Chant du coq, cigales, clochers : le Sénat se penche sur la protection du patrimoine sensoriel des territoires ruraux

Chant du coq, cigales, clochers : le Sénat se penche sur la protection du patrimoine sensoriel des territoires ruraux

La proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des territoires ruraux va être débattue cette semaine au Sénat. Elle avait été adoptée à l’unanimité, et sans modification, en commission de la culture.
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Les archives de la presse sont remplies de querelles de voisinage. On se souvient du coq Maurice sur l’île d’Oléron, dont la propriétaire avait été attaquée en justice pour nuisances sonores. Mais aussi de ce couple à Orschwihr, dans le Haut-Rhin, qui avait fait l’objet d’une procédure judiciaire à cause de l’odeur du crottin de leur cheval. On pourrait aussi citer le cas de touristes qui s’étaient plaints du chant des cigales dans le Var, ou encore cette plainte pour croassement nocturnes de grenouilles en Dordogne. La liste est longue.

Partant du constat d’un vivre-ensemble malmené dans les territoires ruraux et d’une progression des contentieux, le député UDI de Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier avait déposé en 2019 une proposition de loi afin de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes. Adopté début 2020 à l’Assemblée nationale, ce texte sera débattu le 21 janvier en séance au Sénat. Le texte a de bonnes chances d’être validé par la haute assemblée, puisqu’il a été adopté, à l’unanimité, sans modification, lors de son passage en commission de la culture.

Les maires de plus en plus sollicités sur ces questions

Deux grands axes jalonnent le texte. Il est proposé que ce patrimoine sensoriel soit consacré dans la loi. Ainsi, il serait précisé dans le Code de l’environnement que les sons et odeurs qui caractérisent les espaces naturels « font partie du patrimoine commun de la nation ». Pour contribuer à cette reconnaissance, des inventaires seraient réalisés dans chaque territoire, par les services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel.

Le rapporteur de la proposition de loi au Sénat, le centriste Pierre-Antoine Levi, a salué les dispositions du texte. Le sénateur du Tarn-et-Garonne a estimé que le texte constituera une « première base juridique » pour accompagner les élus locaux « dans les démarches de pédagogie et de médiation qu’ils mènent sur les territoires ». De plus en plus sollicités et interpellés sur ces questions, les élus municipaux devraient, grâce à ce texte, disposer d’éléments « factuels et scientifiques » sur lesquels s’appuyer pour tenter de désamorcer les conflits de voisinage.

« La ruralité n’est pas un territoire silencieux »

Lors des travaux de commission, le sénateur Pierre-Antoine Levi a souhaité rappeler « avec force » quelques principes préalables au débat. « La ruralité n’est pas un territoire silencieux. Certains bruits, certaines odeurs font partie de l’environnement traditionnel d’un territoire, et sont indispensables à son équilibre sociétal mais aussi économique », a-t-il insisté. Il a expliqué par ailleurs que cette reconnaissance de l’identité sensorielle des régions trouvait sa place dans un texte « équilibré ». « On ne peut, en arrivant dans un lieu, se retourner immédiatement contre un bruit, une gêne, que l’on ne connaît pas, sauf s’il constitue un trouble manifestement excessif du voisinage, ou est contraire aux lois et règlements. »

Très favorable à la proposition de loi, l’avocat au barreau de Paris Timothée Dufour, estime que la proposition peut conduire à diminuer la judiciarisation à certains types de conflits de voisinage. « Elle va permettre de dissuader, de rejeter fermement les actions, sur la base d’un inventaire qui recensera très clairement tel son ou telle odeur », explique-t-il. Attaché à la ruralité, petit-fils d’agriculteur, l’avocat spécialisé en droit des affaires est convaincu que le texte n’est ni anecdotique, ni symbolique. « Il ne s’agit pas d’opposer les ruraux aux néoruraux. Et il ne s’agit pas non plus de rajouter une loi supplémentaire, bien au contraire. Il s’agit de prendre acte d’une réalité, d’une multiplication des litiges, de l’étalement urbain, qui ne fait que s’accroître. »

« Vigilance » sur les moyens humains et la concertation nécessaire à la définition des inventaires sensoriels

La mise en œuvre du texte, s’il était définitivement adopté, fait néanmoins l’objet de la « vigilance » du rapporteur. Le sénateur Union centriste Pierre-Antoine Levi insiste sur la nécessité de s’appuyer sur « l’ensemble des acteurs locaux » dans la définition des cartes d’identité des territoires ruraux. Il note également que les services régionaux de l’inventaire n’ont cependant pas fini la longue opération de recensement du patrimoine matériel. La cartographie du patrimoine immatériel devra donc s’accompagner, selon lui, d’un nouveau déploiement de moyens financiers et humains.

La proposition de loi pourrait aussi être le point de départ d’une modification du droit. Le gouvernement serait chargé de remettre au Parlement un rapport sur la possibilité d’introduire dans le Code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Le rapport devrait se pencher sur les critères d’appréciation mais aussi la possibilité de tenir compte de l’environnement. Cette question sera particulièrement sensible, estime Maître Timothée Dufour. « Il faut trouver un équilibre. Comment renforcer les droits sans mettre à mal les droits d’autres personnes ? »

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