Frondeurs LREM : un mélange de «tactique» et de «valeurs» écologiques et sociales

Frondeurs LREM : un mélange de «tactique» et de «valeurs» écologiques et sociales

D’anciens députés LREM ou issus du PS vont annoncer ce mardi la création d’un neuvième groupe politique à l’Assemblée. Déçus sur l’écologie et le social, ils veulent peser, quitte à faire perdre à LREM sa majorité absolue. « Triste et affligeant » selon François Patriat, à la tête des sénateurs LREM. Il leur reproche de « créer le trouble dans la majorité pour des questions d’ego ».
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En accédant à l’Elysée, Emmanuel Macron ne comptait pas reproduire les mêmes erreurs que François Hollande. Pourtant, lui aussi a maintenant ses frondeurs. Mieux : ils comptent créer leur propre groupe politique à l’Assemblée nationale. Ils ne sont pas encore légion, mais une vingtaine, dont seulement une dizaine de défections chez LREM. On est loin de la cinquantaine d’abord évoquée. Mais ils pourraient être suffisamment nombreux pour faire perdre à La République En Marche sa majorité absolue à elle seule. Tout un symbole.

Lancement ce mardi à 11 heures

La création de ce neuvième groupe est évoquée depuis des mois. Mais les choses se sont accélérées à la fin du confinement, quand Les Echos ont annoncé l’arrivée prochaine de ce groupe. Intitulé « Ecologie, démocratie, solidarité », il sera officiellement présenté ce mardi matin, à 11 heures, par visio conférence. Composé d’ex-LREM ou d’anciens socialistes, il compte peser pour une ligne plus écologiste et plus sociale, et a déjà un logo. Le voici :

groupe eds, écologie démocratie, solidarité

A sa tête, on retrouvera deux ex-LREM : le député Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot. En mars, il proposait à Emmanuel Macron un plan pour « le jour d’après » (lire ici). Et à ses côtés, Paula Forteza, issue de l’aile gauche. L’ancienne ministre socialiste Delphine Batho et Cédric Villani devraient être de la partie, tout comme a priori Guillaume Chiche, issu de la « bande de Poitiers », ou Aurélien Taché. Critique sur de nombreux points – réfugiés, appli Stop covid notamment – ce dernier vient d’annoncer son départ de LREM dans le JDD. « Je pense qu'il le fait au pire moment, c'est-à-dire précisément au moment où, collectivement, nous sommes en train de réfléchir aux conditions de l'après » l’a taclé sur France 3 Stanislas Guerini, numéro 1 de LREM, lui reprochant son « individualisme ».

Reste qu’avec son départ du groupe, l’effectif passe à 295, contre 314 en juin 2017. La majorité absolue située à 289 sièges s’approche dangereusement. En passant sous la barre, l’alerte sera forte pour Emmanuel Macron. « C’est toujours un symbole. C’est un mauvais signe. C’est peut-être un peu plus signifiant que par le passé », constate le sénateur LREM André Gattolin. Il reconnaît qu’« il y a quand même des gens qui ne se retrouvent pas, par rapport à la promesse initiale, quand ils sont venus à LREM ». La majorité présidentielle pourra cependant compter sur les 46 députés Modem et les 9 Agir pour faire adopter ses textes. Mais ces derniers sauront, le moment voulu, utiliser ce nouveau rapport de force.

« 19 députés » membres du groupe, selon Sébastien Nadot

Ce lundi, les pressions et coups de fil ont continué, comme depuis quelques jours, pour freiner les velléités de dissidence et conserver, même de peu, la « majo ». « Richard Ferrand en a appelé quelques-uns » glisse un parlementaire de la majorité. Au final, cette amicale pression pourrait-elle avoir son effet ? « Ils seront moins de 20 » pense un parlementaire LREM, qui évoque « 17 ou 18 » députés au final.

Un peu plus, selon le député de Haute-Garonne Sébastien Nadot, qui en sera. Sauf surprise de dernière minute, « on est arrêté à 19 » affirme le député, exclu du groupe LREM en 2018 pour avoir voté contre le budget. Il ne s’étonne pas des pressions. « Toutes les recettes sont bonnes pour essayer de faire changer d’avis ceux qui voudraient quitter LREM. Ça peut être des motivations parlementaires, "je vous donne telle attribution, tel texte". Il y a plein de choses qui peuvent inciter un député à ne pas sortir de LREM » raconte le membre du Mouvement des progressistes et du collectif Urgence écologie.

« Système parlementaire extrêmement sclérosé, verrouillé et exsangue »

Pour Sébastien Nadot, ce groupe arrive car « un certain nombre de députés ont fait le constat d’une forme de système parlementaire extrêmement sclérosé, verrouillé et exsangue. On veut faire bouger les lignes ». Comme il dit, « le train nous est un peu passé sur la tête » après l’élection de 2017. Maintenant, ces députés veulent agir :

Il faut qu’on change la donne. Qu’est ce qui s’est passé au Parlement depuis des mois ? Rien. Juste une espèce de contestation sur des textes du gouvernement. Mais comment le Parlement est-il regardé ? Le groupe, c’est aussi un peu la dernière chance pour redorer son blason.

Se voulant « force de proposition et de construction », ces députés entendent évidemment peser pour plus d’écologie, mais aussi plus de social, comme avec l’idée « d’une sécurité sociale alimentaire et des logements ».

