Applications mobiles : un texte sénatorial veut libérer les utilisateurs des règles des GAFA

Applications mobiles : un texte sénatorial veut libérer les utilisateurs des règles des GAFA

Une proposition de loi sénatoriale, soutenue par tous les groupes politiques, vise à renforcer les pouvoirs du régulateur national face à la toute-puissance des géants du numérique.
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Haro sur les géants du numérique et leur pouvoir sans limites. Le Sénat vient seulement de boucler sa commission d’enquête sur la souveraineté numérique de la France, en livrant une série de recommandations. Les sénateurs n’en restent pas là et s’engagent sur le front législatif, avec une proposition de loi « visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace ». Cette liberté n’est pas atteinte actuellement, selon eux. Déposé par la sénatrice Sophie Primas (LR), et soutenu par l’ensemble des membres de la commission des Affaires économiques qu’elle préside, le texte pourrait être inscrit à l’ordre du jour de la Haute assemblée début 2020, en janvier ou en février

 « On veut que la concurrence s’exerce », justifie la sénatrice Sophie Primas. Or elle constate qu’Internet est régi par « le règne de quelques entreprises puissantes » : les « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Cette initiative parlementaire vise à casser la rigidité de leurs services et de leur fonctionnement actuel, accusés par les sénateurs « d’enfermer » les utilisateurs dans les univers de chaque géant et de laisser peu de places aux acteurs indépendants.

La proposition de loi comporte trois axes pour offrir aux utilisateurs la liberté dans le choix de leurs applications sur smartphone, faciliter les communications entre deux réseaux sociaux différents, ou encore lutter contre les politiques de rachats agressives des GAFAM. Le rôle du gendarme serait dévolu à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), qui pourrait délivrer des avis contraignants et disposer d’un pouvoir de sanction. Le montant des amendes pourrait s’élever jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires de l’un de ces géants numériques.

Applications sur les smartphones : mettre un terme aux contraintes fixées par les GAFAM

Le premier volet propose de redonner la mainmise à l’usager sur les applications de son téléphone. Actuellement, il est impossible de désinstaller les applications qui figurent sur l’appareil sorti d’usine : des navigateurs, des plans, des lecteurs média. « Ces grands acteurs nous capturent dans leur univers », s’inquiète Sophie Primas. Avec le texte de loi, s’il était adopté, l’Arcep pourrait fixer un cadre pour empêcher de telles pratiques. L’argument de la sécurité et du bon fonctionnement des systèmes d’exploitation constituerait cependant deux exceptions à cette ouverture souhaitée par les utilisateurs.

La position dominante des boutiques d’application est aussi remise en cause par le texte. Sur les téléphones fonctionnant avec Androïd, difficile de se tourner vers une autre plateforme que Google Play pour installer des applications. Chez Apple, pas de salut en dehors de l’App Store. Des situations de monopole incompréhensibles pour les sénateurs, si on les transposait dans l’économie traditionnelle. « Imaginez un centre commercial avec un étage pour Google et un étage pour Apple », fait remarquer Sophie Primas, qui pointe un effet pervers. « Ils ont le droit de vie sur les applications présentes dans ce magasin. C’est une restriction de liberté considérable ». Demain, l’Arcep pourra intervenir.

Changer de réseau social, tout en conservant ses contacts et l’historique des conversations

Autre réponse apportée par la proposition de loi : ne pas décourager les utilisateurs ne changer de réseau social. Les sénateurs font l’analogie avec le sms ou les emails qui fonctionnent quels que soient les opérateurs : pourquoi ne pourrait-il pas en être autrement avec les réseaux sociaux ou les messageries de type Messenger ou Whatsapp ? Dans le texte sénatorial, l’Arcep pourrait imposer aux plateformes numériques de se rendre interopérables. Dit autrement : partir d’une plateforme en emportant ses contacts et ses conversations, et continuer ses échanges sur une autre plateforme.

Utopique ? Peut-être, mais le sujet a le mérite d’être déjà installé dans le débat public. En mai dernier, 70 organisations (comme des associations de défense des libertés ou des hébergeurs) ont publié une lettre ouverte pour demander au gouvernement et au Parlement d’imposer aux grandes plateformes numériques l’interopérabilité de leurs services. À la même époque, la Commission européenne appelait à étudier de nouvelles mesures pour faciliter cette fameuse interopérabilité.

Auditionné en juin 2019 devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur la question, le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, n’a pas caché son scepticisme. Même s’il a reconnu qu’il s’agissait d’un « vrai sujet », il a cependant jugé que ce mécanisme serait « excessivement agressif pour le modèle économique des grandes plateformes ».

La limite d’une telle proposition est surtout matérielle. Elle suppose des standards à l’échelle internationale pour garantir la compatibilité de différents écosystèmes.

La lutte contre les acquisitions « prédatrices »

Le dernier volet de la proposition de loi répond au problème concentration du nombre d’acteurs dans le numérique. « Il faut s’assurer que les grandes plateformes laissent la place aux autres, insiste Sophie Primas. La commission des Affaires économiques craint que ces opérations massives de rachat de start-up (les GAFAM ont procédé à 400 acquisitions en 10 ans) ne forment une « barrière à l’innovation ». Elle rappelle que deux opérations controversées de Facebook – les rachats d’Instagram et du réseau social To Be Honest (TBH) – pourraient avoir comme justification l’élimination de concurrents.

Le texte proposé par les sénateurs obligerait les géants du numérique à notifier à l'Autorité de la concurrence toute opération de rachat avant sa réalisation. L'Autorité de la concurrence, de son côté, aurait un droit de regard sur l’opération.

Dans une économie dématérialisée et internationale, la régulation est plutôt attendue au niveau de l’Union européenne.  Sur le volet fiscal, le gouvernement n’avait pas attendu la recherche d’un consensus européen ou au niveau de l’OCDE pour faire adopter son propre projet de taxation des activités numériques. Les sénateurs espèrent à ce stade que leur texte va lui aussi servir d’ « aiguillon européen ». « On met un pied dans la porte », résume Sophie Primas. Encore faut-il que la proposition soit inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale, après son adoption au Sénat qui ne fait guère de doute. La sénatrice précise qu’elle va engager des discussions avec son homologue député, Roland Lescure sur ce texte « transpartisan ».

Et si d’aventure le texte restait coincé entre les deux chambres, la commission des Affaires économiques assure qu’elle retranscrira le texte sous forme d’amendements dans le projet de loi de réforme de l’audiovisuel, attendue au Parlement au printemps 2020.

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