TotalEnergies. L’entreprise française a annoncé mercredi avoir réalisé un bénéfice net annuel de 20,5 milliards de dollars en 2022, soit un peu plus de 19 milliards d’euros. Malgré 14,8 milliards de pertes comptables liées à la fin de ses activités en Russie, le géant pétrolier est parvenu à engranger un bénéfice net ajusté de 36,2 milliards. Ces chiffres devraient donner du grain à moudre à la gauche. Cette annonce intervient alors que les députés socialistes défendront jeudi matin, à l’occasion de leur niche parlementaire, leur proposition de loi pour la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises.

Cette question agite la classe politique depuis plusieurs mois face à la hausse des prix et à la crise de l’énergie, exacerbée par la guerre en Ukraine. Au Sénat, différents textes ont été défendus pour faire évoluer la fiscalité des grands groupes, sans aboutir.

Les sénateurs centristes sortent du bois

Dans les couloirs du Palais du Luxembourg, le sujet émerge au début de l’été 2022, en marge des débats parlementaires autour du projet de loi pouvoir d’achat et du budget rectificatif, un paquet législatif promis par le gouvernement pour aider les ménages face à une inflation galopante. Mais au sortir de deux ans de crise sanitaire, les résultats records affichés au même moment par les géants du CAC40 font tache d’huile : 160 milliards d’euros de profits sur l’année 2021, soit une hausse de 60 % par rapport au précédent pic de 2007. La relance a particulièrement profité aux énergéticiens, puisque Total affiche déjà une percée historique avec 14 milliards. Etonnamment, les centristes sont les premiers à mettre les pieds dans le plat : « On est favorable à la taxation des superprofits des énergéticiens. Il est normal qu’une partie revienne à la collectivité puisque les Français sont obligés de faire un effort pour prendre la voiture pour aller travailler ou partir en vacances », déclare le sénateur des Hauts-de-Seine Hervé Marseille, président du groupe Union centriste à la Chambre haute, le 4 juillet au micro de la matinale de Public Sénat.

Dix jours plus tard, Emmanuel Macron entrouvre la porte et évoque la possibilité d’une « contribution ». « Elle ne sera pas dans la démagogie et elle sera ciblée en regardant les entreprises, les bénéfices indus qui ont été faits et comment les mettre à contribution de manière intelligente », avertit le chef de l’Etat durant son entretien du 14 juillet. Mais il exclut d’emblée l’hypothèse d’une taxation des groupes énergétiques, invoquant dans le cas de Total la ristourne consentie par le pétrolier sur les prix à la pompe.

La majorité sénatoriale se divise

Au cœur de l’été, les discussions autour du projet de loi de finances rectificative se cristallisent autour de sept amendements pour une taxation des superprofits, respectivement déposés par les communistes, les écologistes, les socialistes et les centristes, proposant des niveaux de taxation et des champs d’application différents selon les familles politiques, mais ciblant tous les sociétés pétrolières et gazières, ainsi que les compagnies de fret maritime et les concessionnaires d’autoroute. Les discussions actent un désaccord entre la droite sénatoriale et ses alliés centristes avec lesquels elle forme la majorité au Palais du Luxembourg.

« Tous les pays voisins l’ont mis en place : l’Espagne, l’Italie, la Roumanie, la Grèce, le Royaume-Uni… L’Allemagne y réfléchit. Je n’ai pas l’impression que l’on aurait raison d’être les seuls à ne pas y penser », défend pendant les débats la sénatrice du Jura Sylvie Vermeillet, devenue le porte-voix des centristes sur ce sujet. Mais pour Les Républicains, qui dénoncent régulièrement les pesanteurs de la fiscalité des entreprises, une telle taxation risquerait de porter un coup d’arrêt à la compétitivité française dans une période délicate de relance. « Quand il y a de fortes chaleurs, on va taxer ceux qui vendent de l’eau minérale ? », dénonce notamment Bruno Retailleau, le président du groupe LR. Les sept amendements sont finalement rejetés.

