Contrarié par le projet de loi « gloubi-boulga », le Sénat reste décidé à peser dans le débat

Contrarié par le projet de loi « gloubi-boulga », le Sénat reste décidé à peser dans le débat

Le côté hétéroclite du projet de loi adaptant, par ordonnances, divers pans du droit dans la crise actuelle, a suscité quelques crispations au Sénat. La majorité sénatoriale de droite et du centre a cependant refusé de rejeter le texte en ouverture des débats, comme le demandait le groupe PS.
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Après 57 ordonnances prises par le gouvernement après la loi d’urgence du 23 mars, le Sénat n’était pas vraiment emballé par la perspective d’accorder au gouvernement de nouvelles habilitations à légiférer par ordonnances. Ce 26 mai, c’est un peu à reculons que la Haute assemblée s’est engagée dans l’examen en séance du projet de loi relatif à des dispositions urgentes face à l'épidémie de Covid-19, dans laquelle le gouvernement sollicitait à l’origine 40 habilitations pour des ordonnances. Réduites à 24 après la lecture à l’Assemblée nationale, puis à 10 après l’examen en commission des Lois du Sénat, les habilitations ont tantôt été réduites, tantôt supprimées du texte – car l’urgence n’était pas justifiée – tantôt inscrites « en clair » dans les articles, quand les dispositifs étaient suffisamment arrêtés.

Pour le socialiste Eric Kerrouche, « chaque alinéa était un blanc-seing » et le texte traduisait « le refus du débat contradictoire par le gouvernement ». « Nous serions surtout autorisés à nous taire », a-t-il dénoncé, regrettant un « phénomène d’accoutumance à la marginalisation du Parlement ». Son collègue Didier Marie a même accusé le gouvernement de « confiner » le Parlement.

Des mesures disparates qui « finissent par faire quelque chose d’assez indigeste »

C’est le côté disparate de l’ensemble qui a également été déploré dans de nombreuses interventions, lors de la discussion générale. Selon la commission des Lois, il s’agit « sans doute » du projet de loi le plus hétéroclite depuis les lois Warsmann de simplification du droit du début des années 2010. La rapporteure du projet de loi, Muriel Jourda (LR), a d’ailleurs rappelé, non sans sourire, les étiquettes qui se sont collées à la peau du projet de loi depuis sa présentation au début du mois de mai. Projet de loi « un peu fourre-tout ». Ou encore projet de loi « gloubi-boulga », un qualificatif cher au personnage Casimir « qui consiste en fait à assembler des ingrédients divers et variés dont on se demande ce qu’ils ont à faire ensemble et qui finissent par faire quelque chose d’assez indigeste », rappelle la sénatrice.

Sa collègue Catherine Di Folco a, elle aussi, déploré la trop grande mixité des thèmes abordés. « Nous condamnons cette méthode qui nous oblige à discuter pêle-mêle des réservistes de la police, des tickets-restaurants, de la justice pénale, des compétitions sportives ou encore des suites des essais nucléaires dans le Pacifique », a-t-elle souligné. « Des mesures très, voire trop diverses », a euphémisé le centriste Loïc Hervé, interrogatif sur la « mise en œuvre » des dispositions. Quant au groupe communiste, leur présidente Éliane Assassi a déploré une « désinvolture assumée du gouvernement à l’égard du Parlement » et surtout un « affaiblissement » des droits sociaux, à travers un assouplissement temporaire des règles relatives aux contrats courts.

Philippe Bas qualifie de « monologue à plusieurs voix » les relations entre le gouvernement et les députés

La motion défendue par le groupe socialiste pour rejeter d’emblée le texte n’a cependant pas été adoptée. Selon le président de la commission des Lois, Philippe Bas (LR), elle ne « manquait pas de fondement ». « Tout aurait dû m’orienter vers cette solution », a-t-il avoué. Mais alors, « le gouvernement dans un dialogue singulier avec l’Assemblée nationale, qui ressemble à un monologue à plusieurs voix, en arriverait à adopter un nombre d’habilitations [à légiférer par ordonnances] beaucoup plus grand que celui que nous espérons imposer dans un rapport de force entre les deux assemblées », a-t-il poursuivi. Défendant la logique du bicamérisme, le sénateur de la Manche a dit espérer obtenir satisfaction à l’issue de la navette parlementaire, parlant d’une position « raisonnable ».

Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a défendu, au contraire, un esprit de « prudence et de pragmatisme », mais aussi « d’agilité ». Les « incertitudes » entourant la trajectoire de l’épidémie justifient, selon lui, les délais parfois larges de certaines habilitations. Et la structure du texte répondait à un ordre du jour « contraint » pour le Parlement, à l’approche de la fin de session. « Je ne suis pas certain que le dépôt de 16 textes eût été préférable en termes de visibilité. Organiser dans le calendrier l’examen de 16 textes eût été une véritable gageure », a-t-il argumenté.

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« Gouverner c’est prévoir », rappelle Amélie de Montchalin, alors que les négociations du Brexit patinent

Amélie de Montchalin, secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, a, elle, défendu la présence dans le texte de mesures d’urgence préparant la France au Brexit. Bien qu’ayant ratifié l’accord de sortie cet hiver, au terme d’un long feuilleton, le Royaume-Uni reste toutefois engagé dans une période transition jusqu’au 31 décembre, même si cette date est susceptible d’être repoussée. C’est désormais sur l’accord qui fixera le futur des relations entre l’Union européenne et les Britanniques que les négociations patinent. Selon la secrétaire d’État, les habilitations à légiférer par ordonnances ont été rendues nécessaires, là aussi, par les incertitudes et les « contraintes » qui s’accumulent. « Gouverner c’est prévoir, prévoir c’est anticiper. Nous devons être en mesure de protéger sans délai les personnes et les entreprises qui pourraient pâtir du couperet de la fin de période de transition », a-t-elle souligné.

Près de 200 amendements seront discutés en séance sur l’ensemble du projet de loi, ce mardi, et jusqu’à jeudi éventuellement.

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