Budget 2022 : Le Sénat relève le plafond de défiscalisation des pourboires voulu par le gouvernement

Budget 2022 : Le Sénat relève le plafond de défiscalisation des pourboires voulu par le gouvernement

Dans le cadre du budget 2022, le Sénat a examiné ce vendredi la défiscalisation des pourboires payés par carte bleue annoncée par Emmanuel Macron en septembre dernier. La majorité sénatoriale a laissé le bénéfice du doute au gouvernement, mais sans grand enthousiasme. Les sénateurs ont tout de même supprimé le plafond d’1,6 SMIC et appliqué la défiscalisation à tous les pourboires.
Louis Mollier-Sabet

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Face au déficit de main-d’œuvre auquel sont confrontés l’hôtellerie et la restauration, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir défiscaliser les pourboires versés par carte bancaire. Le but était d’augmenter l’attractivité du secteur en « ajoutant au pouvoir d’achat » des salariés les pourboires payés par carte bancaire, jusqu’à présent soumis à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales. Cette promesse, datant de septembre dernier, s’est concrétisée dans le Projet de loi de finances (PLF) actuellement examiné au Sénat et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a moyennement enthousiasmé les sénatrices et sénateurs.

>> Lire aussi : Des airs de faux départ pour le coup d’envoi de l’examen du budget au Sénat

Des professionnels « très mitigés sur cette solution qui leur paraît à mi-chemin »

Olivier Dussopt a eu beau défendre une mesure qui « perpétue une tradition du pourboire » face à l’affaiblissement du paiement en espèces, la version du dispositif retenue par le gouvernement a en effet été reçue plutôt froidement, même par la majorité sénatoriale pourtant favorable aux défiscalisations par principe. Déjà, la version adoptée à l’Assemblée nationale englobe dans le dispositif toutes les « professions salariées en contact avec la clientèle », et exclut donc les travailleurs indépendants comme les taxis, ou bien les travailleurs des plateformes de chauffeurs-livreurs comme Uber. Christine Lavarde a ainsi tenté d’obtenir des précisions sur les pistes qu’envisageait le gouvernement pour pallier ce manque, sans succès. Ensuite, Jean-François Husson, rapporteur général du budget, a bien précisé que les représentants du secteur de l’hôtellerie et de la restauration rencontrés avaient « un sentiment très mitigé sur cette solution qui leur paraît à mi-chemin. »

Mais, face à une mesure construite comme une expérimentation sur les deux prochaines années, le rapporteur général et la commission des Finances ont préféré se montrer constructifs. « On va trouver une voie d’accord et de consensus » a tempéré Jean-François Husson. La majorité sénatoriale est ainsi revenue sur le plafond d’1,6 SMIC mis en place par le gouvernement, en dessous duquel les pourboires distribués par carte bancaire pouvaient être défiscalisés. D’après l’amendement du rapporteur général, un tel plafonnement pourrait d’abord « accroître inutilement la charge administrative pesant sur les chefs d’établissement. » Ensuite, un tel plafonnement pourrait avoir un effet de seuil conduisant à tirer les salaires du secteur vers le bas, « paradoxal » pour une mesure « dont l’objectif est de renforcer l’attractivité de la profession » note en outre l’amendement.

« Ce n’est pas par cet artéfact que l’on changera l’attractivité de ces métiers »

Sur ce point, tous les groupes politiques du Sénat semblent partager l’argumentation du rapporteur général, même sur les bancs communistes où Éric Bocquet dénonce un « risque de précarisation croissante » des salariés du secteur face à un « risque de placer les salaires à ce niveau d’1,6 SMIC. » En revanche, la gauche sénatoriale ne s’arrête pas seulement à cet aménagement de la mesure et dénonce en bloc cette « vraie fausse-bonne idée », selon les mots du sénateur socialiste Thierry Cozic. Sur le principe, la mesure paraît, pour le sénateur de la Sarthe, « fortement préjudiciable parce qu’elle désocialise le salaire fixe qui doit être garanti à tout employé. » De même, la gauche y voit une mesure insuffisante et inefficace pour améliorer l’attractivité du secteur. « Près de 110 postes ne sont pas pourvus dans ce secteur sous tension et la pratique du pourboire s’essouffle depuis que le service a été inclus dans le prix en 1987 » poursuit Thierry Cozic, qui conclut : « Ce n’est pas par cet artéfact que l’on changera l’attractivité de ces métiers. »

Du côté de la majorité sénatoriale aussi, on n’est pas convaincu du principe de la mesure non plus. Vincent Capo-Canellas, sénateur du groupe Union centriste, se montre presque nostalgique face à l’incitation aux pourboires dématérialisés de la start-up nation : « On oublie presque que l’on peut continuer à verser des pourboires en espèces et que c’est la meilleure façon d’être certain que le pourboire arrive au bon endroit, sans paperasserie. On finit par oublier la simplicité de ce qui marche déjà. » Au fond, Jean-François Husson semble partager son avis, mais laisse le bénéfice du doute au gouvernement, au moins pour une expérimentation de deux ans : « 55 % des transactions se font encore en espèces et effectivement, je pense que c’est, quelque part, une fausse bonne idée. Mais les professionnels préfèrent voir ce que cela peut donner, donc clarifions, mettons les choses à plat et ne mettons pas de barrières. » Pour cette fois, le Sénat amende seulement le dispositif du gouvernement, mais tout le monde ne semble pas satisfait du service offert par le gouvernement sur cette défiscalisation des pourboires, loin s’en faut.

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