Une tentative avortée de référendum

À la rentrée, la gauche reprend la main sur le sujet et annonce son intention d’enclencher un référendum d’initiative partagée, un mécanisme qui n’a jamais abouti et qui nécessite les signatures d’un cinquième des membres du Parlement et d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. La proposition de loi portée à la fois par les sénateurs de gauche et les députés de la Nupes anticipe la longueur de ce processus législatif en ciblant les profits qui seront réalisés au titre de l’année 2024. Elle prévoit un système progressif de taxation à trois taux à partir d’une moyenne triennale, calculée sur les bénéfices réalisés entre 2017 et 2019 : 20 % pour les bénéfices supérieurs de 25 % à la moyenne triennale, 25 % pour les bénéfices supérieurs de 50 %, et 33 % pour ceux allant au-delà de 75 %. Mais le 25 octobre, le Conseil constitutionnel douche les espoirs de la gauche et refuse de donner son feu vert à la procédure d’initiative partagée, estimant que l’objet du référendum – une réforme fiscale - sort du champ défini par l’article 11 de la Constitution qui fixe les conditions d’organisation d’une telle consultation.

La discussion budgétaire de l’automne est l’occasion d’une nouvelle bataille rangée entre la gauche et les centristes d’un côté, le gouvernement et la droite de l’autre. Au Sénat, un premier amendement présenté par la gauche est rejeté par 181 voix contre 97, un second, soutenu par les centristes recueille 152 voix pour, mais 181 contre. Le gouvernement s’appuie sur l’accord conclu entre les Etats membres de l’Union européenne le 30 septembre, afin de mettre en place une « contribution temporaire de solidarité », pour botter en touche. Notons que la Commission européenne n’a pas voulu employer le mot « taxe ». La transposition du dispositif dans le budget de l’Etat doit permettre de dégager « 11 milliards d’euros » en 2023, souligne Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics.

Rappelons que fin novembre Cécile Duflot, la présidente d’Oxfam, a déposé sur le site du Sénat une pétition soutenue par l’Alliance écologique et sociale, un regroupement d’organisations non gouvernementales et de syndicats engagés dans la transition écologique, « pour une taxe superprofits vraiment à la hauteur de la crise ». Les signataires espèrent bénéficier d’une procédure mise en place par la chambre haute : toute pétition déposée sur sa plateforme internet qui parvient à dépasser les 100 000 signatures en six mois est transmise à la conférence des présidents, qui peut choisir de lui donner une suite parlementaire, sous la forme d’un texte législatif, d’un débat en séance publique, d’une mission de contrôle, voire d’une commission d’enquête. Deux mois et demi après sa mise en ligne, la pétition de l’ancienne ministre du Logement cumule un peu moins de 19 000 signatures.

Pour Gérard Larcher, « il faut continuer d’avoir des débats sur ce sujet »

En plein examen parlementaire de la réforme des retraites, les résultats dévoilés par Total ce mercredi replacent au cœur du débat la question de la répartition des richesses. « Je préférerais que TotalEnergies gagne 10 milliards de moins et que tout le monde soit un peu plus raisonnable sur ce sujet », a commenté Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, auprès du Figaro. À la sortie du Conseil des ministres, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a reconnu que « ces chiffres pouvaient choquer ». « Il y a des dysfonctionnements de l’économie mondiale qui peuvent choquer, je ne dis pas autre chose, mais il ne faut pas confondre ce qui relève d’un bénéfice réalisé en France, et ce qui relève d’un bénéfice mondial réalisé par un groupe dont le siège social est en France. Je redis que la fiscalité des entreprises en France est l’une des plus importantes du monde. »

Au Sénat, la droite pourrait finir par marquer une inflexion sur le sujet. « Je pense que ces bénéfices-là nous amènent à nouveau à nous interroger sur la répartition des dividendes entre les actionnaires, entre les salariés et le rôle et la place de l’impôt par rapport à la Nation », a reconnu sur France Inter Gérard Larcher, le président du Sénat. « Nous avions engagé il y a quelques semestres des débats sur ce sujet. Je pense qu’il faut continuer à les avoir », a-t-il ajouté.

D’ici là, le PDG de TotalEnergies a évoqué la possibilité d’une nouvelle ristourne à la pompe, manière aussi pour le groupe de soigner son image. Les réductions de 12 centimes, puis de 20 et 10 centimes par litre pratiquées dans les stations essence du groupe en 2022 ont coûté 550 millions d’euros. « C’est la décision souveraine de ce groupe, mais on touche à l’indécence », estime auprès de Public Sénat Patrick Kanner, le président du groupe socialiste. « Si les actionnaires ont un peu moins de dividendes pour permettre de partager les richesses en France, chacun y trouvera son profit ». Et de tacler : « Mais si Patrick Pouyanné estime qu’il y a 10 milliards de trop, ça peut servir au financement des retraites… »

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