« On commence petit, mais on va être le plus grand groupe écolo de la Ve République »

« On commence petit, mais on va être le plus grand groupe écologique de l’histoire de la Ve République », insiste le député. Reste que le timing peut surprendre, au moment où Emmanuel Macron pourrait annoncer des mesures plus vertes. « Notre groupe ne va pas l’empêcher de le faire. Et on pourra accompagner. Mais, si ce sont des promesses en termes de communication, on sera là pour le rappeler » dit Sébastien Nadot.

On le voit, ces frondeurs de la majorité ne comptent pas totalement faire sécession. Ils devraient s’inscrire comme « groupe minoritaire », pour permettre de voter les textes du gouvernement qui vont dans le bon sens, et ne pas le faire pour d’autres. Une attitude politique qui n’est pas sans rappeler celle, au Sénat, du groupe Union centriste, qui ne s’interdit pas de soutenir le gouvernement sur certains sujets.

François Patriat : « Des petites vedettes de plateau qui créent le trouble »

A la Haute assemblée, où le groupe LREM ne compte que 23 sénateurs, on est loin de cette situation. Son président, François Patriat, ne la juge pas moins durement. « Au moment où on a besoin d’unité nationale, et où l’opposition ne la joue pas, je trouve triste et affligeant de voir des gens de la majorité, qui sont des petites vedettes de plateau, créer le trouble dans la majorité pour des questions d’ego » tacle le patron des sénateurs LREM.

François Patriat rappelle au passage que ces députés ont été « élus sur le programme d’Emmanuel Macron et son image ». Le sénateur de Côte-d’Or fait la différence avec les frondeurs de Hollande. Ces derniers ne votaient plus les textes, alors qu’eux continueront à le faire, pense-t-il. Autrement dit, ce ne devrait pas réellement poser problème à Emmanuel Macron. Certains y voient même une occasion d’appuyer un verdissement de sa politique.

« Au Sénat, on ne va pas commencer à se fractionner »

Au Palais du Luxembourg, l’ambiance est plus apaisée. « Au Sénat, on n’est pas dans la même situation. On est un petit groupe, donc on ne va pas commencer à se fractionner » souligne André Gattolin. Mais les sénateurs LREM défendent aussi leur point de vue. Cet ancien d’EELV a ainsi signé une tribune appelant à plus d’écologie, et participe « au Sénat, à des réunions informelles intergroupes avec des sénateurs de sensibilité écologique, depuis 2 ans ».

A la Haute assemblée, l’idée, après les sénatoriales, serait dans l’idéal plutôt d’élargir la majorité présidentielle. « Il faudrait peut-être envisager un groupe plus large, avec une coordination avec les gens qui participent de près ou de loin à cette majorité, plutôt que nous diviser entre un groupe social/écolo et un groupe libéral de centre droit » estime André Gattolin.

« S’ils veulent être des aiguillons, c’est positif »

Pour la sénatrice LREM de Gironde, Françoise Cartron, ce nouveau groupe « EDS » lui rappelle le PS, son ancien parti. « Il y avait les courants, rocardiens, chevènementistes » se rappelle-t-elle. « S’ils veulent être des aiguillons, c’est positif. Je ne les vois pas comme des gens dans une défiance » dit-elle, estimant en revanche que l’exécutif porte vraiment « une attention vers les plus fragiles », contrairement ce que pensent ces frondeurs. Mais Françoise Cartron reconnaît que « s’ils défendent des choses nobles et réalistes, avec un souci de justice, leur parole serait bénéfique ».

Au groupe LREM, il y a bien un sénateur qui a franchi le pas. C’est Michel Amiel. Le sénateur des Bouches-du-Rhône a quitté le groupe LREM à cause du 49-3 sur les retraites. « Cette formulation ni à droite, ni à gauche n’a pas pris », constate-t-il, y voyant « plutôt une forme d’ultralibéralisme qui a pris le pas. C’est ce que ressentent ceux qui quittent le navire. La dimension sociale est faible » selon Michel Amiel.

« Très clairement, il n’y a pas eu d’acte II »

« La majorité élue en 2017 était plus de centre gauche que de centre droit. Donc il y a des frustrations » pense aussi André Gattolin. Mais pour le sénateur LREM des Hauts-de-Seine, « ce neuvième groupe de l’Assemblée relève autant de la stratégie et d’opportunités politiques, que d’une affirmation de politique nouvelle ». « Certains à gauche leur laissent miroiter des possibilités d’alliance pour les législatives. Ça peut conduire certains à faire ce glissement tactique, qui repose en même temps sur des valeurs » pense André Gattolin, qui ajoute :

Il y aussi des ambitions personnelles. Je ne connais pas un seul député LREM qui ne se verrait pas devenir ministre ou secrétaire d’Etat.

Surtout au moment où refait surface l’hypothèse d’un remaniement pour incarner le plan de relance et « l’après » que pourrait dessiner Emmanuel Macron. « Il y a sans doute un acte II à construire. Très clairement, il n’y a pas eu d’acte II. Ça s’incarne par un changement de gouvernement, sans doute de premier ministre et une évolution de la ligne », soutient André Gattolin. Un changement indispensable « pour Emmanuel Macron, afin d’être en position d’être réélu, et ne pas se retrouver comme Hollande, à ne pas pouvoir se représenter » analyse le sénateur LREM. Pas sûr que le chef de l’Etat pousse le vice à faire du Hollande jusque-là. Il devrait se suffire des frondeurs.

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